Il n’y a pas de solution imparable pour protéger les enfants sur l’internet

Selon un rapport publié par l’Internet Safety Technological Task Force et le Berkman Center for Internet and Society de l’université d’Harvard, intitulé Enhancing Child Safety & Online technologies (Améliorer la protection des enfants et les technologies en ligne), il n’y a pas de solution imparable pour protéger les enfants sur l’internet.

The waiting Game, par Shavar :  http://www.flickr.com/photos/shavar/27049857/
Image : cc par Shavar.

Le premier risque que rencontrent les enfants en ligne vient des autres enfants !

L’étude montre tout d’abord que dans la plupart des cas, les adolescents sollicités par des adultes sur l’internet sont conscients du caractère sexuel de ces sollicitations. Mais les chercheurs signalent surtout la nécessité… d’en savoir plus sur les réels risques encourus par les enfants. Ainsi, les sollicitations sexuelles de mineurs à mineurs sont beaucoup plus fréquentes, mais demeurent elles aussi à ce jour insuffisamment étudiées. Si on a coutume de dire qu’un mineur sur cinq fait l’objet d’avance sexuelles via l’internet, 90 % de ces « avances » sont le fait de personnes du même âge. Selon les chercheurs, entre 2000 et 2006, le pourcentage de jeunes qui disent avoir fait l’objet d’avances sexuelles sur internet aurait même diminué (passant de 19 à 13 %). Par ailleurs, beaucoup de ces propositions tiendraient plus de la plaisanterie que d’une véritable invitation à passer à l’acte : le problème étant bien évidemment, là encore, d’arriver à mesurer un phénomène souvent plus subjectif qu’objectif, rappellent les chercheurs. Dans quels cas, se faire accueillir sur un tchat ou un forum privé par un « Déshabille-toi » ou « Tu veux voir ma… », est-il une sollicitation directe ou une formulation générationnelle – peu heureuse certes -, comme l’explique au Figaro, l’association Action Innocence, une association de lutte contre la pédophilie en ligne.

Faut-il s’étonner que les adolescents découvrent leur sexualité avec les outils qui sont les leurs ? Comme le montre une autre étude (.pdf) commandée par une association américaine de prévention contre les grossesses non désirées chez les adolescentes (et rapportée par Numerama), un adolescent américain sur cinq et un jeune adulte sur trois ont déjà envoyé des photos ou des vidéos d’eux-mêmes nus ou à moitié nus par l’internet ou par téléphone mobile. Et ils le font le plus souvent en toute conscience : les 3/4 des jeunes sondés reconnaissent qu’envoyer des contenus sexuellement suggestifs « peut avoir des conséquences négatives sérieuses » et 44 % savent que ces contenus peuvent être partagés avec d’autres personnes que les premiers destinataires. On le comprend à cet exemple, ce sont les conséquences sociales de ce qu’ils font sur l’internet, qui sont importantes à comprendre pour les enfants.

L’étude de l’Internet Safety Technological Task Force montre également que les menaces les plus fréquentes auxquelles sont confrontés les mineurs sont l’intimidation et le harcèlement par les pairs, tant en ligne, que dans la vie réelle. Moins que des espaces de prédation sexuelle, les sites sociaux sont plus souvent utilisés dans des cas de harcèlement, parce qu’ils sont largement utilisés par les jeunes et qu’ils tendent à renforcer les relations sociales préexistantes, même dans leurs formes les plus détestables.

Certes, l’internet augmente la disponibilité de contenus nuisibles, problématiques ou illégaux, mais sans pour autant augmenter démesurément l’exposition des mineurs à ces contenus. L’exposition à la pornographie en ligne est possible, mais ceux qui sont le plus susceptibles d’y être exposés sont ceux qui la cherchent, notamment les adolescents masculins les plus âgés. Et les mineurs ne sont pas égaux face aux risques en ligne, explique le rapport. Ceux qui sont le plus soumis à des risques ont souvent des comportements à risque et éprouvent des difficultés dans leur vie réelle. Le fonctionnement de la famille de certains mineurs constitue un meilleur indicateur des risques auxquels ils sont exposés que l’utilisation de certains médias ou de certaines technologies.

