WolframAlpha : Une nouvelle sorte de science pour une nouvelle sorte de moteur de recherche

Aujourd’hui, vous avez sans doute déjà visité et utilisé WolframAlpha, et, selon vos préférences, vous l’avez trouvé plutôt extraordinaire, ou (surtout si vous êtes peu porté sur les chiffres), globalement décevant. Difficile pour l’instant de juger l’engin, qui n’en est, nous affirme-t-on, qu’à ses débuts (un truc à noter pour les collégiens et lycéens : il donne la solution des équations et trace les courbes de fonctions !). En revanche, on peut déjà se poser des questions sur sa signification exacte, et se demander si sa naissance constitue ou pas une date mémorable dans l’histoire de l’informatique et dans le domaine de l’intelligence artificielle notamment.

Car pour son créateur, le physicien Stephen Wolfram, également créateur du fameux logiciel Mathematica, pas de doute. Si WolframAlpha est important, explique-t-il sur son blog, c’est parce qu’il constitue la première « killer application » de ses théories sur la vie l’univers et le reste, théories qu’il exprimait dans son monumental (au moins par le poids) ouvrage, A New Kind of Science (Une nouvelle sorte de science), sorti en 2001 (disponible en ligne).

Stephen Wolfram, le créateur de WolframAlpha
Image : Stephen Wolfram, le créateur de Wolfram Alpha par Hybernaut.

L’informatique est le socle de la structure du monde

La couverture du livre A new kind of scienceQu’affirmait NKS (comme on a affectueusement surnommé ce livre) ? En gros, deux propositions assez radicales. La première est que tout dans l’univers, y compris des catégories aussi fondamentales que l’espace et le temps, est le produit de programmes, d’algorithmes.

Autrement dit, le postulat en cours depuis Newton selon lequel les mathématiques étaient le langage de choix pour comprendre l’univers était une mauvaise habitude. En, fait, le socle de la structure du monde, ce ne sont pas les maths, c’est l’informatique. Et comme disait en 2001 le physicien Rocky Kolb dans Wired, si le mathématicien Charles Babbage, précurseur de l’informatique, était venu avant Newton, toute notre vision du monde en aurait été changée.

Mais l’autre postulat est encore plus radical. Non seulement l’ensemble de notre cosmos est le produit de programmes informatiques variés, mais ceux-ci sont de surcroit simples et courts. Ce qui caractérise ces petits programmes (dont les automates cellulaires comme le jeu de la vie sont l’exemple le plus typique ) c’est qu’au fur et à mesure de leurs itérations, ils produisent des résultats de plus en plus complexes. Certains de ces programmes possèdent en effet une telle propension à créer du nouveau qu’ils sont pour toujours imprévisibles. Pour Wolfram, le programme ultime, celui dont dérive tous les autres, le programme Dieu à l’origine de l’univers, pourrait être représenté sous la forme d’un code mathématique de quatre ou cinq lignes au maximum. En fait, ce pourrait être un algorithme assez trivial et ennuyeux, a même supposé Wolfram, apparemment difficile à distraire…


Vidéo : un exemple d’automate cellulaire imitant le « jeu de la vie », ou comment quelques règles simples peuvent donner des figures complexes.

De cela Wolfram tire le principe d’équivalence computationelle, qui peut s’exprimer ainsi : tout phénomène existant atteint le maximum de complexité possible. Il n’existe pas de choses « simples » en opposition à des choses « compliquées ». Cette différence dans la sophistication tient aux résultats fournis par les programmes, non à la complexité de leur mécanisme interne. L’algorithme de base, lui, est toujours simple, qu’il soit à l’origine d’une pierre, d’une fleur, d’un humain ou du cosmos entier.

Mettre en équation les connaissances humaines

Tout cela est bel et bon. Très philosophique, métaphysique. Mais quel rapport avec WolframAlpha ?

Tout d’abord, cela rend possible l’idée d’une machine comprenant le langage humain et capable de calculer des réponses. Jusqu’ici, on a pensé que cela impliquerait un programme très compliqué. Or, il n’existe rien de compliqué. Comme l’explique Wolfram à l’écrivain Rudy Rucker, dans un podcast associé à une interview pour la revue h+, le magazine transhumaniste, « si la connaissance humaine est finie et qu’elle peut être réduite à quelques primitives computationnelles, le projet cesse d’apparaitre comme fou ».

