Biper, être bipé

Jonathan Donner, chercheur à Microsft Research en Inde a exploré la pratique du « beeping » sur mobile, c’est-à-dire l’usage qui consiste à faire intentionnellement des appels manqués, en raccrochant avant que son interlocuteur n’ait pu décrocher.

Il a mis en évidence, trois types de pratiques et les règles d’usages qui vont avec :

  • les bips pour se faire rappeler, qui sont incontestablement les plus nombreux et qui correspondent, pour les plus jeunes notamment, à une pratique destinée à économiser leur forfait. Elles ont d’ailleurs leurs règles : on bipe des gens qui ont plus les moyens que soi ; on bipe des amis seulement quand on n’a plus de minutes à dépenser sur son forfait ou sur sa carte ; on ne bipe pas quand on a un service à demander à la personne qu’on appelle et enfin on ne bipe pas trop fréquemment ;
  • les bips prénégociés : le bip est un moyen d’activer un message du type, « viens me chercher maintenant », prédéfini entre les interlocuteurs ;
  • et les bips relationnels qui permettent de dire, sans mots ni textes, « je pense à toi ».
  • Cet usage semble en tout cas très répandu et pas seulement dans les pays en voie de développement, champ de l’étude de Jonathan Donner. Ce qui semble certain, explique le chercheur, c’est que le contexte est très important dans cette forme de communication, qui, si elle est proche du SMS, ne peut pas lui être confondue. Si on s’envoie des SMS pour les mêmes raisons, le bip est différent, car il est toujours gratuit et il s’interprète toujours dans contexte relationnel ou contextuel. Ce contexte et ces relations sont primordiaux : le sens des bips varie selon les relations entre les gens qui se les échangent, le contexte et le temps.
    Reste que la pratique du bip est encore en évolution, à l’heure où les opérateurs encouragent leurs usagers à biper moins souvent, notamment par de nouvelles fonctionnalités comme le transfert d’appel ou la messagerie instantanée sur mobile. Notons que la pratique s’est répandue au-delà des usages adolescents, et, « alors que les nouvelles vagues d’utilisateurs de mobiles vivent dans un contexte de ressources limitées, il est probable que la pratique du bip persiste, à la fois comme une simple stratégie de redistribution du coût des télécommunications et comme une forme de code, qui intentionnellement ou non, sert à renforcer les relations et les normes sociales. »

    Jan Chipchase, chercheur chez Nokia, remarque que pour réagir à cette pratique informelle prééminente, de nombreux opérateurs mettent en place des services permettant d’envoyer un SMS gratuit ou de renvoyer automatiquement un SMS prédéfini à tout appel raté (« Rappelez-moi ! » ; « Je ne peux pas vous parler maintenant, envoyez-moi un SMS » ; « Je vous ai raté, appelez-moi » ; « C’est important, appelez-moi ! »). Ce qui reste un peu court compte tenu des multiples façons dont un bip peut être interprété.

    Comme le suggère Jan Chipchase, cette forme de communication doit nous interroger. Pour chaque canal de communication, qu’est-ce qui peut-être communiqué gratuitement ? Comment traduire ces communications en quelque chose de plus significatif pour le récepteur ? Comment ces usages doivent-ils être pris en compte pour influer sur le modèle économique des opérateurs et des constructeurs ?

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