Il n’y a pas de solution technologique à la sécurité en ligne des mineurs

Le groupe de travail a également examiné d’une manière détaillée (.pdf) une quarantaine de technologies susceptibles d’aider à la protection des mineurs sur l’internet regroupée en 5 grandes familles : les technologies de vérification d’âge et d’identification ; les technologies de filtrage, de surveillance et d’audit ; les technologies d’analyse de textes (pour déterminer l’âge des discutants ou créer des alertes sur certains contenus…), les technologies de biométrie et les technologies de profilage et d’identification individuelle (qui permettent le repérage nominatif d’individus suspects en croisant les données sur les membres d’un réseau et des données de police par exemple). Selon les experts, ces technologies commencent à prouver leur efficacité, comme le montre le travail que réalise MySpace en matière de surveillance de ses membres ou de croisement de ses abonnés avec des fichiers de délinquants sexuels, explique la Technology Review.

Mais ces technologies posent à leur tour des problèmes. Le respect de la vie privée est l’un d’entre eux. Leur coût (en argent, en temps, en acquisition de compétences…) pour les familles en est un autre, même si les chercheurs ont constaté que ce sont les principaux sites sociaux eux-mêmes qui bien souvent innovent pour améliorer la sécurité des mineurs qui les utilisent.

Et puis, si ces mesures s’avèrent le plus souvent utiles pour atténuer les risques, aucune n’est imparable : « Le Groupe de travail reste optimiste sur le développement de technologies pour améliorer la protection des mineurs en ligne et pour soutenir les institutions et les individus impliqués dans la protection des mineurs, mais met en garde contre une approche qui reposerait sur la seule technologie. La technologie peut jouer un rôle utile, mais elle ne résoudra pas à elle seule le problème de la sécurité des mineurs en ligne. Seule une combinaison de technologies et d’accompagnement parental, éducatif, social, législatif et politique (…) peut aider à résoudre des problèmes spécifiques que les mineurs rencontrent en ligne. »

Dans ses recommandations, le Groupe de travail ne demande donc pas au procureur général qui a commandité l’étude d’approuver ou de soutenir une technologie ou une autre, mais plutôt de favoriser le travail commun des membres de la communauté internet avec les chercheurs, les experts, les services sociaux pour développer des technologies, fixer des normes, partager des données, promouvoir les bonnes pratiques. Les recommandations insistent enfin sur le fait que parents, professeurs, accompagnateurs et personnels soignants doivent se renseigner sur la manière dont leurs enfants utilisent l’internet pour utiliser de bons outils, améliorer la sécurité, s’impliquer dans l’utilisation d’internet des enfants et surtout être attentifs aux mineurs à risques.

La tentation de l’hypercontrôle, une anti-éducation

L’occasion encore une fois pour la sociologue danah boyd, qui faisait partie du comité d’expert qui a rédigé ce rapport, d’enfoncer le clou, par rapport aux propos qu’elle tenait déjà il y a quelques semaines (cf. Sur l’internet, les enfants ne s’éduquent pas seuls) : « la question ne devrait pas être de savoir si l’internet est sûr ou pas sûr, mais de savoir si les enfants vont bien ou pas. Et nombre d’entre eux vont mal. »

Je crois fermement, poursuit-elle, que nous devrions arrêter de parler d’internet comme la cause et commencer à prendre l’internet comme le mégaphone qu’il est. L’internet rend visible la manière dont de nombreux enfants ne sont pas bien dans leurs baskets. « Il n’y a pas de solution magique. Les problèmes qui existent ne peuvent pas être résolus en empêchant les adultes de communiquer avec des mineurs, ni par le filtrage de contenus. (…) Il est enfin essentiel d’impliquer les jeunes, car nombre d’entre eux se livrent à des comportements à risques en raison bien souvent de facteurs externes qui doivent être abordés. »

Comme l’explique très bien Pierre Mounier d’Homo-numericus en faisant référence à la thèse que danah boyd vient brillamment de soutenir et de publier en ligne sur son blog, « finalement, c’est la notion même de vie privée qui apparaît transformée et faire l’objet du plus grand malentendu entre adolescents et adultes : alors que ces derniers la comprennent essentiellement comme l’interdiction de l’accès aux informations les concernant, les adolescents la conçoivent plutôt comme un contrôle sur cet accès »

