A l’occasion de la parution de « ProspecTic, nouvelles technologies, nouvelles pensées ? » par Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fing – un ouvrage pédagogique et de synthèse sur les défis des prochaines révolutions scientifiques (Amazon, Fnac, Place des libraires) -, il nous a semblé intéressant de revenir sur les enjeux que vont nous poser demain nanotechnologies, biotechnologies, information et cognition.
Maintenant que nous avons posé l’avenir des prochaines révolutions technologiques, observons les clefs pour comprendre et les défis qu’elles nous adressent.
Y a-t-il une convergence des sciences ?
L’idée d’une convergence entre les nanotechnologies, les biotechnologies, les technologies de l’information et les sciences cognitives (NBIC) a été introduite, en 2002, au travers d’un rapport de la National Science Foundation (NSF) américaine intitulé Les technologies convergentes pour l’amélioration des performances humaines (.pdf). Autour de cet objectif, il propose de fait une forme d’unification des sciences fondamentales et des technologies en partant de la physique comme base. Les deux auteurs, Mihail Roco et William Sims Bainbridge, indiquent ainsi :
« Une entreprise particulièrement exigeante consistera à développer une structure hiérarchique susceptible d’intégrer les sciences […] Depuis maintenant plus d’un siècle, les gens éduqués ont compris que la connaissance pouvait être organisée sous la forme d’une hiérarchie de sciences, avec la physique pour base, puis montant vers la chimie et la biologie, jusqu’à la psychologie et l’économie. Mais nous parvenons seulement maintenant à voir en détail comment chaque niveau de phénomène repose sur l’échelon du dessous et comment il informe ce dernier. Certains partisans de l’indépendance de la biologie, de la psychologie et des sciences sociales récusent un tel réductionnisme, affirmant que leurs divers champs de recherche avaient mis en lumière des vérités autonomes qui ne peuvent pas être réduites aux lois issues d’autres sciences. Mais une telle attitude centrée sur chaque discipline est autodestructrice, parce que toutes les sciences progresseront mieux dès lors que l’on reconnaît les connexions qu’elles entretiennent entre elles. »
Cette vision de la convergence part donc de l’unification des sciences pour permettre une articulation des différentes technologies entre elles. William A. Wallace, du Rensselaer Polytechnic Institute, participant aux séances de préparation du rapport, présente cela sous la forme d’un slogan :
Si les cogniticiens peuvent le penser
Les spécialistes de la nano peuvent le construire
Les biologistes peuvent le développer
Les informaticiens peuvent le surveiller et le contrôler.
Si la physique doit être à la base de la hiérarchie des sciences, alors les nanotechnologies occupent un rôle central en cherchant une maîtrise des composants de base : les atomes et les molécules.
La convergence des NBIC est fondamentalement une nanoconvergence pour reprendre le titre d’un livre plus récent de William Bainbridge (3), qui conseille de faire commencer l’éducation scientifique par les bases de la physique. Cependant, comme nous le verrons, d’autres approches sont également mentionnées dans le rapport américain. Cette vision de la convergence a ses adversaires, y compris aux État-Unis. Certains scientifiques contestent la pertinence d’un rapprochement fondé avant tout sur une notion d’échelle, le nanomètre. D’autres, tel l’ETC Group, ne remettent pas en cause le modèle théorique de cette unification des sciences mais en critiquent la finalité et l’utilisation par les États et les entreprises internationales. Ils s’inquiètent en particulier des conséquences sociales d’une convergence tournée vers l’amélioration de la performance humaine. L’ETC Group, avec un certain humour, a choisi de nommer la convergence : le BANG (Bit, Atomes, Neurones, Gènes).
On voit par ailleurs d’autres approches de la convergences qui mettent à la place centrale les propriétés globales des réseaux (à partir des mathématiques), les d’interaction (à partir des sciences de (à partir des sciences de l’information) ou encore l’influence de l’environnement (avec par exemple les algorithmes évolutionnistes).
Un des points communs entre les différentes sciences, qui sous-tendent les nouvelles technologies présentées dans cet ouvrage, est l’interaction entre un grand nombre de constituants (des atomes, des gènes, des cellules, des neurones, des personnes, des ordinateurs, etc.). En cela, elles ont en commun les règles issues des sciences de la complexité. Dans les différents chapitres de ce livre, chaque domaine a été abordé de façon plus ou moins approfondie par l’étude des constituants, des règles d’interaction, des propriétés globales du réseau et de l’influence de l’environnement. En cela nous pourrions parler d’un carrefour de la complexité. Il ne s’agit pas d’une convergence, car toutes les sciences ne peuvent se réduire aux sciences de la complexité, mais plutôt d’un point commun à chacune d’elles.
