En 2006, Time Magazine nous nommait, nous tous, « personnes de l’année« . L’explosion des blogs, des plates-formes de partage d’images, des réseaux sociaux, donnait le sentiment d’une prise d’assaut de l’univers médiatique par son propre public.
Mais en page intérieure du numéro de l’année suivante, l’hebdomadaire reproduisait presque la même couverture, avec un autre titre : « Personne de l’année : Eux« , eux les médias, les puissants, les influents.
Que s’est-il passé d’une année sur l’autre ? MySpace est devenu un système pour vendre de la musique. Des élections en France et ailleurs ont montré que, si l’internet offre un puissant moyen d’organiser les convaincus, ce sont encore les médias qui convainquent les indécis. L’argent de la publicité n’a pas afflué vers les sites sociaux, entre autres, comme a pu le constater Facebook, parce qu’elle n’y est pas facilement la bienvenue. Cela suffit-il vraiment ? Il doit bien y avoir autre chose !
Oui : la prise de conscience que le web « massivement relationnel » ne transforme pas à lui tout seul la vie démocratique, ni les médias. Qu’il faut le vouloir.
Portabilité, propriété
La discussion sur la « portabilité » des profils associés aux réseaux sociaux est sans doute la plus symbolique du moment.
Elle marque d’une part la fin d’une certaine naïveté vis-à-vis des acteurs du web 2.0 : Rupert Murdoch, Yahoo ! Time Warner, Google ou Microsoft y sont pour gagner de l’argent, pas pour transformer le monde en coopérative.
Mais elle signale surtout que l’explosion des « contenus générés par les utilisateurs » provient plus d’une soif de relation que d’une exigence de participation, au sens d’une intervention dans les décisions et processus collectifs. En nous distinguant en 2006, Time nous prêtait sans doute des intentions, voire des capacités, qui n’étaient pas les nôtres.
Le succès des blogs a pu faire croire que l’enjeu, pour les individus, était de devenir médias [1]. En fait, ils étaient pendant quelques années le meilleur dispositif pour s’exposer à son cercle de relation et pour l’étendre. En 2004, le blog était le logiciel relationel. Aujourd’hui, les réseaux sociaux tels que Facebook, Linkedin, Meetic et MySpace ont clairement pris le relais (et comme par hasard, l’annuaire des blogs Technorati a cessé d’évaluer le nombre de blogs depuis un an…). C’est le web tout entier qui révèle sa vrai nature : être une plateforme relationnelle.
Car c’est bien mon identité et l’enrichissement, l’extension, l’exploitation, l’évaluation et la projection de ma relation aux autres qui constitue le cœur du web 2.0. Un rapport de Morgan Stanley (.pdf) indique ainsi qu’en 2007, 16 % de notre temps en ligne était consacré à entretenir des connexions sociales, une activité que l’on ne mesurait même pas il y a 3 ans.
D’où le caractère central du profil et de la liste d’ « amis », et la montée d’une demande de « portabilité » qui est en fait une revendication de propriété : « c’est moi, c’est à moi ! »
La révolution des petits riens
Publier ses photos de vacances, partager son amour de Tokyo Hotel, dire dans quel état on s’est réveillé, organiser finement sa liste d’amis, ne relève vraiment ni de l’expression publique, ni de la « participation » au sens où l’entendent les militants des médias citoyens et de la « sagesse des foules ». Ces foules-là ne sont pas sages, même si elles peuvent être créatives ; leurs pratiques sont quotidiennes, ludiques, microsociales. Que peut-on en dire d’édifiant ? Pas grand-chose. En quoi cet « univers massivement relationnel » qu’est devenu le web (et, pour rejoindre Alexis Mons, que pourrait rapidement devenir tout l’internet) ressemble-t-il à cette « société de la connaissance » qu’on nous décrit depuis quinze ans ? Pas grand-chose non plus.
L’homme est un animal social et le web est son terrain de jeu. Mais nous savons mal rendre compte du jeu, du quotidien, des petites choses de la vie sociale. Nous avons du mal à parler de ce que nous proposions d’appeler l’Entrenet, cet univers des pratiques individuelles mais pas privées, coopératives mais sans intention ni but particulier, publiques sans y penser, communautaires sans communauté bien définie…
S’il y a une révolution internet, du côté des individus, c’est une révolution du quotidien, des routines, des petits riens.
Où trouver du collectif ?
