Contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, l’efficience énergétique serait un leurre. Elle ne suffirait pas à réduire la consommation énergétique. C’est le paradoxe de l’efficience énergétique, comme le soulignait récemment David Owen pour le New Yorker (sur abonnement).
L’efficience énergétique est un leurre
L’augmentation de l’efficience énergétique permet de réduire les consommations d’énergie, à service rendu égal. Pour l’automobile par exemple, elle consiste à réduire toujours plus la consommation énergétique au kilomètre. Mais si à un niveau individuel, l’efficience énergétique peut effectivement aider à réduire sa consommation… à une échelle macro-économique, elle encourage de nouvelles consommations énergétiques et donc des émissions de carbone supplémentaire.
En d’autres termes, l’augmentation de l’efficience énergétique est profondément corrélée à la prospérité. Pire, nos efforts pour limiter notre consommation à une échelle individuelle nous détournent de la dynamique macroéconomique en cours. Comme le dit David Owen : « c’est comme tenter d’analyser le climat mondial avec un seul thermomètre ».
Image : Le compteur CurrentCost qui mesure votre consommation électrique pour vous inciter à la réduire par Edinburgh Greens. Et si ce type d’initiatives ne servait à rien ?
« Regardez autour de vous et examinez comment une grande partie de la vie moderne dépend de l’énergie par rapport à il y a 100 ans. En moins d’un demi-siècle, l’efficience accrue et la baisse des prix ont contribué par exemple à pousser l’accès à la climatisation. Après avoir conquis les Américains, même les plus pauvres, la climatisation a triplé en Chine depuis 1997 et elle devrait décupler en Inde d’ici 2020. Selon une étude de 2009, les climatiseurs représenteraient quarante pour cent de la l’électricité consommée dans l’agglomération de Mumbai. »
Certes, les climatiseurs et les réfrigérateurs modernes sont beaucoup plus économes que leurs prédécesseurs des années 50. L’efficience énergétique a fait baisser leur coût de fonctionnement, l’efficacité de la fabrication et la croissance du marché ont entraîné une baisse de leur coût de production, tant et si bien qu’en 2005, 80 % des foyers américains avaient l’air conditionné. Pour Stan Cox auteur de Losing Our Cool : Uncomfortable Truths About Our Air-Conditioned World, les Etats-Unis utilisent autant d’électricité pour refroidir les bâtiments que le pays en utilisait pour tout ses usages en 1955.
Il n’y a pas de 5e combustible !
Pourtant, l’efficience énergétique a longtemps été appelée « le cinquième combustible » (après le charbon, le pétrole, l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables). Tout le monde accepte qu’elle soit un « outil sans frais » qui participe à réduire la consommation énergétique… En 2007, la Fondation des Nations Unies a déclaré que des améliorations d’efficience ont constitué « la plus grande, la mieux géographiquement et uniformément répartie et la moins chère des sources d’énergie. » Le World Economic Forum, dans un rapport intitulé « Vers une monde énergétiquement plus efficace », fait observer que « le réfrigérateur moyen vendu aux États-Unis aujourd’hui utilise 1/4 de l’énergie d’un réfrigérateur moyen de 1975, même s’il est 20 % plus gros et coûte 60 % moins cher ». Or, alors que l’efficience énergétique des réfrigérateurs progressait, ils se sont aussi démocratisés, tant et si bien qu’il est devenu courant d’en avoir non plus un, mais plusieurs, de conserver son ancien modèle en en ajoutant un nouveau.
Si depuis 1975, les Etats-Unis ont multiplié les règlements pour réduire la consommation de carburant des véhicules, le parc de véhicule n’en a pas moins augmenté (50 millions de véhicules de plus depuis 1975), ainsi que leur puissance, leur poids et le nombre moyen de miles parcourus par véhicules, rappelle David Owen.
Cela s’explique par deux phénomènes : l’effet de rebond et le paradoxe de Jevons.
L’effet de rebond est simple : une efficacité accrue et un coût réduit encouragent une plus grande consommation. On a tendance à penser que l’effet de rebond aurait un effet la plupart du temps assez limité.
Plus préoccupant est le paradoxe de Jevons qui induit qu’une plus grande efficacité énergétique à un niveau micro a pour effet de générer une plus grande consommation énergétique à un niveau macro, car à mesure qu’on réduit le cout énergétique d’un produit ou d’un service, on le rend accessible au plus grand nombre.
