Quelles interfaces pour la réalité virtuelle ?
Dans l’esprit du public, réalité virtuelle a longtemps rimé avec la notion d’interface immersives, comme les casques-écrans et les gants de données ou les interfaces haptiques.
Il semble bien que le casque n’ait pas un grand avenir devant lui. Obtenir une bonne résolution pour les écrans de la taille de lunettes risque de s’avérer trop cher, et apparemment, le public n’en a pas besoin.
Preuve de cette difficulté à s’imposer, le sondage (.pdf) réalisé récemment sur le sujet par Sensic, une société qui en construit. Pour la plupart des usagers, les casques de réalité virtuelle ne sont pas assez bons : et le sondage porte sur des professionnels qui utilisent un matériel haut de gamme et onéreux ! Même celui-ci ne trouve pas assez grâce à leurs yeux : panoramique de 50° largement insuffisant, trop basse résolution, effets d’éblouissement et rafraichissement trop lent… On imagine l’impression que donnerait un casque « dégradé » pour le grand public.
Peut être la portion la plus riche de ce dernier, se laissera-t-elle tenter par des environnements de type CAVE : des murs recouverts d’écrans plats ou de projecteurs qui permettraient la visite de mondes virtuels sans pour autant se couper du monde, comme le fait un casque d’immersion. On pourrait voyager en groupe. Selon le Metaverse roadmap, une minorité de familles pourrait se retrouver équipée de murs à écran plats aux alentour de 2016, alors de là à voir se proliférer ce type d’environnement…
Les gants de données appartiennent originellement à la RV haut de gamme. Pour autant leurs promesses sont loin d’être réalisées. Les gants de données non haptiques, c’est-à-dire sans retour de force, se sont pourtant largement démocratisés sous une nouvelle forme !
En effet, il y a quelques années, Nintendo avait sorti un « gant » s’adaptant à ses consoles. Pendant des années le « Power glove de Nintendo » a été un objet culte chez tous les adeptes de la RV « de garage » qui cherchaient à l’adapter à leur propre système artisanal ! Quand une idée ne marche pas, on attend un peu, et on la reprend, dans un autre contexte et avec une autre apparence. C’est ce qu’a fait Nintendo qui a raffiné son concept de « gant » pour sortir en 2006 ce qui apparaitra probablement comme la plus grande révolution en matière de virtualité ces dernières années : la Wiimote.
Mark Pesce, qui inventa le VRML et qui depuis s’est muté en un philosophe de la technologie, ne cache pas son enthousiasme. « La RV, ce ne sont pas les lunettes avec écran, même si on a pu le croire il y a quinze ans. La RV met en contact le corps avec le monde simulé. Nintendo, avec un appareil intelligent, pas cher, attrayant et hautement fonctionnel comme la Wiimote, a réussi cela. Ils ont fait ce à quoi des décennies de chercheurs et d’ingénieurs ont échoué : ils nous ont mis dans le jeu. »
Si la Wii est capable de transmettre au monde virtuel les mouvements de notre corps, elle ne permet pas de simuler le sens du toucher ou le retour d’effort. Une telle sophistication semble bien réservée aux laboratoires de recherche. Mais c’est compter sans l’audace de petites sociétés comme Novint, qui vient de mettre au point le Falcon, une espèce de joystick à retour d’efforts. Il s’agit en fait d’une petite boule reliée à une base par trois bras robots. Lorsqu’on manipule cette boule, les bras offrent différents degrés de résistance qui permettent de simuler un contact physique avec les objets virtuels, de les « sentir » au bout des doigts. Cette interface est conçue pour un public de joueurs et coute environ 249 $ : c’est cher pour un joystick mais reste à portée de la bourse d’un aficionado. Baptisé la « Wii 2 » par Popular Mechanics, le Falcon reste cependant très différent, dans ses fonctions, de l’interface Nintendo. C’est un objet qu’on est censé utiliser assis, qui n’autorise pas les déplacements du corps comme la Wii.
Pour les sportifs, la réalité virtuelle peut receler encore bien des possibilités. La « Wii balance » permet de capter les mouvements des pieds et du corps. Il est même déjà possible de faire du jogging dans Second Life, toujours à l’aide de la Wii, comme le montre cette vidéo.