Reste qu’il semble difficile de trouver du collectif dans ce web relationnel. Cela ne signifie pas qu’il ne se passe rien de collectif dans cet EntreNet, ni qu’on ne puisse rien en tirer vis-à-vis du fonctionnement des médias, de la culture ou de la démocratie. Mais il faut aller chercher ces effets à la loupe, en en épousant les pratiques, et en admettant qu’ils puissent être des résultats plutôt que des projets.
Les agrégations spontanées
Dans leurs travaux sur « la force des coopérations faibles« , Dominique Cardon et les équipes du laboratoire SENSE d’Orange Labs démontrent que, dans les espaces du web 2.0, les productions ou les organisations collectives sont le plus souvent des « émergences », des agrégations spontanées, qui se constatent a posteriori et ne doivent rien à une intention, voire à l’existence préalable d’une communauté quelconque.
Au contraire, cette forme de coopération se fonde d’abord sur l’individualisme, sur la volonté de se singulariser pour se relier aux autres. Mais à force d’étiqueter des lieux, nous pouvons changer notre perception de l’espace urbain ; à force de raconter son cas, des connaissances inédites s’accumulent dans les forums consacrés aux maladies orphelines ; à force de se comparer, les photographes de fleurs finissent par devenir une communauté dans FlickR…
Elle peut même émerger sans aucune intervention consciente des individus, comme l’imagine Tim O’Reilly en décrivant le sens collectif que l’on peut tirer des simples traces que laissent les individus.
Et pour que cela continue de marcher, il faut peut-être surtout ne rien en dire. Si les blogs et les forums ont, pendant quelques jours, efficacement suppléé à la carence des institutions et des médias juste après le cyclone Katrina, les tentatives de formaliser leur rôle en cas de futures catastrophes ont fait long feu.
L’outillage des coopérations
Le web équipe les coopérations, les dote d’outils pour s’organiser, produire ensemble, capitaliser, diffuser. Il est en revanche intéressant de constater que les dispositifs du « web social » (de RSS aux wikis, des « tags » aux plates-formes de partage, des réseaux sociaux aux agrégateurs…) outillent toutes les formes de coopération, des plus faibles aux plus fortes.
Ces outils leur permettent d’atteindre des échelles sans précédent de taille et de puissance. Qu’on pense aux Tibétains, à Wikipedia, aux référendums sur la constitution européenne, et à beaucoup d’exemples moins visibles mais tout aussi importants au sein des entreprises.
Mais on remarquera aussi que ces coopérations s’appuient sur des principes, des outils et des processus extrêmement simples et qui structurent très peu les processus de coopération. Il ne s’agit pas d’une collaboration organisée et planifiée, mais juste d’une « force brute » : celle du nombre.
En termes purement économiques, c’est sans doute formidablement inefficient. Mais humainement beaucoup plus satisfaisant.
Le décodage
Les réseaux sociaux ont cette particularité d’organiser, d’encoder les relations, donc d’en rendre le fonctionnement suffisamment explicite pour qu’il se traduise en programme informatique (en « lignes de code », qui sont en quelque sorte les composantes élémentaires du code social qui les tisse).
Or si l’on parle de « codes sociaux », cela indique qu’il leur faut d’habitude, pour fonctionner, un peu d’opacité. En cassant cette opacité, on ouvre une véritable boîte de Pandore : d’un coup, on sait si l’on est, ou non, l' »ami » de quelqu’un, si l’on fait partie de sa première ou de sa seconde liste, s’il est aussi l’ami de cette fille que je déteste, si cette petite attention m’est réservée ou non…
Les réseaux sociaux nous offrent de jongler avec ces codes devenus explicites, donc reprogrammables.
Cela vaut aussi pour nos relations aux grands systèmes : aux systèmes de scoring des entreprises avec lequel on jouera en remplissant leurs formulaires, à la ville que, grâce à Google Maps ou d’autres représentations en deux et trois dimensions, nous nous habituons à survoler, c’est à dire à voir dans son ensemble, à la même échelle que nous. Ce qui est une manière de prendre confiance et de s’autoriser à agir, à changer les choses, pour soi, pour ses proches, pour son quartier, pour le monde – la différence n’est peut-être plus aussi nette qu’auparavant.
Appeler la participation
On aurait donc tort de penser qu’un web massivement relationnel annonce, par construction, un monde massivement coopératif. Parce que ça n’est pas le problème principal des utilisateurs. Et parce que ça n’est pas du tout le problème des opérateurs des plates-formes du web 2.0.