« Nous ne sommes pas en train de réduire notre dépendance énergétique »
Dans un document publié en 1994, l’économiste de Yale, William D. Nordhaus, a estimé le coût de l’éclairage à travers l’histoire humaine. Dans l’ancienne Babylone, il fallait travailler 41 heures pour acquérir une lampe à huile permettant de brûler quelques heures de lumières. Au XIXe siècle, il fallait travailler environ 5 heures pour acheter la même quantité d’éclairage sous forme de bougies. En 1992, il suffisait d’une demi-seconde de travail pour qu’un Américain obtienne le même résultat en allumant lampe fluo compacte. Nos gains d’efficience énergétique de l’éclairage n’ont pas diminué notre consommation. Au contraire : il est devenu si simple de générer de la lumière, que c’est « l’obscurité qui est devenue une ressource naturelle menacée », souligne David Owen.
Toutes ces augmentations de l’activité de consommation d’énergie peuvent être considérées comme une manifestation du paradoxe de Jevons. Pour Blake Alcott, un « économiste écologique » auteur d’une étude sur le paradoxe de Jevons(.pdf) : « Nous ne sommes pas en train de réduire notre dépendance énergétique, mais nous utilisons de plus en plus de moyens ingénieux pour améliorer l’efficience des quantités d’énergie produites. Entre 1985 et 2005, la production d’électricité américaine a augmenté de 66 %, malgré les gains économiques en matière d’efficience énergétique. L’augmentation a été en partie le résultat de la croissance démographique, mais également du fait de la croissance de la consommation d’énergie par habitant et ce alors que la consommation d’énergie par dollar a chuté de moitié. »
Acheter une voiture qui consomme moins au kilomètre permet certes à son propriétaire de faire des économies de carburant, sauf s’il mobilise cet argent pour acheter par exemple une deuxième voiture. Ce que constatent les spécialistes en tout cas, c’est que l’utilisation économique de carburant n’est pas équivalente à la diminution de la consommation qui devrait en résulter.
Diminuer la dépendance aux combustibles fossiles est un besoin mondial urgent, conclut David Owen. Mais l’amélioration de l’efficience énergétique n’est peut-être pas la meilleure solution. « Promouvoir l’efficience énergétique ne fait courir aucun risque politique, puisqu’elle ne demande aucun sacrifice, contrairement au plafonnement des émissions, à une taxe sur le carbone, ou à l’investissement massif dans des installations d’énergies renouvelables. Nous n’avons cessé d’améliorer l’efficacité énergétique depuis des siècles, c’est d’ailleurs la façon dont nous avons créé le problème qu’il nous faut désormais résoudre. »
Mais le même principe s’applique à un grand nombre de produits ou de services, même ceux qui sont énergétiquement efficients, comme les voitures électriques. A mesure qu’on rend ces produits plus efficients énergétiquement, on réduit leur coût et la demande grossit.
Favoriser la consommation d’énergie alternative !
C’est ce qu’explique Bill St Arnaud (blog), un spécialiste des réseaux, ancien responsable de la recherche du réseau très haut débit CANARIE, devenu consultant en infrastructures de télécommunication vertes dans un billet expliquant pourquoi l’énergie renouvelable doit être gratuite.
Pour Bill St Arnaud, si l’on s’appuie sur les propos de David Owen, le problème n’est donc pas tant de réduire la consommation énergétique, que de réduire les émissions de carbone. Eliminer l’énergie qui produit du CO² aura un impact bien plus important sur la réduction globale des émissions de carbone que tout programme pour favoriser l’efficience énergétique de nos technologies. Or il est plus facile de développer des programmes promouvant l’efficience énergétique que de développer des programmes énergétiques qui produisent peu de CO².
Jusqu’à présent, explique le consultant, les gouvernements ont plutôt mis l’accent sur la production d’énergie alternative, éolienne ou solaire notamment, par des subventions permettant à ces énergies d’être produites à des tarifs compétitifs avec les énergies fossiles. Mais peu d’effort a été fait pour favoriser la consommation de ces énergies alternatives !
Les véhicules électriques ne sont pas une solution à eux seuls. C’est « l’intégration des véhicules électriques avec des énergies renouvelables via les technologies de l’information qui fourniront une solution viable en proposant une infrastructure de distribution énergétique nouvelle », explique le consultant.