Se déplacer dans la réalité virtuelle
La question du déplacement est l’une des plus difficiles : comment créer un espace dans lequel un utilisateur pourra faire du surplace sans se cogner la tête contre les murs ou les meubles et en même temps avoir l’illusion de courir, de danser ? Le laboratoire de réalité virtuelle de l’université de Tsukuba au Japon a expérimenté des dispositifs avec des sols mobiles, et même avec un système de rollers. C’est toujours à la même université qui a mis au point le « StringWalker » présenté ce mois d’août au Siggraph. Les pieds de l’utilisateur sont harnachés par des cordes, reliées à un cercle doté de plusieurs moteurs. Lorsque l’on veut se déplacer, les cordes transmettent le mouvement au programme et exercent une force contraire pour replacer le joueur au centre du cercle (vidéo). Cependant, malgré tout l’intérêt de ces recherches, on voit bien que leurs applications grands publics ne sont pas encore pour demain…
Vers la connexion neurale ?
La réalité virtuelle sera-t-elle un jour notre future demeure ? Quitterons nous notre corps « de chair » pour vivre tous nos désirs dans un paradis numérique ? Certains futuristes imaginent que notre cerveau pourrait être numérisé et que nous pourrions vivre ainsi, en tant que programme informatique, sur les réseaux. Pure science fiction pour l’instant bien entendu. Une première étape serait déjà « l’immersion totale » envisagée dans les romans de William Gibson, par la « connexion neurale directe ». Autrement dit, le cerveau, directement branché sur la machine recevrait ses stimuli sans intermédiaire et enverrait directement ses ordres au « corps virtuel » sans passer par le corps de chair, ou, (comme aime le dire les personnages de Gibson et après eux, bon nombre de geeks) par « la viande ».
L’interface neurale existe, mais pour l’instant dans un seul sens. Il est possible au cerveau de donner des ordres, généralement assez primitifs, à un programme via des machines souvent coûteuses (mais pas forcement voir cet article ou celui-ci). Cela peut être précieux pour les tétraplégiques, et peut même donner naissance à des espèces de sports mentaux, comme le Mindball. En tout cas, rien qui ne soit aussi facile et intuitif qu’une Wii, pour l’instant. L’autre sens est largement hypothétique : on ne sait pas encore comment envoyer des images ou d’autres perceptions directement dans le cerveau. Ce qui s’en rapproche le plus est peut être dans le domaine de l’ouïe, l’Hypersonic sound. Avec cette technologie, on peut envoyer un « rayon sonore » qui ferait entendre son message directement dans l’oreille de ceux qui le traversent sans faire aucun bruit dans le milieu ambiant. On a littéralement l’impression « d’entendre des voix ». Il existe aussi un brevet déposé en 2005 par Sony concernant la possibilité (non encore réalisée) de créer artificiellement des stimuli à l’aide d’ultrasons… On sait peu de chose sur cette technologie sinon qu’elle aurait certains rapports avec la stimulation transcraniale magnétique, mais emploierait des ultrasons au lieu des champs magnétiques.
Encore une fois, seule l’idée a été déposée, aucune expérience n’a été faite. Selon le professeur Niels Birbaumer de l’université de Tubingen, un spécialiste du domaine qui a jeté un coup d’oeil sur les documents, l’idée de Sony serait « plausible ». Ceci dit, même si une stimulation de ce genre peut faire surgir quelques vagues perceptions, on ne voit guère comment elle pourrait implanter dans le cerveau une image haute résolution de l’univers d’un jeu de rôle comme Morrowind, avec bande son en accompagnement… Il nous faudra, pour quelques décennies encore, renoncer à déménager définitivement dans le virtuel.
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Cet article m’inspire deux remarques :
– Des interfaces pour quoi faire ? Le cas des univers virtuels s’inscrit dans une problématique plus large de la finalité d’une interface. Chacune requière une attention qui doit être rentabilisée par le volume d’intention dont elle aura permis la réalisation (voir ce billet). De ce point de vue il faut que l’utilité apportée par un monde immersif soit énorme pour justifier de l’attention totale qu’il nécessite. Dans la même perspective, Nicola Nova rapporte les propos de Stephana Broadbent sur la mise en arrière-plan des interfaces qui s’accumulent.
– Les qualités d’une interface ne peuvent se définir qu’en rapport de son utilisation. L’immersivitié n’est ainsi pas nécessairement une qualité. C’est l’objet du design d’interaction que de faire des choix et compromis entre des qualités parfois contradictoires. L’écran d’un téléphone portable devrait ainsi accorder faiblesse d’encombrement et qualité de l’affichage.
Une équipe de chercheurs français a réalisé un logiciel qui permet de ressentir les pixels avec l’interface du Novint Falcon. Le logiciel est listé sur le site de Novint à l’adresse suivante: http://home.novint.com/games/games_list.php?c=6&id=202
Cela ouvre de nombreuses possibilitées en ce qui concerne l’accessibilité d’internet pour les mal-voyants. De plus, les developeurs de Novint sont en train de créer un pilote universel qui permettra de rendre compatible le Novint Falcon avec tous les jeux existants sur le marché du jeu vidéo.