De plus, ce principe d’équivalence entre les programmes ouvre la porte à une méthodologie originale. La nouvelle méthode scientifique s’apparente à une zoologie. En fait, le rôle du chercheur est maintenant de répertorier comme le ferait un naturaliste l’ensemble des programmes courts possibles. Par bien des côtés, New Kind of Science ressemble ainsi à une espèce de bestiaire de programmes, certains aux effets limités, d’autres possédant des possibilités beaucoup plus larges. C’est cette méthodologie, qui, si l’on écoute Wolfram, serait à la base de la méthode employée pour WolframAlpha.

« Plus spécifiquement », explique-t-il à Rucker, « nous avons utilisé la notion propre à NKS de chercher dans l’espace des computations possibles pour trouver les règles à utiliser pour comprendre les inputs de l’utilisateur. (…) Donc nous créons une grosse liste de cas types et leur appliquons une multitude d’algorithmes. Et nous utilisons également les méthodes de recherche de NKS pour concevoir les pages web personnalisées dans lesquelles nous présentons nos données. « 

Lorsqu’il analyse une phrase en langage naturel, l’opération consiste, précise Wolfram dans le podcast, à essayer de la formaliser sous une forme symbolique, mathématique, et ensuite à trouver la réponse associée. Il s’agirait donc d’une espèce de « lit de Procuste », c’est-à-dire une tentative de réduire l’ensemble à un seul modèle : soit la question entre dans un des nombreux modèles utilisés par WolframAlpha, soit elle est rejetée.

Autrement dit, plus besoin de comprendre réellement toutes les subtilités de la question. Wolfram s’éloigne complètement donc des recherches en Intelligence artificielle classique sur le langage naturel et la question sémantique. Pour lui, continue-t-il, leur méthodologie se rapproche de la scolastique médiévale, avec toutes ses complexes catégories. C’est un mode de raisonnement pré-Newton, antérieur à la publication des Principia Mathematica, qui ont permis de réduire la multitude des phénomènes existants à un ensemble de formules mathématiques.

Certes, cette posture admet que seul ce qui peut être émis en langage formel à de la valeur. Les critiques les plus acerbes pourraient objecter que si aujourd’hui WolframAlpha se contente bien trop souvent d’aligner quelques chiffres en réponse aux questions de l’utilisateur, ce n’est pas parce qu’il est trop jeune, mais parce que le postulat épistémologique de base est tout simplement faux. L’avenir le dira.

En tout cas, Wolfram a des projets ambitieux pour son bébé. Ainsi, note-t-il, bien qu’il s’inspire aujourd’hui de NKS pour la construction de son système, la plupart des modèles utilisés sont encore OKS (c’est-à-dire old kind of science, ils appartiennent à l’ancienne sorte de science). Il s’agit d’algorithmes et de structures déjà largement utilisés par les sciences traditionnelles, même si Wolfram souhaite aller plus loin et introduire un esprit encore plus « NKS » dans les recherches à venir.

« Aujourd’hui, affirme-t-il sur son blog, WolframAlpha utilise des modèles existants en science et dans d’autres domaines, et effectue des calculs basés sur ces modèles. Mais s’il devenait capable de trouver de nouveaux modèles ? S’il lui était possible de les inventer à la volée ? De faire de la science à la volée ? »

Pas d’indication pour le moment sur le moyen qu’aurait WolframAlpha d’inventer ses propres modèles, sa propre façon de pensée. En tout cas pas de doute : dans l’esprit de son créateur (que la modestie n’a jamais véritablement étouffé), WolframAlpha n’est pas un simple utilitaire de recherche, mais une vraie machine philosophique dans la lignée de celles de John Wilkins ou Leibniz.

“WolframAlpha n’est pas réellement un moteur de recherche, parce que nous calculons les réponses et découvrons de nouvelles vérités. Au mieux, vous pourriez le considérer comme un moteur de recherche platonicien découvrant des vérités éternelles qui n’avaient jamais été écrites auparavant ».

Rémi Sussan

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0 commentaires

  1. Les classes d’universalité des automates qu’a proposées Wolfram sont largement contestées par les mathématiciens. Démontrer qu’un automate est « universel » pourrait bien être impossible car cette assertion pourrait bien être indécidable. La NKS consiste en somme en la prétention de Wolfram que ce sont ses automates qui ont raison contre les mathématiciens. Pour le moment, ils ne sont même pas fichus de produire une sonnerie de téléphone intéressante … (voir le site de SW).