Le cabinet spécialisé Pike Research, dans un rapport récent sur les problèmes liés au chargement des batteries des véhicules électriques, expliquait que les centres commerciaux notamment seraient enclins à fournir de l’électricité gratuitement pour encourager les conducteurs de véhicules électriques à s’y rendre. Les restaurants, les banques, les grandes surfaces vont avoir tendance à utiliser les mesures incitatives des gouvernements pour installer des panneaux solaires et de petites centrales éoliennes pour générer leur électricité et offrir des capacités de charge gratuites à leurs clients. Les gens seront enclins à charger leurs véhicules dans ces endroits avant de rentrer chez eux, et même à utiliser leur voiture comme source d’énergie pour leurs usages domestiques une fois rentrés chez eux !
Vers l’énergie renouvelable gratuite ?
Les gouvernements investissent actuellement une fortune pour subventionner le coût des véhicules électriques et les systèmes énergétiques de remplacement, estime Bill St Arnaud. Au lieu de cela, ils pourraient obtenir une rentabilité bien supérieure s’ils imaginaient comment récompenser les consommateurs, plutôt que de chercher à les pénaliser avec des taxes carbones…
Comme le disait Daniel Kaplan, dans son livre, Pour une mobilité plus libre et plus durable comme dans son édito sur le désir de développement durable : « La formidable croissance de l’internet avait pour principes actifs, non pas la raison et l’automatisation, mais l’imaginaire et le désir. Peut-on alors s’appuyer sur cette énergie-là pour favoriser les transformations comportementales profondes qui sont nécessaires à notre avenir commun ? »
L’idée de Bill St Arnaud peut paraître un peu folle. Elle nécessite pour se développer de réaliser bien des conditions qui sont encore de l’ordre de la spéculation. Favoriser un équipement massif pour que chacun produise des énergies alternatives et notamment les entreprises commerciales. Mais plus que les particuliers, elles sont plus facilement capables de réaliser les investissements nécessaires pour profiter des économies d’échelles qu’un passage aux énergies renouvelables leur permettrait. Elle pose également la question de savoir si nous pourrions produire suffisamment d’énergie renouvelable pour soutenir notre niveau de consommation énergétique, ce qui est loin d’être acquis.
Elle repose enfin sur certaines idées acquises qui sont loin d’être assurées : est-ce que la recharge sera notre mode privilégié d’accès à l’énergie électrique ? Alors que les critiques à l’encontre des recharges rapides se multiplient, c’est visiblement le prêt et l’échange de batterie qui devrait prédominer – même si le pionnier, Better Place, préfère pour le moment déployer des bornes de recharge comme il commence à le faire en Israël et au Danemark.
Image : une voiture électrique en train de se recharger sur une borne Better Place en Israël, photographiée par Greenlagirl.
Cette idée nécessite également que les équipements permettent de récupérer l’énergie accumulée dans les batteries des véhicules des particuliers et que celles-ci ne soient pas seulement des produits fermés qu’on ne pourrait que recharger.
Ce qui est sûr c’est que la gratuité de l’énergie renouvelable pourrait être un puissant stimulant au changement de nos modes de consommation énergétiques. Plus puissant que la contrainte que nous propose pour l’instant l’essentiel des autres perspectives.
0 commentaires
Bonjour,
Concernant l’automobile et les énergies renouvelables, je propose un système écologique de climatisation/chauffage de tous véhicules roulants, tels que : trains, tramways, camions frigorifiques, métros, voitures électriques et autres : http://www.climaverna.com
Ce système fait circuler un fluide frigorigène en récupérant l’énergie à ce jour perdue des suspensions.
D’autres modes de génération de froid/chaud n’utilisant pas de gaz à effet de serre peuvent être accouplés à mon système :
1°/ Un moteur Stirling inversé.
2°/ Un moteur thermo acoustique
3°/ Un moteur thermomagnétique
Je recherche actuellement un/des partenaires pour développer cette innovation.
Cordialement,
Christophe Verna
@Verna
Contacter CLeanTuesday pour presenter votre projet a des investisseurs
Bonjour, Bois de Chauffage,
Je vous remercie, mais je me suis inscrit, et j’ai été inscrit d’office à la prochaine réunion à Paris à laquelle je ne pourrais pas me rendre.