L’internet et le web (2.0) peuvent outiller des formes de coopération, des expériences politiques inédites et fécondes. Mais ces formes ne s’étendront pas toutes seules au-delà du cercle restreint des activistes. Elles ne se passeront pas d’une volonté.
Alors d’où cette volonté pourrait-elle venir ?
- Des activistes, bien sûr, auxquels on devra (du moins au départ) les hacks qui libèreront nos profils, les initiatives collectives les plus innovantes, les formes juridiques les plus propices au partage, les méthodes de coopération et les formes de débat, etc.
- Des institutions. L’édition 2007 de Ci’Num proposait comme défi celui de « mailler institutions et réseaux dans la gouvernance d’un monde complexe ». C’est visiblement ce qui s’essaie au Royaume-Uni, où des acteurs publics s’engagent en faveur de la co-production avec les citoyens d’innovations sociales, de la science, du service public (voir aussi ici), de l’Etat, de la création citoyenne…
- Des médias, qui doivent à la fois apprendre à intégrer ce qui leur arrive de témoignages, d’images, de commentaires et de contributions plus structurées, à vivre avec la concurrence des médias personnels, et à redéfinir une médiation collective (et désormais facultative) entre l’information et ceux qui la reçoivent. Comment développer une médiation journalistique entre internautes et médias ?. Les règles professionnelles de hiérarchisation, de recoupement de déontologie, sont plus que jamais nécessaires pour faire le tri dans la masse, pour ne pas se contenter des apparences, pour différencier faits et opinions. Encore faut-il que les médias se l’appliquent à eux-mêmes.
- Des designers, qui sont sans doute mieux armés que d’autres pour relier l’individuel et le collectif, l’expressif et le jouissif. Un Bruce Sterling, ou encore les promoteurs de Jerusalem 2050, affirment clairement que c’est aujourd’hui aux designers de sauver le monde. Chiche !
- Qui d’autre ?
Et si je ne veux pas participer ?
La mutation vers le web relationnel est donc extraordinairement féconde, mais elle crée également ses propres problèmes. Nous en citerons trois :
- La « normativité participative » : allons-nous un jour nous voir reprocher de ne pas avoir publié sur le blog de notre entreprise ? Personne, ou presque, ne peut être actif partout. Réguler ses degrés d’engagement est une liberté essentielle, qui s’exerce clairement dans l’articulation des formes de communication en ligne. Et la communauté « Intelligence collective » animée par la Fing a montré que les « inactifs » remplissaient un rôle utile dans la vie d’un groupe.
Valoriser par dessus tout la participation active et verbale à un groupe reflète sans doute des valeurs assez occidentales, et fait appel à des compétences dont la distribution sociale est très inégale. Les nouvelles stars du web social valent-elles toutes mieux que les anciennes ? Et si ma manière à moi, c’est de réfléchir et d’agir en silence ? - La trop séduisante « sagesse des foules« (du titre de l’ouvrage de James Surowiecki, dont on peut si l’on veut lire ici une sévère critique), sur laquelle on est facilement tenté de s’appuyer en niant au passage celle des experts, des médiateurs, des scientifiques, des lobbies même… Séduction paresseuse et donc potentiellement dangereuse, lorsqu’elle dispense de chercher les rapports de force qui façonnent nos société, ou d’affirmer sa divergence qui façonne nos débats. Le propre de l’expert ou de l’intellectuel, c’est qu’on peut être en désaccord avec lui et par là, devoir formuler sa propre analyse.
L’internet donne corps et vie à des « intelligence collectives », avec des résultats souvent spectaculaires. Veillons à ce qu’il n’étouffe pas sous la masse l’idée qui ne s’exprime pas en ligne, celle qui ne parle pas la langue, celle qui est décidément trop neuve. - L’échange avant la création : dans le web social, la valeur, voire la légitimité se déplace de la production vers l’échange, du producteur vers le public – certes devenu, lui aussi, plus ou moins producteur. Les plates-formes sociales par lesquelles se découvre aujourd’hui la musique se fichent bien de promouvoir (et encore moins de financer) la création : on ne manque pas de musiciens qui rament ! Qui prendra le risque de soutenir une création ou une idée originale et qui coûte cher, dans la phase où l’on ne peut pas la présenter à un quelconque public ?
