Comment la ville nuit-elle à notre cerveau ?

La ville a toujours été le moteur de la vie intellectuelle, rappelle le journaliste spécialisé dans le domaine de la cognition, Jonah Lehrer, auteur de l’excellent Proust was a neuroscientist (Proust était un neuroscientifique) et du récent How we decide (Comment nous décidons) dans un article du Boston Globe. Reste que l’on sait encore mal comment elle agit sur notre cerveau.

La ville n’est pas propice à la concentration

Office building par Andrea CampiDes chercheurs américains et australiens commencent à montrer que le simple fait de vivre dans un environnement urbain à des effets sur nos processus mentaux de base. Après avoir passé quelques minutes dans une rue bondée, le cerveau est moins en mesure d’organiser les informations qu’il reçoit dans la mémoire, explique le psychologue du Laboratoire de neuroscience cognitive de l’université du Michigan, Marc Berman. A l’inverse, la nature serait un élément extrêmement bénéfique pour le cerveau : des études ont même démontré que des patients d’hôpital qui peuvent voir des arbres de leurs fenêtres se rétablissent plus rapidement que ceux qui en sont privés.

Alors que la majorité de la population réside dans les villes, les environnements de béton et d’automobiles auxquels nous sommes confrontés auraient des incidences sur notre santé mentale et physique, jusqu’à modifier la façon dont nous pensons. Les neuroscientifiques et les psychologues commencent à s’intéresser à l’aménagement urbain pour qu’il cause moins d’atteinte à notre cerveau. La plantation d’arbres en centre-ville ou la création de parcs urbains peuvent ainsi réduire de façon significative les effets négatifs de la vie urbaine. Quand on se promène en ville, notre cerveau, toujours à la recherche de menaces potentielles, doit gérer les multiples stimuli liés à la circulation et à la vie urbaine. La gestion de telles tâches mentales, apparemment anodines, a tendance à nous épuiser, car elle exploite l’un des principaux points faibles du cerveau : sa capacité de concentration. Une ville est si débordante de stimuli que nous devons constamment rediriger notre attention pour ne pas être distraits par des choses sans importance comme une enseigne clignotante ou des bribes de conversations. « L’esprit est comme un puissant super-ordinateur, mais le fait de prêter attention consomme une grande partie de sa puissance de traitement. »

La vie en milieu naturel en revanche ne nécessite pas la même quantité d’effort cognitif. En fait, les milieux naturels sont tout autant remplis d’objets qui capturent notre attention, mais qui ne déclenchent pas de réponse émotionnelle négative (contrairement à une voiture ou à une foule de piétons) ce qui fait que le mécanisme mental qui dirige l’attention peut se détendre en profondeur. Selon la dernière étude publiée par l’équipe de Marc Berman, deux groupes d’étudiants se sont promenés, les uns dans les rues animées les autres dans un parc et ont subis ensuite une série de tests psychologiques de mémoire et d’attention. Ceux qui s’étaient promenés en ville ont moins bien réussi les tests que ceux qui se sont promenés dans un parc.

Les stimuli de la ville épuisent notre capacité à nous auto-contrôler

La densité de la vie en ville n’influe pas seulement sur notre capacité à nous concentrer. Elle interfère également avec notre capacité à nous auto-contrôler. Lors d’une promenade en ville, notre cerveau est également sollicité par de nombreuses tentations consuméristes. Y résister nous oblige à nous appuyer sur le cortex préfrontal, la même zone que celle qui est responsable de l’attention dirigée et qui nous sert à éviter le flot de circulation urbain. Epuisé par la difficulté à gérer notre déambulation urbaine, il est moins en mesure d’exercer ses capacités d’auto-contrôle et donc nous rend plus enclins à céder aux tentations que la ville nous propose. « Je pense que les villes révèlent la fragilité de certaines de nos « plus hautes » fonctions mentales », explique Frances Kuo, directrice du Laboratoire du paysage et de la santé humaine à l’université de l’Illinois. « Nous prenons ces talents pour acquis, mais ils ont vraiment besoin d’être protégés. » Des recherches ont montré que l’augmentation de la charge cognitive liée à la vie urbaine rend les gens plus susceptibles de choisir un gâteau au chocolat au lieu d’une salade de fruits. La ville subvertit notre capacité à résister à la tentation consumériste, avancent même certains spécialistes.

