La machine à globaliser : réinterpréter les résultats des machines
Pour la chercheuse Esther Weltevrede, membre de GovCom.org, une association hollandaise dédiée à la création d’outils politique en ligne, et de l’Initiative Méthodes numériques (Digital methods initiative), la question clef à se poser est « quel type de machine à globaliser est Google ? »
Si le PageRank est considéré comme un système de classement mondial de toutes les pages web, conçu pour toutes les informations du monde, que se passe-t-il quand Google passe à l’échelle locale ? Qu’arrive-t-il aux résultats locaux ? Quand on cherche Amsterdam dans Google.com et dans Google.nl, on n’obtient pas les mêmes résultats, constate la chercheuse. Or il y a 157 Google locaux dont les variables clefs sont l’adresse IP, le domaine de premier niveau et les pages web. Google sait distinguer les langues, les régions, les pays… Néanmoins, « si Google pense globalement, il agit localement » explique Esther Weltevrede.
Elle a ainsi comparé les 10 premiers résultats à la requête « droits de l’homme » dans chacun des Google nationaux. Dans toutes les listes, l’ONU est l’une des sources les plus importantes, ainsi que les traductions des Déclarations des droits de l’homme. Mais 40 % des Google nationaux n’obtiennent pas de résultats locaux sur cette requête : si l’Europe est bien servie en résultats locaux, ce n’est pas le cas de l’Afrique ou du Moyen-Orient. Dans certaines langues ou pays, les sources locales n’arrivent pas avant la deuxième page de résultats, voire au-delà.
En exécutant une requête sur le terme « droits » Esther montre que ceux qui arrivent en tête de résultats sont assez différents d’un domaine local à l’autre. En Italie les droits à la nationalité arrivent en tête, au Japon ce sont ceux de la programmation informatique alors qu’en Finlande ce sont ceux d’errer dans la nature… Les résultats locaux de recherches ne sont pas synonymes de sources locales explique la chercheuse, cependant de réelles distinctions semblent se faire par la langue.
Le chercheur Martin Feuz, a conçu lui, Perspectoma, un moteur de recherche qui nous permet d’avoir un aperçu de la façon dont Google Personal Search propose des résultats de recherche personnalisés sur la base de nos requêtes et de notre historique web. Pour une même recherche, Perspectoma permet d’obtenir les résultats disponibles pour le profil enregistré et ceux d’un utilisateur anonyme en les comparant de multiples manières (voir sa présentation .pdf). Google Recherche Personnelle ne donne pas d’indication sur les modifications des classements qu’il opère en fonction de votre historique web. En créant Perspectoma, Feuz souhaitait savoir à partir de quand le moteur commence à renvoyer des résultats personnalisés. Pour cela il a créé plusieurs profils à partir des oeuvres et des personnages de Kant, Foucault et Nietzsche et a constaté que le profil de Foucault a donné des résultats personnalisés assez rapidement alors que cela a moins été le cas de Kant. Et de constater que la personnalisation consiste surtout à altérer les résultats et à faire remonter des résultats qu’on trouve plus bas dans les pages avec un profil neutre. La personnalisation n’est pas encore capable de faire ressortir les résultats les moins dominants, mais qui peuvent être pourtant plus pertinents, constate-t-il. A croire que l’ogre n’a pas encore atteint sa taille adulte.
Quelles alternatives ?
Pour Matthew Fuller, la mythologie du moteur de recherche est qu’il n’existe qu’un seul type d’utilisateur et qu’un seul point final pour une recherche donnée. Ce n’est pas le cas, rappelle-t-il en dressant la liste de quelques moteurs de recherches intéressants. Selon lui, le document fondateur de Google, l’article de Brin et Page, propose une méthodologie qui peut être le fondement de bien d’autres possibilités. « Si nous comprenons la dynamique et les conditions de ce que comporte un moteur de recherche, et si nous le pensons à travers une métaphore biologique (dans son anatomie), alors nous pouvons comprendre comment les moteurs de recherche vont être incités à changer ».