Je n’ai pas vue sur le site de page dédiée à la présentation de projets…..
Cordialement,
C.Verna
Si l’électricité est gratuite, je m’achète de ce pas une voiture électrique dont je n’ai pas besoin car pour l’instant mon vélo me suffit.
Et comme rien n’est gratuit, il faudra bien que les subventions viennent de quelque part : TVA ou taxe carbone ne sont pas si différents…
Donc par rapport à la taxe carbone simple, la proposition d’introduire l’énergie renouvelable gratuite me paraît être une variation de la taxe carbone en beaucoup moins bien car elle entraîne une surconsommation absurde.
J’ai envie de dire que oui…
Le problème bien sûr est plus complexe…
Les logiciels libres sont gratuits, théoriquement, mais dans les faits certains sont payants…
On devrait là aussi avoir des logiciels gratuits car le créateur du logiciel en question le fait par altruisme.
Sauf que parfois on paye quelqu’un pour créer des logiciels libres comme par exemple c’est le cas du noyau linux.
Par analogie, c’est la même chose dans le domaine de l’énergie, sauf qu’il est difficile de rendre gratuit l’énergie renouvelable.
Pour le rendre gratuit, il faudrait déjà que les pays acceptent de ne pas faire payer de taxes sur les produits en question.
Or, ce n’est pas le cas. Et je doute que ce soit le cas dans les années à venir.
Je ne parle même pas des coûts d’installation qu’il faudrait amortir, ou des coûts plus évident d’entretien.
Les subventions font partie intégrante de l’économie, mais croyons nous sincèrement que beaucoup de pays pourront payer indéfiniment cette subvention? Permettez-moi d’en douter.
La seule façon de le rendre gratuit serait de faire disparaître la monnaie.
Ce n’est pas pour demain.
Par contre, inciter les personnes à utiliser des énergies renouvelables me paraît être plus pertinent.
Toujours par la même méthode: le porte-monnaie, ou plus précisément dans notre cas, une réduction d’impôt me paraît être la meilleure solutions immédiate.
L’ennui c’est que si les impôts sont instables (parfois on a une réduction, parfois aucune) cela ne marchera pas bien entendu…
Belle analyse.
En effet, l’effet de rebond et le paradoxe de Jevons s’appliquent à la consommation d’énergie, mais ils s’appliquent aussi à la consommation de ressources matérielles (matériaux servant à fabriquer voitures, téléphones et autres réfrigérateurs…).
Bien que nos objets du quotidiens soient de plus en plus petits, et concentrant de plus en plus de fonctions, leur usage se démocratise et ils deviennent indispensables dans chaque foyer. Cela entraîne inévitablement une pression sur les ressources naturelles de la terre, pression qui peut conduire à chercher plus loin, plus profond et de façon plus polluante…
Rien n’est jamais gratuit. La seule question est : Qui paye ?
Subventions = Impots => contribuables
Ce qui est gratuit est disponible à tout le monde. En résumé ce qui est à tout le monde, n’est à personne. Or on voit partout les catastrophes liées à ce raisonnement. La mer n’est à personne, aussi les pêcheurs videront la mer jusqu’au dernier poisson. Si chaque pays avait découpé et vendu son espaces maritimes pour les activités de pêche, vous pouvez être sûr que le pêcheur se comporterait comme le paysan avec son champ: il en prendriat soin pour présever son investissement.
Energie gratuite, n’oubliez pas ce qu’à écrit Frederic Bastiat » L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde »
@librantoine
« En résumé ce qui est à tout le monde, n’est à personne. Or on voit partout les catastrophes liées à ce raisonnement. »
partout?
Dans le domaine des logiciels libres, la gratuité a permis à nous tous d’avoir des programmes de meilleur qualité.
Libre Office est dans grand secours.
Par exemple, la gendarmerie nationale française peut travailler avec sérénité grâce aux logiciels libres…
Il y a aussi des tentatives dans le domaine des matériels éléctroniques.
ERRATA
Libre Office est d’UN grand secours.
Pour continuer sur cet lancée, la gratuité est souvent un appel d’air, pour se faire connaître par exemple.
Si certains logiciels n’étaient pas gratuits alors nous aurons payé beaucoup plus cher certains services et la fracture numérique serait plus grande…