La vie urbaine peut aussi conduire à la perte de contrôle de ses émotions. Kuo et ses collègues ont montré que la violence domestique était moins fréquente dans les appartements avec vue sur la nature que ceux qui n’ont vue que sur le béton. L’encombrement, les bruits imprévisibles ont aussi des effets sur l’augmentation des niveaux d’agressivité. Un cerveau fatigué par les stimuli de la ville est plus susceptible de s’emporter. Mais les pelouses ne suffisent pas à notre bien-être. Dans un article récent, Richard Fuller, un écologiste de l’Université du Queensland en Australie, a démontré que les bénéfices psychologiques d’un espace vert sont étroitement liés à la diversité de sa flore. « Nous nous inquiétons beaucoup des effets de l’urbanisation sur les autres espèces », dit Fuller, « mais nous sommes également touchés par elle. »

Quand un parc est bien conçu, il peut améliorer le fonctionnement du cerveau en quelques minutes. Comme le démontre l’étude de Marc Berman, pour améliorer notre attention et notre mémoire, se promener dans un environnement naturel peut être plus efficace que le dopage. « Compte tenu de la myriade de problèmes de santé mentale, qui sont exacerbés par la vie en ville, de l’incapacité de prêter attention au manque de maîtrise de soi, la question demeure : Pourquoi les villes continuent-elles de croître ? Et pourquoi, même à l’ère de l’électronique, est-ce qu’elles continuent d’être les sources de la vie intellectuelle ? », s’interroge Jonah Lehrer. C’est parce qu’elles ont aussi l’avantage de concentrer les interactions sociales qui sont une des sources de l’innovation et de la créativité, expliquent les scientifiques de l’Institut de Santa Fe, sur le modèle de la réflexion que menait récemment Pekka Himanen sur la glocalité des réseaux d’innovation.

Nous ne retournerons pas à la campagne demain, mais peut-être pouvons-nous apprendre à construire des villes qui soient moins agressives et plus respectueuses des limites cognitives de notre cerveau.

_____
Image : cc Andrea Campi.

À lire aussi sur internetactu.net

0 commentaires

  1. Given your content is licensed as Creative Commons, you should pay more attention to the license of the content you use.
    Providing a plain text, readable attribution line naming the author of a photo is a common courtesy, but in this case it’s mandatory since the license is « Attribution-Noncommercial ».

  2. I’m sorry Andrea. The lack of mention of your name was an oversight (there was a link from the photo). If you wish, we can remove your picture.

  3. no, it’s fine, mistakes can happen, no harm done 🙂 thanks for fixing it

  4. Tout à fait d’accord avec l’article, je l’ai moi-même expérimenté. J’ai fait la plupart de mes études à Paris, et j’en avais vraiment raz-le-bol, avec l’impression d’avoir un cerveau surexcité par des stimuli inutiles. J’ai décidé de faire ma thèse de doctorat en Nouvelle-Zélande, avec 4 millions d’habitants pour un pays moité-moins grand que la France, et mes capacités à observer, analyser, synthétiser sont nettement meilleures. De plus, étant en biologie, j’étais choqué en faisant visiter des réserves naturelles en Bretagne aux touristes parisiens par leur faible capacité à observer. Ils ne voyaient rien, même en pointant un oiseau à 2 mètres d’eux. En ville, pour s’économiser face à toutes ses agressions, on apprend à fermer nos sens, car on ne veux pas voir toutes ces pubs, on ne veut pas sentir toutes ces odeurs désagréables, on ne veut pas se faire toucher par nos voisins dans le métro, on ne veut pas entendre toutes ces voitures et klaxons… Désolé mais ce n’est plus pour moi. Et quoique les gens disent, n’importe qui a le choix d’où il vit, il suffit juste de s’organiser et d’oser. Mais c’est sûr qu’il faut oublier certaines bonnes choses de la ville quand on la quitte.

  5. Merci pour ces informations.
    Vous souvenez-vous, dans les années 70-80 (oui, j’ai 43 ans) ? On entendait des voix post-soixante-huit, vaguement écolos, qui clamaient pour la préservation, le retour des espaces verts dans les villes. Des années plus tard, quelques études de plus et toujours beaucoup de béton (sauf à Fribourg ;-).
    Sans doute, dans toutes les époques, la richesse des villes a créé l’exode rurale. Et pour ceux qui peuvent se le permettre ensuite, seule reste la fuite de ces hyper-concentrations pour revenir dans des cités à taille humaine (je ne saurais en donner une définition, un ressenti propre à chaque individu…), voire carrément retourner dans le larzac pour les plus extrémistes.
    Paradoxalement, l’urbanisme moderne nous propose des constructions de très grande hauteur, auto-suffisante en énergie, disposant d’espaces verts intégrés, etc… Les effets de la surpopulation nous réserve encore bien des surprises. Et est-ce que ce que trouve pour nuisible certains occidentaux l’est pour d’autres habitants des mégalopoles telles Shangai, Mexico, Bangkok…? Encore une notion ‘ville 3.0’ où l’on cherchera à savoir si nous sommes tous égaux dans la ville, sur toute la planète.