Les neurosciences vont elles provoquer une nouvelle ruée vers l’or ? Toujours est il que le domaine attire de plus en plus d’argent et en produit de plus en plus… En 2006, les capital risqueurs ont investi 1, 6 milliard de dollars dans les entreprises qui s’y consacrent, soit 7,5 % de plus que l’année précédente. En septembre dernier le Nasdaq a du reste créé un nouvel indice, le Nasdaq Neurosinsight Neurotech Index rassemblant 32 sociétés travaillant sur un aspect ou un autre du cerveau, le tout totalisant environ 71 milliards de dollars.
Selon Zack Lynch, directeur exécutif de l’Organisation pour l’industrie neurotechnologique (NIO) le secteur se divise en quatre gros domaines. Les trois premiers appartiennent de toute évidence au champ de la médecine traditionnelle : ce sont les marchés de la neurochirurgie, de la neurostimulation (qui consiste à réactiver des parties du système nerveux suite à un accident ou tout autre problème), de la neuroprosthétique (implants et prothèses diverses). Reste le quatrième secteur, beaucoup plus récent et encore embryonnaire : celui du « neurologiciel ». Autrement dit les programmes informatiques qui aident à « exercer » différentes capacités cérébrales. Un petit marché, mais en pleine expansion.
Le New York Times parle d’un marché évalué à 2 millions de dollars en 2005 et à 70 millions aujourd’hui. Sharpbrains.com, le site de référence sur le sujet, parle de 225 millions de dollars, mais ce chiffre inclut les marchés médicaux et professionnels en plus celui du grand public, ce dernier devant selon eux rapporter à lui seul environ 80 millions de dollars.
L’idée derrière ce nouveau type de produits est très simple : le cerveau, nous disent les scientifiques, est « plastique ». Autrement dit, il est capable de se modifier, de s’améliorer. D’ailleurs, si ce n’était pas le cas, comment pourrions nous apprendre quoique ce soit ? Mais beaucoup imaginent que certaines facultés sont figées, comme la mémoire, l’acuité visuelle, ou l’habileté au calcul mental. Pire, si jamais elles changent, cela ne peut aller que dans le mauvais sens, celui de la dégradation de nos facultés mentales sous l’effet de l’âge. En fait, même pour ces facultés, les choses semblent bien moins désespérées qu’on pourrait le croire.
Si certains « transhumanistes » n’hésitent pas à rêver d’implants, de puces ou de drogues pour réaliser leur rêve d’homme augmenté, pour la plupart des gens, l’idée de devenir un Robocop shooté à la Ritaline ou au Modafinil ne correspond guère à la vision qu’il se font d’un avenir radieux. Les « neurologiciels » semblent moins envahissants. Ils consistent en fait à proposer au cerveau des exercices assez simples lui permettant de se maintenir en forme, voire d’améliorer ses performances de manière ludique et non intrusive.
Jeu ou médicament ?
L’idée n’est pas inconnue du grand public. L’un des principaux succès de l’année dernière, le jeu développé par Nintendo d’entraînement cérébral du Dr Kawashima basé sur ce concept, a rencontré un succès important et séduit un public et une tranche d’âge en général peu porté sur les jeux vidéos. Nintendo en a vendu quatre millions d’exemplaires.
Bien sur, ce programme rencontre un certains scepticisme chez les spécialistes. Non seulement Nintendo n’a pas soumis son produit à la communauté scientifique, mais le système d’évaluation est plus qu’arbitraire (que penser d’un programme ou l’âge du cerveau peut fluctuer entre 30 et 80 ans en quelques heures ?). De toutes façons Nintendo ne se prend pas au sérieux :
« bien que Nintendo emploie Ryuta Kawashima, un fameux neuroscientiste japonais, cette compagnie évite de revendiquer toute prétention scientifique », explique Jonah Lehrer dans la revue Seed magazine. « Nous sommes dans le business du divertissement », a rappelé Perrin Kalan, le chef de la division marketing américaine de Nintendo. Cependant, on trouve sur le site web du jeu des images IRM et l’encouragement à faire un meilleur usage du « cortex préfontal ». Et Jonah Lehrer de conclure : « C’est de l’amusement déguisé en neuroscience. »
D’autres sociétés se lancent elles aussi sur le marché, mais avec l’ambition affirmée de dépasser la simple distraction et agir réellement sur le cerveau telles Mindfit, Happy Neuron (une société française, comme son nom ne l’indique pas) ou Lumosity… Posit Science est l’une des plus importantes. Elle a été créée par un neuroscientiste fameux, Michael Merzenich (blog). Et visiblement, la scientificité se paie, puisque le service Posit Science coûte 395 dollars (environ 260 Euros), bien plus qu’un jeu Nintendo !
L’efficacité en question
Jusqu’où ces produits sont-ils efficaces ? Pas facile à déterminer : comme toujours, les expériences et les avis varient grandement. Par exemple, ainsi que nous l’avons souligné, tout le monde s’accorde sur la non-scientificité du programme du Dr Kawashima. Pourtant, nous dit la BBC, une expérience menée récemment sur 30 élèves d’une école primaire, chargés de jouer à Dr Kawashima sur la Nintendo DS pendant 15 minutes avant les leçons de mathématiques, auraient connu une amélioration importante de leurs résultats scolaires dans cette matière en une dizaine de semaines…
Qu’en déduire ? Ce peut être une coïncidence, ou la preuve que le jeu Nintendo est plus efficace qu’on ne le croit, ou encore que les chercheurs ont été les victimes d’un biais cognitif (d’autres expériences impliquant des enseignants croyant – à tort – avoir affaire à une classe d’enfants surdoués ont montré que les professeurs avaient tendance à surnoter et surestimer les élèves).