Et d’évoquer Viewzi, Oamos ou Kartoo comme autant de pistes d’alternatives à Google. Les moteurs de recherches ne doivent pas seulement être un moyen de retourner des résultats, comme Google le fait d’une manière bien linéaire. « La conception d’interfaces qui correspondent au potentiel de la complexité du web est sous-développée ». C’est certainement là que repose le défi de la prochaine génération de moteurs. Même si on doit reconnaître que c’est la simplicité linéaire de Google qui pour l’instant, justement, a fait la différence face à ces autres alternatives.
Googlisation : mais qui a les compétences pour s’en extraire ?
Siva Vaidhyanathan est historien de la culture et professeur d’étude des médias et de droit à l’université de Virginie. Il s’apprête à publier La Googlisation de toutes choses, une enquête sur les actions et les intentions de Google qu’il a longtemps mené par l’intermédiaire du blog qu’il a consacré à ce sujet. Dans sa présentation concluant la conférence, il a restreint son attention sur sa critique de la politique et des implications de Google Street View (GSV), un bon exemple pour comprendre le fonctionnement de « l’ogre » de Mountain View.
Conformément à la législation, il ne peut y avoir aucune information identifiable sur une personne dans GSW… Et Google s’est défendu jusqu’à présent par une technique de brouillage des visages et des plaques d’immatriculation. Mais est-ce que cela suffit ? Siva Vaidhyanathan habite un quartier de New York rempli de jeux de hasard illégaux. Plutôt fort, particulièrement grand, il se promène souvent avec son chien blanc, faisant un couple assez reconnaissable dans le quartier. Quand bien même on brouillerait son visage sur Google Street Map, qu’une photo de lui et son chien serait reconnaissable par beaucoup de gens. « L’anonymisation n’est pas une mesure efficace », pas plus sur GSW qu’elle ne l’est avec les données. Les autorités suisses envisagent de faire un procès à GSW car, selon eux, le procédé n’est pas assez rigoureux dans le respect de la vie privée. « La plus forte réaction contre GSW est venue du Japon », tant et si bien que Google est en passe de retirer GSV dans ce pays.
« Google a mal mesuré le rapport des Japonais à l’espace public. Dans les quartiers les plus anciens de Tokyo, la rue en face de sa maison est considérée comme étant de la responsabilité de celui qui occupe la maison, elle est vue comme une extension de leur maison. GSW s’est donc mis à envahir l’espace privé des gens ».
A mesure que Google s’épanouit dans d’autres parties du monde, il y aura d’autres exemples de frictions, prédit-il, d’autant qu’il n’est pas évident de comprendre comment on peut faire attention à ses données. Certes, reconnaît-il, il est important de noter que Google offre et améliore couramment ses services pour protéger et gérer les données de l’utilisateur : GSV permet de signaler un contenu répréhensible par exemple et le récent Tableau de bord de Google montre un résumé – incomplet – de toutes les données que Google stocke sur vous.
« Nous, dans cette salle ne sommes pas susceptibles d’être lésés par Google, car nous faisons partie d’une techno-élite cosmopolite… » Nous avons les compétences pour obtenir le retrait de certaines de nos informations de Google, mais est-ce le cas de tous, s’interroge-t-il en montrant l’image d’un homme immortalisé en train d’uriner sur le bas-côté d’une route dans GSV. « Cet homme ne sait pas qu’il est dans GSV donc nous pouvons rire de lui. Il ne sait pas qu’il est la clef pour être la victime d’un tel système. »
Hubert Guillaud
Pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin, plusieurs des contributeurs de cette journée ont participé au livre dirigé par Konrad Becker, cofondateur de l’Institut pour l’information mondial et organisateur d’une série de conférences sur le sujet, intitulé Deep Search – The Politics of Search beyond Google (Recherches profondes, politiques de recherche au-delà de Google).
Le dossier « Une société de la requête » :
0 commentaires
Passionnant.
Un seul commentaire qui dit impressionnant. Ce qui m’impressionne, moi, c’est que justement, qu’il n’y a qu’un seul commentaire.
Cela n’augure rien de bon pour une éventuelle DeGooglisation. Je passe pour un huluberlu quand je dis qu’on doit se méfier de Google. Et ce même dans le milieu des adeptes du logiciel libre.
Article intéressant.
Juste un mot : la « Googlisation » est à sens unique. Il s’agit d’un processus unilatéral.
Google partage les richesses des autres, mais pas les siennes.
(Cf. le lien…)