Des technologies convergentes… vers quoi ?
Que l’on considère ou non que les sciences convergent, il est important de choisir la finalité vers laquelle les technologies doivent tendre. En cela, les deux rapports, américain et européen, diffèrent profondément. Le rapport américain de la NSF annonce clairement la couleur : il s’agit d’améliorer la performance humaine. L’objectif de la convergence américaine a même souvent été présenté comme la production d’un supersoldat. Mais pour essayer de démêler les présupposés à l’origine du rapport, nous devons regarder les choses de plus près. La notion de performance humaine, et même d’homme augmenté, est-elle poussée par les institutions ou bien par les contre-cultures ? La technologie, outre ses indéniables progrès, sert-elle à alimenter le rêve pour rendre plus acceptables les applications par le plus grand nombre ou bien donne-t-elle à quelques fans de science-fiction une légitimité pour influencer les programmes de recherche ? Quoi qu’il en soit, une « convergence d’intérêts » a permis de rassembler autour de ce programme mobilisateur.
D’autres pays envisagent différemment les finalités des recherches actuelles. Le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) préfère parler de synthèse biosystémique et donner des buts tout autres : répondre aux besoins de santé et d’alimentation dans le monde. Un rapport de 2005 (Regard sur l’avenir : Les S-T pour le XXIe siècle) recense les secteurs jugés prioritaires : l’énergie, l’environnement (en particulier l’eau et le réchauffement climatique) ainsi que la santé et le bien-être. Il y a toujours le but de faire converger les efforts technologiques vers certaines applications. Mais les choix des applications stratégiques ne sont pas les mêmes qu’aux États-Unis.
La Commission européenne, dans son rapport de 2004 (Alfred Nordmann (rapporteur), Technologies convergentes, Façonner l’avenir des sociétés européennes), articule la notion de convergence autour des TCSCE (technologies convergentes pour la société de la connaissance européenne, en anglais CTEKS pour Converging Technologies for the European Knowledge Society). Il s’agit ici de renforcer et articuler les sciences et les technologies qui concourent aux objectifs européens. La stratégie, définie par l’Union européenne lors du sommet de Lisbonne en 2000, cherche à rendre compatible la performance économique avec les besoins environnementaux et sociétaux. Le rapport de 2004 associe, à des scientifiques « durs » et des technologues, des spécialistes des sciences humaines et sociales (historiens, sociologues). Il intègre une réflexion éthique sur « les dimensions morales et sociales des technologies convergentes ». Il incite également à multiplier les débats entre les acteurs : « Les États membres et les pays associés sont encouragés à stimuler les débats nationaux sur les TC et la perspective des TCSCE. »
Jean-Michel Cornu
Extrait de ProspecTic, nouvelles technologies, nouvelles pensées, FYP Editions, 2008. Si vous souhaitez lire l’intégralité de ProspecTic, vous pouvez le commander à votre libraire, sur Amazon, sur le site de la Fnac ou via Place des libraires par exemple.
0 commentaires
Mettre six liens, en début et fin d’article, vers des sites marchands pour tenter de me faire acheter un soi-disant « ouvrage pédagogique et de synthèse sur les défis des prochaines révolutions scientifiques », là où le peu qu’il m’a été donné à lire de son auteur a suffit pour m’en faire une idée parfaitement claire. Un usage grotesque de néologismes (« nanoconvergence », excusez-moi, mais ça ne veut rien dire), une maîtrise limitée des tournures courantes du français(« nous avons posé l’avenir », « observons les clefs pour comprendre », etc.), des pseudo-découvertes (le caractère architectonique et hiérarchique des sciences est présenté au Livre I de l’Ethique à Nicomaque d’un certain Aristote, il y a 2500 ans aux ignorants de son époque, mais il en reste) et un réductionnisme outrancier et simpliste qui n’était jamais que le projet du néo-positivisme du Cercle de Vienne, avec le succès que l’on sait, etc.
Soit dit en passant, réussir le tour de force de déceler « une réflexion éthique » dans une commission de bureaucrates, il fallait oser!