De petits déplacements en petits déplacements, c’est l’échelle des valeurs que nous partageons qui se transforme. Nous aurons sans doute à inventer une forme d’ « éthique 2.0 ». Qui commencera par le permis de s’en foutre, de s’investir ailleurs, de consommer, de rêvasser, de réfléchir très longtemps…
Pourrons-nous un jour retrouver les honneurs de la couverture de Time ? Peut-être, le jour où nous aurons vraiment, consciemment, pris la décision de changer la manière dont nous participons aux affaires du monde. Comme la consécration de nos efforts, donc, plutôt que comme une divine surprise.
Hubert Guillaud et Daniel Kaplan
[1] Devenir média est le titre d’un ouvrage d’Olivier Blondeau (avec la collaboration de Laurence Allard, Editions Amsterdam, 2007), mais celui-ci s’intéresse spécifiquement à l’activisme sur l’internet.
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Merci, merci, merci pour cet excellent billet qui brosse un tableau nuancé et global de la situation…il y a quelques jours, je rédigeais un article sur mon blog en faisant l’apologie de la participation active sur le web
http://florencemeichel.blogspot.com/2008/06/tim-oreilly-lhomme-ce-document-pour.html
En vous lisant, je me fais la réflexion que mes propos n’étaient pas assez clairs, quand je parlais de participation active, je pensais au droit de tout à chacun de choisir ce à quoi il a envie de participer OU PAS…ce qui s’oppose à la participation passive ou aucun choix n’est laissé dans l’exploitation qui en est faite…merci de m’obliger à préciser le fond de ma pensée !
Entièrement d’accord sur l’idée que nous avons à inventer DES formes d’éthiqueS 2.0 ! 🙂
Daniel, tu dis « les réseaux sociaux tels Facebook, etc. ».
A mon sens, le simple fait d’utiliser cette appellation « réseaux sociaux » pour désigner Facebook et consorts relève d’une forme de pollution sémantique dont l’effet est de semer la confusion et d’endormir l’opinion au profit de ces opérateurs et de ceux qui leur servent la soupe, et par voie de conséquence de tuer dans l’oeuf toute forme d’initiative alternative.
En deux mots, il ne faut pas confondre les « réseaux sociaux » qui sont tissés a priori entre les humains par toutes sortes de biais, et les « sites sociaux » qui on pour effet et pour objet de cartographier les dits réseaux.
Il va de soi que les réseaux sociaux sont modifiés par le simple fait d’être cartographiés (sous la forme de graphes sociaux). Mais ne confondons pas le CARTE et le TERRITOIRE!
D’autant qu’il existe d’autres manières de faire des cartes!
Deux modalités cartographiques existent:
1 – la plus courante, par l’entremise de « sites », et là on s’inscrit
dans une forme de « perspective temporelle » admettant comme point de
fuite le site en question (i.e. Facebook).
2 – par l’entremise du réseau lui-même. Dans ce cas, c’est une forme de
« perspective numérique » qui est à l’oeuvre, admettant comme point de
fuite le « code » sous couvert duquel les échanges sont opérés.
Ma thèse est que les deux formes de perspectives à l’oeuvre dans les réseaux (temporelle ou numérique) et les modalités cartographiques qui leur sont associées, n’entraînent pas du tout le même type d’interactions entre le « graphe social » (la carte) et le « réseau social » (le territoire), et ne fondent pas leur légitimité sur les mêmes critères, au sens topologique d’abord, puis moral, économique et politique, ce qui a des conséquences en terme de processus d’individuation.
Dans le cas 1, on est dans une « économie de l’attention ».
Dans le cas 2 dans une « économie du lien ».
Dans l’économie de l’attention actuellement dominante, la France et l’Europe ont définitivement perdu, et il me paraît criminel de continuer à envoyer nos jeunes cerveaux au front de la guerre économique dans le cadre de ces règles du jeu.
L’heure a sonné pour que tous ceux qui en ont marre de se faire traiter comme de la chair à canons face aux armes de destruction sémantique massives se lèvent!
GAME OVER, changeons l’Internet!
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=40935
Bonjour Daniel,
Vous dites : « la prise de conscience que le web “massivement relationnel” ne transforme pas à lui tout seul la vie démocratique, ni les médias. Qu’il faut le vouloir ». Et vous vous demandez de qui la participation pourrait venir.