Pour Elkhonon Goldberg, neuroscientiste à l’université de médecine de New York et conseiller scientifique de Sharpbrain.com : « il n’existe pas pour l’instant d’ensemble convaincant d’évidence [concernant l’efficacité de ces systèmes], mais cela ne veut pas dire qu’on ne pourra pas obtenir cette évidence. Il faut juste mener les études appropriées. »
Appropriés ou non, les travaux de recherche se multiplient. Merzenich a écrit en juin dernier un papier dans la fort réputée revue Proceedings of the National Academy of science (PNAS) dans lequel il affirmait que sa technologie avait permis d’améliorer sensiblement les capacités cognitives de 93 % des 182 sujets testés… Bien sûr, on peut s’interroger sur une expérience menée par ceux qui en sont les premiers bénéficiaires, mais on peut espérer que PNAS est assez sérieuse dans le choix de la publication de ses articles pour lui donner un peu de crédit. Une étude plus récente (.pdf), effectuée sur 400 sujets de plus de 65 ans à l’université de Californie du Sud mais également financée par Posit Science, va d’ailleurs dans le même sens. Bien évidement, même si cela prouve la valeur de l’exercice cérébral – et c’est déjà très bien -, on aimerait comparer avec des études menées dans les mêmes conditions sur des groupes de seniors chargés d’apprendre une nouvelle langue, de se perfectionner aux échecs, au Sudoku, aux mots croisés, à Prince of Persia ou à Dr Kawashima…
En tout cas, pour le fondateur de Posit Science l’usage du logiciel constitue une révolution dans les neurosciences. Selon le magazine Portfolio, Merzenich « pense que sa compagnie deviendra un élément d’une nouvelle industrie qui sera comme un « miroir » de l’industrie pharmaceutique. Il veut aller bien plus loin qu’exercer la mémoire ou les capacités cognitives pour aborder aussi les problèmes de l’invalidité. Au lieu de recourir à des médicaments, il envisage un business basé sur les neurosciences qui utilisera les technologies non invasives de l’exercice sur ordinateur pour « recabler » le cerveau, et lui ramener sa santé mentale. A travers Posit Science, il espère pouvoir résoudre un ensemble de problèmes généralement traités par la médecine traditionnelle allant du traumatisme crânien aux maladies neurologiques comme la maladie de Parkinson, les désordres liés au vieillissement pathologique – et même la schizophrénie ».
Jusqu’où le cerveau est-il plastique ? Le « petit secteur » de l’exercice cérébral mordra-t-il un jour sur les plus gros et plus juteux domaines de la neurochirurgie, de la neuroprosthétique ou de la neurostimulation ? Ce serait une sacrée revanche de la culture sur la nature ! En attendant, n’oublions pas de boire du thé vert et du café, de consommer ses rations quotidienne d’Omega 3 et de légumes, de faire un petit déjeuner riche en protéines, du sport et des tas d’autres choses !… Car notre cerveau ne peut certainement pas s’entretenir uniquement grâce à un ordinateur.
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à surveiller également : Neurospin.
La France ouvre le plus grand complexe au monde sur l’exploration du cerveau
Le centre de recherches dédié à l’exploration du cerveau NeuroSpin
sur le site principal du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Saclay (Essonne).
le plus grand complexe au monde entièrement dédié à l’exploration du cerveau et des processus cognitifs, où vont être mis en oeuvre des scanners d’imagerie
médicale d’une puissance inégalée.
L’exploitation de NeuroSpin débutera en janvier 2007. Ce sera à la fois une unité
clinique et un laboratoire de recherche fondamentale.
Les chercheurs s’intéresseront aux maladies du système nerveux (sclérose en
plaques), aux anomalies du développement intellectuel, aux affections
psychiatriques (schizophrénie, dépression) et au vieillissement cérébral
(maladie d’Alzheimer). Mais ils essaieront aussi de mieux comprendre les
mécanismes cérébraux qui sous-tendent l’esprit et la pensée, avec pour
objectif d’améliorer les interfaces entre l’homme et l’ordinateur.
L’installation d’un scanner corps entier de 11,7 T, le
plus puissant jamais construit dans le monde pour des études chez l’homme,
est enfin envisagé dans le cadre d’un projet franco-allemand.
On peut lire aussi le beau livre récent de Jean didier Vincent « Voyage extraordinaire au centre du cerveau ».
Moi perso j’adore ces trucs la c’est franchement stimulant!!
Bonjour,
D’abord merci à Rémi Sussan pour ce bon billet !
Le sujet m’aurait très certainement paru farfelu il y a quelques temps. Mais comme j’essaie de me remettre à niveau côté neurologie ses derniers mois, j’ai été frappé de voir à quel point les mécanismes de fonctionnement de la mémoire nous sont à présent connus.
On ne peut qu’en conclure à une exploitation industrielle et commerciale à venir (et rapidement) des opportunités de faire évoluer technologiquement notre cerveau. A défaut de constitution d’un surhomme, le traitement de pathologies neurologique est d’actualité.
On peut être choqué par ces recherches et les implications négatives qu’elles peuvent avoir, et je le comprends. Mais, pour ma part, je trouve que c’est très stimulant.
Sur le sujet, lu avec intérêt « Comment pensent les bébés? »
Après le cerveau, Nintendo s’attaque à la plasticité du visage et du corps, via Rue89
wooow ces superbe jaime refléchir