Demain les mondes virtuels (4/11) : L’intéropérabilité remise à plus tard

Aujourd’hui, chaque monde virtuel repose sur sa technologie propre et nécessite donc un « client » particulier. On ne peut pas se promener dans Second Life depuis World of Warcraft, par exemple. Tout va bien tant qu’il existe deux ou trois de ces univers. Que fait-t-on lorsqu’ils sont plusieurs dizaines, comme c’est déjà le cas ? Ne peut-on espérer un jour une norme qui permettra aux internautes de naviguer entre les mondes virtuels à l’aide d’un seul et unique navigateur, voire en employant le même avatar ?

Hors, cette norme existe, et ce depuis plus de 10 ans : il s’agit du VRML (Virtual Reality Modeling Language), une technologie de « web 3D » qui n’a jamais vraiment décollé. Les raisons de cette absence de succès étaient multiples. Par exemple on a dit que le problème du VRML était qu’il n’était pas multi-utilisateur : mais en fait il a existé une multitude de serveurs multi-utilisateurs pour le VRML, certains open source, comme Deep Matrix, d’autres commerciaux, comme Blaxxun ou Community Place de Sony. Cette incompréhension était dû au fait que l’aspect multi-utilisateur n’était pas défini directement par la norme, mais laissée aux choix des concepteurs de serveurs.

On a dit le format de fichier trop lourd, mais souvent c’était parce que les modeleurs 3D existant étaient incapables de produire du fichier compact (par exemple, ils généraient des centaines de points formant une sphère dans le fichier de sortie, alors qu’il leur aurait suffit d’y inscrire le mot « Sphere »). En fait, le VRML n’était pas un format mais un langage, et comme tous les langages seul un être humain est capable de l’utiliser de manière optimisée et astucieuse. La génération automatique de code ne donne rien de bon. Cette particularité du VRML handicapait sans doute les professionnels, dôtés de puissant modeleurs 3D qui se révélaient mal adaptés à cette technologie. Par contre, pour l’amateur fauché, c’était le rêve : il était possible de créer un monde VRML relativement sophistiqué tenant sur quelques dizaines de kilo-octets et sans utiliser de logiciel onéreux. L’idée de programmer une scène graphique peut paraître incongrue aujourd’hui. Il faut savoir qu’à l’époque la pratique était assez répandue. Il existait plusieurs logiciels d’imagerie de synthèse « open source », Persistence of Vision étant le plus connu, qui reposaient sur cette notion de programmation graphique.

Pourtant, aujourd’hui, alors que le VRML existe encore , il continue à ne pas s’imposer. C’est d’autant plus dommage, que rendu compatible avec le XML, via la norme X3D, il possède désormais de nouveaux avantages. Sous ensemble de XML, cela veut dire tout d’abord qu’il est susceptible d’être généré via un autre fichier XML. Cela veut dire qu’il est possible, par exemple, de prendre un dessin réalisé en graphique vectoriel (SVG) et le transformer en une scène 3D. Ou encore, de prendre une base de données sémantique en RDF et de la visualiser directement sous la forme d’un monde virtuel.

Autour de la norme VRML/X3D s’élaborent diverses « sous normes » comme H-anim. Celle-ci définit un ensemble de spécifications pour définir la forme humaine, et donc la plupart des avatars. H-Anim permet d’éviter des problèmes divers d’interoperabilité, par exemple un programme d’animation qui voudrait bouger le coude d’un avatar pour découvrir que ce dernier n’en possède pas, ou pour que, lors de la rencontre de deux avatars issus de mondes différents, l’un ne mesure pas quatre mètres de haut et l’autre dix-huit centimètres ! On peut ainsi rêver à une rencontre entre univers virtuels. Sur Croquet, certains y travaillent, mais les progrès sont lents.

Malgré le travail considérable effectué par les adeptes du X3D, il semble que tous ces progrès se déroulent dans l’indifférence générale des concepteurs de la plupart des univers virtuels existants.

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En attendant, il n’est pas impossible qu’une certaine interopérabilité voit le jour à coups de bricolage. Par exemple, il existe une passerelle entre Croquet et Second Life. Après avoir placé un objet dans les deux mondes, il devient possible, via un script, de contrôler les deux objets depuis n’importe lequel des deux systèmes.

La recherche d’une norme, ouvrant la voie à la création d’un « lecteur universel de mondes virtuels » qui remplirait pour ces derniers le même rôle qu’Internet Explorer ou FireFox avec les pages web, n’est pourtant pas abandonnée.

L’adoption d’un futur standard est simplement laissée au marché plutôt qu’à un accord entre les parties. Dans cette recherche du lecteur universel, Linden Labs tente de prendre l’avantage en rendant open source son client, et bientôt son serveur. La société Multiverse, elle, a développé une politique intéressante. Pas vraiment open source, elle n’en a pas moins imaginé un « business model » particulièrement original : la société propose à qui le souhaite de télécharger ses outils de création de mondes, et ne demande de l’argent qu’à ceux qui en font déjà grâce à leur technologie. Comme chez Linden Labs, l’idée est d’imposer un « VRML privé » : différents mondes sont accessibles à partir du seul et unique client. Que ce soit chez Linden labs ou chez Multiverse, le but est le même : s’assurer que sa technologie va se répandre largement au dépens des autres afin d’obtenir un état de monopole et instaurer une norme de fait…

En attendant, ce sera encore à l’internaute d’essuyer les plâtres.

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0 commentaires

  1. Et bien sûr, alors que cet article était déjà (virtuellement) sous presse, il y eu l’explosion médiatique de metaplace (http://www.metaplace.com/)
    les téléchargements de la version alpha étant clos, il m’est malheureusement difficile de dire si Metaplace apporte des changements réels ou s’il s’agit encore d’une tentative de VRML « privé » comme celles mentionnées dans l’article, ou comme d’autres tentatives avortées comme adobe atmosphere…

  2. La démocratisation par des « VRML privé » est-elle un mal ? Tant qu’il y a démocratisation c’est tout bon selon moi. Je compare souvent avec les blogs : combien d’utilisateurs de Dotclear ou WordPress par rapport à Blogspot, 20six ou autres skyblog ?
    La démocratisation passe peut-être par du « prêt à ouvrir » puis déclinaison vers des outils plus sophistiqués quand l’univers rencontre un succès. Par contre il y faut que les formats soient compatibles afin de permettre cette transition.

  3. IBM et une trentaine de partenaires viennent de lancer un groupe de travail pour réfléchir à l’intéropérabilité entre les univers virtuels, avec la volonté d’ouvrir l’architecture des plate-formes, précise Read/Write Web. Les résidents de Second Life vont-ils se faire manger par les ogres de World of Warcraft ?

    « C’est la possibilité de mixer Second Life avec des concepts comme OpenId ou les web standards et transformer les jardin clos et propriétaires en des modèles d’architectures ouvertes, ce qui est assurément une bonne chose pour les utilisateurs et les affaires », souligne Barb Dybwad, productrice des magazines Joystiq et Engadget. Reste que cela ne sera pas facile, explique Eric Rice, de trouver un moyen pour lancer une passerelle entre des identités multiples, des standards graphiques différents…

    Gageons au moins que la volonté est affichée.