Il est dommage que vous ne citiez pas les citoyens, leurs représentants démocratiquement élus, et les politiques dans leur ensemble.
Tout ce à quoi nous nous attendons depuis longtemps, grâce à quelques notions prospectivistes, se déroule sous nos yeux : la création d’une identité numérique, la généralisation (et la massification) des échanges dans la sphère virtuelle entre des personnes qui sont bien réelles, la révolution de la production qui transforme une économie de biens matériels (et sa codification depuis le XIX) en économie d’immatériels, les incidences sur la notion de propriété, l’ouverture de marchés où la domination d’entreprises (notion qui a également 2 siècles) est contestée par de simples individus ou groupes d’individus…
Tout ceci est malheureusement absent du débat politique, où l’on différencie encore le citoyen de l’internaute (quid d’un futur « toujours connecté »), le producteur du créateur de « bien culturel », le biographe du simple bloggeur, qui archive de lui-même et en temps quasi réel sa propre mémoire…
Toutes ces questions sont de société, toutes ces questions remettent en cause la Nation, l’Ordre, les hierarchies, la représentation populaire, les corps sociaux, la Culture. Il est dommage que ces problèmes très politiques, qui ont été l’occasion d’une révolution de velours, ne soient portés que par des « activistes » et des technophiles.
D’abord, deux observations.
1/ Les blogs ont atteind leur plafond il y a 18 mois quand le nombre de billets produits s’est mis à stagner (mais pas le nombre de blogs qui, lui, se renouvelle). Depuis, on peut dire que le blog est une chambre d’émergence de propositions médiatiques ce qui correspond à la stratégie d’une fraction (15% ?) des utilisateurs. Ils ont trouvé leur place et jouent leur rôle dans l’écosystème.
2/ L’argent de la publicité ne va pas sur les réseaux sociaux car ce ne sont pas bons transformateurs, leur taux de clic est naze. Maintenant, ils cherchent comment monétiser, ce qui explique la dynamique de portabilité qui, paradoxalement, ne procède d’aucune demande avérée des utilisateurs, quoi qu’en pensent beaucoup (et même si ça ne me plaît pas moi-même comme réalité ndr) !
Ensuite, le constat partagé, en effet, que le terreau social que le réseau est devenu se cristalise ici où là, éventuellement massivement, mais que ce n’est en effet pas intentionnel et pas durable non plus. Ça ressemble finalement beaucoup à ces pulsions sympathiques propres aux grandes catastrophes telles qu’on les observait d’avant le net et que les médias relayaient. Oui, le web n’est pas coopératif par nature, mais il peut l’être ponctuellement ou isolément, sur un certain laps de temps, sous une impulsion.
De fait, l’internet est devenu un moyen. Rien n’est substituant et tout s’articule, la société de l’information est une restructuration de la manière dont les influences et mobilisations peuvent s’effectuer. Actuellement, les médias, politiques et marques sont en cycle d’apprentissage ce nouvel écosystème social visible et aux réactions compliquées, dont on cherche encore les règles.
Pour le reste, en creux, tu poses, Daniel, la question de la gouvernance de cet espace, celle aussi de la place des politiques comme l’a bien compris Olivier Auber. Il me semble que, sur ce point, il y aurait beaucoup à dire !
Oui Olivier. Depuis que tu nous a mis la puce à l’oreille sur la différence entre sites et réseaux, on essaye vraiment de faire attention… Mais on a encore parfois des lapsus. Désolé.
@Julien, la liste n’était pas finie. Il y a certainement les citoyens organisés à ajouter – mais organisés !… Les politiques sont présents dans le cadre des institutions qu’ils président, et c’est dans ce cadre là que leur volonté est certainement le plus efficace, bien qu’aujourd’hui, c’est là où la transformation, l’adoption du numérique se fait souvent le moins (tous nos exemples sont britanniques).
A mon avis, Julien, nos actions numériques remettent en cause, sans remettre vraiment. Car on voit combien toute ces initiatives et ces contestations ont du mal à se transformer politiquement, à passer, dirais-je des coopérations faibles aux coopérations fortes, à impacter véritablement la gouvernance de la socité.
Oui Alexis, l’internet est devenu un moyen. Mais au service d’une foultitude de choses dont on cherche le sens et dont beaucoup n’en ont pas.
D’accord également avec toi et Olivier pour dire qu’aujourd’hui la gouvernance de cet espace pose problème et notamment sur l’absence d’espace public et l’absence de représentativité des utilisateurs…
Billet remarquable.