« Plus intéressant encore », souligne Pierre Mounier, « est le constat fait par la chercheuse, que la multiplication des discours alarmistes sur les dangers réels ou supposés des réseaux sociaux aboutit à des effets strictement inverses à ceux qui sont souhaités. Ainsi, angoissés par ces messages à répétition, les parents sont tentés de vouloir surveiller les activités de leurs enfants sur ces réseaux, de les décourager ou pire, de les empêcher, toutes choses qui aboutissent à une seule chose : encourager ces adolescents à dissimuler leurs pratiques. danah boyd insiste beaucoup là-dessus et ce faisant, elle porte un message politique fort : la tentation de l’hyper-contrôle constitue une anti-éducation qui renforce le clivage entre les générations, conduit les adolescents à refuser tout contact avec les adultes, et leur apprend à mentir. »

La parentalité numérique, c’est d’abord de la parentalité

La défenseure des enfants, Dominique Versini, ne disait pas autre chose à l’AFP : « les jeunes déplorent l’ignorance des adultes sur l’internet ». Ce n’est pas l’outil qui est dangereux, c’est de laisser les enfants l’utiliser seuls. De la même manière que l’on éduque nos enfants à se comporter en société, il nous faut les accompagner dans l’utilisation des outils numériques. Il faut en particulier aider les enfants à comprendre que ce qu’ils font sur l’internet a des conséquences et que c’est à eux d’en être maîtres. En particulier, si l’information qu’ils postent aujourd’hui sur le web ou qu’ils envoient à leurs amis leur semble insignifiante ou amusante, il n’en sera peut-être pas de même dans quelques années, comme l’explique Lidija Davis sur le ReadWriteWeb qui rappelle que ces outils ne proposent pas vraiment de bouton « effacer ».

La parentalité numérique, c’est d’abord de la parentalité, pas de la technologie. Comme le rappelle très pédagogiquement André Gunthert, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, commentant la même étude, « aucune solution technique ne peut exonérer d’une démarche éducative et sociale ». C’est à nous à nous intéresser à ce que font nos enfants.

Ce n’est pas tant l’enfant qui doit être protégé que l’adulte qui doit savoir l’accompagner, qui doit savoir lui donner quelques règles pour utiliser ces outils. La règle n’est pas nécessairement de lui fournir un téléphone mobile à son entrée en 6e, ou un accès à l’internet dans sa chambre, mais bien d’expliquer à son enfant comment l’internet fonctionne non pas techniquement (ils le savent mieux que nous), mais socialement.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Intéressante approche sur ce sujet également que le billet de Nicolas Voisin, l’internet est une rue… : « Parents, Internet n’est pas bon ou mauvais, comme une rue n’est pas “bonne ou mauvaise”. Internet est ce que l’on y fait. Le web est riche des rencontres et découvertes que vous y ferez. Mais ne pas tout y révéler est une évidence qui mériterait plus d’attention et moins de paranoïa. Interdiriez-vous à votre enfant de sortir de chez lui ? »

  2. Il ne peut pas y avoir de solution imparable de protection tout court (sur Internet ou ailleurs, pour les enfants ou les adultes).
    Imparable, dans ce cas on va revenir à l’histoire du couteau qui peut service à éplucher une pomme ou tuer son voisin. Ca s’applique à tous les domaines alors Imparable…..
    Bon il faut apprendre, s’informer, éduquer, expliquer et surtout ne pas laisser les enfants, les ado et même les adultes débutants seuls face à Internet.
    Il y a aussi des règles de bon sens, des choses que l’on ne ferait pas dans la vraie vie, que l’on ne doit pas plus ou moins faire sur Internet ou à travers n’importe quelle technologie.
    Dans le village où je suis j’anime un atelier là dessus 2 fois par an. J’utilise le DVD e-enfance, les sites Vinz et Lou, Internet sans crainte qui sont excellents et pleins de ressources, trop souvent ingorées.
    Alors expliquons, faisons réfléchier et ne laissons jamais personne sans réponses face à Internet enfant ado et adultes….

  3. Le rapport est très intéressant, mais je voudrias souligner l’envers du décor.

    Voici ce que le Sénateur Blumenthal, qui est à l’origine de ce travail déclarait au New York Times le 14 janvier :

    “Children are solicited every day online,” Mr. Blumenthal said. “Some fall prey, and the results are tragic. That harsh reality defies the statistical academic research underlying the report.”
    ( http://www.nytimes.com/2009/01/14/technology/internet/14cyberweb.html )

    Autant dire : la recherche, les faits, les statistiques ne pèsent de rien face à l’idéologie. C’est une tendance assez forte parmi les politiques aujourd’hui, et nous devons en tenir le plus grand compte.