La photo comme limite du lifelogging

Les nouvelles technologies permettent d’enregistrer nos existences, de collecter et stocker images, vidéos et textes. Mais est-ce que cela fait sens pour les gens quand ils regardent ces amoncellements de données ?

Pour Daniela Petrelli du département des études de l’information de l’université de Sheffield, interviewée par Luca Chittaro, à l’occasion d’un atelier sur la mémoire qui s’est tenu à la conférence sur les interfaces hommes-machines de Florence, les technologies actuelles n’aident pas à organiser et à gérer nos collections numériques hétérogènes d’une manière naturelle. Les gens préservent des souvenirs numériques qui leur semblent précieux : des photos et des vidéos bien sûr, mais aussi des e-mails, des messages, des constructions numériques (photomontages, sites web…), mais leur valeur s’épuise alors qu’ils l’oublient dans leurs ordinateurs. « La principale différence entre le monde physique et numérique est la perception de l’encombrement », explique la chercheuse. Lorsque l’encombrement de l’espace physique augmente, les gens nettoient, trient, jettent et se débarrassent des choses devenues inutiles. Ce qui survit à ces années de nettoyage correspond à ce qui, dans la vie de son propriétaire, vaut le coup d’être conservé.

« Avec les souvenirs numériques, il n’existe pas de perception de l’encombrement et le processus de tri et de sélection ne se produit pas. Au final, les fichiers sont tous stockés, les plus importants avec les moins significatifs. Cela diminue leur valeur d’autant, de la même façon que les gens rechignent à ouvrir une grande boîte de souvenirs qu’il faut trier. » Quant à l’idée d’un moteur de recherche pour les souvenirs personnels, Daniela Patrelli l’écarte : « Cela ne semble pas être une bonne réponse parce que les gens oublient ce qu’ils conservent, à moins qu’ils réexaminent périodiquement les objets qu’ils conservent. »

Daniela Patrelli et son équipe ont comparé dans une étude ethnographique (.pdf) les souvenirs matériels aux souvenirs immatériels. Alors que les premiers sont partagés dans des espaces communs au coeur de la maison, nos souvenirs numériques sont enfermés dans l’ordinateur, un appareil conçu pour une utilisation individuelle. Les souvenirs numériques souffrent aussi de leur manque d’immédiateté : un objet de souvenir sur le buffet du salon n’a pas la même disponibilité qu’un diaporama de vacances. Le numérique est donc perçu comme transitoire et non durable, alors que le physique semble rassurant et persistant. L’étude a également montré que les photos n’étaient pas les objets de souvenirs majoritaires : beaucoup d’objets du quotidien sont investis d’une valeur de mémoire et nos souvenirs ne sont pas composés que d’évènements exceptionnels, au contraire. Alors que nous sommes encore les dépositaires d’objets de nos parents et grands parents, nos enfants et petits-enfants seront-ils lire nos photos numériques ?

Un propos à contrebalancer par les recherches que mène Siân Lindley du Groupe des systèmes socio-numériques de Microsoft Research, qui, lors de l’atelier sur les pratiques sociales autour de la photo, a montré comment la technologie peut faciliter l’édition, la discussion et la présentation de photos à des fins de sociabilité. Aujourd’hui, les outils de stockage et d’organisation des collections photographiques personnelles sont très limités. Sans compter que bien souvent, une seule personne à la charge de s’en occuper dans la famille. Le partage de photos est souvent vécu de manière négative, comme une perte d’intimité. Quand aux outils permettant leur partage, comme les cadres photos numériques, ils sont mal perçus, car ils proposent des photos de manière trop éphémères.

Photable, la table pour éditer des photos à plusieurs

L’atelier a donné lieu à des présentations sociologiques sur les manières dont se partagent les photos dans d’autres cultures ou avec d’autres technologies comme le téléphone mobile. D’autres présentations se sont intéressées à la découverte fortuite de photos pour rendre le partage plus spontané, ce que les logiciels permettent encore assez peu. Une présentation a insisté sur l’émergence de la vidéo instantanée (.pdf), des clips vidéos, entre la photo et le film, facilités par le mode opératoire de nos appareils et qui dessinent une nouvelle approche de la vidéo dans un contexte social. Une autre présentation (.pdf) a évoqué la création d’albums participatifs via téléphones mobiles. Deux présentations enfin évoquaient des tables d’édition de photos collaboratives et interactives comme PhoTable (.pdf) (voir Cruiser, l’ancien nom du projet du Groupe de recherche d’interaction adaptée entre l’homme et la machine) et PhotoHelix (.pdf) (voir également cette présentation de PhotoHelix).

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