J’en retiens notamment ceci : l’impératif d’appartenance, que vous intitulez « normativité participative » : insupportable, oui. « Valoriser par dessus tout la participation active et verbale à un groupe reflète sans doute des valeurs assez occidentales, et fait appel à des compétences dont la distribution sociale est très inégale. » Aucun doute. À quoi j’ajoute : « On peut très bien et par dessus tout ne pas vouloir participer, comme on peut très bien changer de poste, ou simplement éteindre la télé… ou l’ordi.
« Et si ma manière à moi, c’est de réfléchir et d’agir en silence ? » Tout est dit.
hubert
merci pour votre réponse, mais je ne suis pas d’accord. « Nos actions remettent en cause sans remettre vraiment »…
Contre-exemple : L’émergence de la culture du libre (au sens américain « free ») a un impact économique – donc politique – fort. L’économie de la connaissance, qui via Lisbonne introduit une compétition très formelle a destructuré les modèles d’échanges scientifiques issus des anciennes « Académies » et autres « Sociétés », commencé avec les brevets. Ce n’est qu’une question d’évolution de l’appropriation. Et l’évolution du marché, où les ressources cerveaux ont remplacé les bras. Mais qui et comment gérer l’actuelle externalisation de la mémoire humaine? Est-elle appropriable? Valorisable en termes exclusifs de marché?
enfin, sur votre propos, pourquoi continuer à parler « d’utilisateurs » de cet « espace ». Cet espace fait partie intégrante de la société, et il n’y a pas à opérer un distinguo entre ceux qui utilisent et ceux qui seraient à l’extérieur. Vous savez comme moi que TOUT le monde sera utilisateur. Et l’évolution est une question sémantique : passer d’un « statut » d’internaute à une « existence » sur la Toile.
J’aimerai beaucoup pour ma part que le Neuromancien reste un bouquin de SF, et non d’anticipation…
Je ne pense pas que les nouveaux outils de communication, au rang desquels les réseaux sociaux, rendent des codes explicites. Plutôt leur apparition crée de nouveaux codes.
Chaque mode de communication dispose de caractéristiques propres (modalité – voix, écrits, autres, degré de synchronisme, audience – broadcast/pluricast, directionalité – unidirectionel/bidirectionel). Le choix d’un mode plutôt qu’un autre est porteur d’une intention : au-delà des codes qui sont propres à ce mode, il est lui-même partie intégrante du code. L’ensemble de ces codes font partie d’une stratégie de communication (plus ou moins consciente).
Dans une stratégie de communication, le message dit/écrit ne porte qu’une partie du sens. Le timing, ce qui n’est pas dit, etc… sont au moins aussi important. De la même manière qu’en tête-à-tête le langage du corps est réputé pour compter pour 80% du message. Successivement le téléphone, le répondeur, le mobile, l’email, l’IM ne se sont pas substitués les uns aux autres mais ont au contraire enrichi les possibilités stratégiques. Aujourd’hui, la lettre papier, libérée de son statut d’unique moyen de communication distant, est porteuse d’une intention particulière, et peut se réveler un moyen de capter l’intention très efficace.
Décidément la phase : « Les réseaux sociaux nous offrent de jongler avec ces codes devenus explicites, donc reprogrammables. » est bien intéressante…
One more time : « réseaux sociaux » est une terme impropre
(cf. mon précédent commentaire)
De même, il faut distinguer « codes sociaux », « codes informatiques » « codes cryptographiques », « codes de commutation » (canaux), etc.
Les « sites sociaux » établissent une sorte de continuum entre tous ces codes selon un certain point de vue et avec une certaine intention comme le souligne Joss. Leur légitimité dépend de leur capacité à faire partager ce point de cette intention, mais leur stratégie est bien souvent celle de la confusion: on se prétend légitime a priori, on se prétend « réseau » en espérant durer comme cela le plus longtemps possible.
Il est à prévoir des phénomènes de désamour aussi massifs que soudains… Il est temps de penser à construire la relève.
Rebond de Guillaume Narvic.
Jean-Marie Le Ray
Alexis Mons
Un web massivement relationnel est la première étape d’une économie de la relation et de son exploitation commerciale formelle. Cela a deja commencé. Je crois donc que l’entreprise sera l’acteur que vous n’avez pas identifié et sera celui qui en fera un outil coopératif.
très bien.