Comment vit-on avec les robots ?

Alors que les premiers robots personnels entrent dans les maisons, on ne sait pas encore grand-chose de la façon dont on vit avec eux… D’ailleurs, sait-on vivre avec des machines ?

Retour sur nos relations aux robots à l’occasion de la première édition d’InnoRobo, le salon de la robotique, et des conférences RoboLift qui lui étaient associé.

Qu’est-ce que les robots partagent avec nous ?

« Quelle est la différence entre un ordinateur et un robot ? » Ce n’est pas une question anodine, souligne Frédéric Kaplan (blog), fondateur de Ozwe, et auteur de nombreux livres sur les robots et les objets et dont le dernier en date est écrit en collaboration avec le neurobiologiste Georges Chapouthier et s’intitule L’homme, l’animal et la machine : perpétuelles redéfinitions….


Vidéo : publicité pour le Apple G4 iMac commercial.

Dans une vieille publicité pour l’iMac, on voyait celui-ci transformé en robot. « Pour la première fois, on imaginait un ordinateur qui ne se comporte pas comme un ordinateur ». Les ordinateurs sont des appareils fixes et immersifs dans lesquels on se plonge, alors que les robots, eux, vivent dans le même espace qu nous. Contrairement à l’ordinateur, notre entourage immédiat nous voit interagir avec. « Et c’est cette différence subtile qui permet d’envisager une autre forme d’interaction avec les ordinateurs… »

Ce que voit un AïboFrédéric Kaplan a travaillé 10 années chez Sony, notamment sur l’Aibo, le chien robotique qu’avait développé la marque, rappelle le chercheur dans sa présentation (.pdf). Son travail consistait à développer un programme d’expériences pour comprendre ce à quoi le robot était capable de réagir. « Comment se croisent le monde des hommes et celui des robots ? Peut-on partager un mécanisme d’attention avec eux comme on tente de le faire au zoo avec les animaux ? »

Tous les matins, Frédéric Kaplan passait du temps avec un Aïbo pour qu’il apprenne à discriminer des objets qu’il lui montrait. Il lui disait le mot balle en lui montrant l’objet, et longtemps le robot lui a répondu avec un mot qu’il avait appris auparavant. Pour mieux comprendre pourquoi cela ne marchait pas, le chercheur a regardé ce que le robot voyait. Le robot voyait bien la balle, mais également les reflets du soleil et plein d’autres objets. Il fallait donc réfléchir à comment on pouvait lui apprendre à reconnaître des choses. Pouvait-on lui apprendre à faire attention à ce qu’on lui montre en l’agitant devant lui ? Pouvait-il se construire des modèles visuels des objets depuis les sons qu’on lui répétait ? Tel était l’objet de ses études chez Sony : développer des techniques pour mieux partager l’univers des machines et de leurs utilisateurs.

A l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne où il enseigne, les chercheurs font des études sur le Roomba, le robot aspirateur d’iRobot, l’un des rares succès de l’industrie du robot, en proposant à quelques familles suisses de l’adopter pour observer l’impact de son usage. Comment notre monde se croise-t-il avec l’univers du robot ? « Ce que l’on constate, c’est que les premières minutes d’introduction du robot dans la maison est une collision des mondes ! » Le robot est-il compatible avec l’écosystème très complexe de la maison ? Sur une vidéo, il nous montre une petite fille qui en a peur, avant de revenir vers lui intriguée. Vingt minutes plus tard, la même petite fille est passée au nettoyage collaboratif : elle enlève les objets qui gène l’aspirateur, ramasse la poussière pour lui, l’aide à faire son travail. La collaboration avec le robot n’est pas l’objectif marketing et pourtant on constate de nombreuses collaborations de ce type. « L’introduction du robot a un effet immédiat sur les résidents. Parce qu’ils partagent nos espaces, on constate qu’ils transforment nos habitudes.

Comment le roomba cohabite-t-il avec les hommes ?
Image : Comment le Roomba cohabite-t-il avec les hommes ?, extrait de la présentation de Frédéric Kaplan.

En fait, s’amuse le chercheur, bien souvent, le Roomba vous fait faire le ménage plus fréquemment. « Mieux, on constate que les enfants se mettent à aider le robot à faire le ménage, par exemple en enlevant les objets qui trainent du sol de leur chambre, ce qu’ils sont souvent loin de faire habituellement. » Dans un premier temps, ils le font là avec enthousiasme et sans qu’on le leur réclame…

« L’ordinateur n’a pas beaucoup changé depuis 30 ans », rappelle Frédéric Kaplan. « Cet iMac qui bouge était une idée de marketing. Nous l’avons fait ! », explique le chercheur en revenant sur l’aventure du QB1, cet écran fixé sur un bras robotique capable de repérer des humains dans l’espace et d’interagir avec eux, via des gestes simples. « Aujourd’hui, la Kinect de Microsoft propose presque de faire la même chose que notre ordinateur, à la différence près qu’avec la Kinect, vous faites partie de l’écran, de l’image, comme dans le jeu traditionnel. Avec QB1, tout se passe dans le monde réel plus que sur l’écran. »

Est-ce là le début d’une nouvelle famille d’ordinateurs ou d’un nouveau genre de robots ? « De petits appareils articulés, capables de reconnaître ce que vous faites, seront peut-être demain capables de vous aider à choisir une musique pour créer une ambiance particulière en naviguant de loin dans sa bibliothèque musicale ou en prenant en compte les goûts des gens présents… Ils pourront suivre la recette que vous êtes en train de réaliser, même si vos mains sont mouillées. On pourra lui montrer le pot de tomates que nous venons de vider et lui demander de l’enregistrer dans la liste des courses. Dans la chambre des enfants, il pourra projeter des choses comme un miroir magique quand nous sommes en train de leur lire une histoire… »

Pour Frédéric Kaplan nous sommes face à de nouvelles formes de médias. « Après les médias immersifs, voici le temps des médias à « échelle réelle ». Car les contenus dans lesquels on plonge ne sont pas les mêmes que ceux avec lesquels on vit. »

On voit bien qu’ici Frédéric Kaplan esquisse une distinction d’importance. Qui prolonge celle qu’il avait accomplie dans La métamorphose des objets en distinguant l’objet de leur histoire et en soulignant combien leur métamorphose actuelle consistait en une extension de l’interactivité des systèmes mnémotechniques. « Habiter dans la machine n’est pas comme habiter avec les machines », y disait-il déjà.

Robot et culture

Pour la designer et ethnographe Fujiko Suda (présentation .pdf), initiatrice du Projet Kobo, si on regarde la définition d’un robot dans l’encyclopédie Britannica (à savoir « toute machine fonctionnant automatiquement qui remplace l’effort humain, même s’il ne ressemble pas à l’être humain en apparence ou ne remplit pas ses fonctions à la manière d’un humain ») on se rend compte que toutes nos machines sont déjà des robots.

Voilà longtemps que la culture japonaise accepte les robots comme des amis. « Nos maisons en ont déjà souvent plusieurs. J’ai moi-même un robot perroquet, Lucy, qui bavarde quand on l’allume. Ainsi qu’un petit robot chien. J’ai aussi un télécopieur qui parle, qui nous reconnait quand on se penche dessus, qui vous dit quand il a envoyé quelque chose, quand il a reçu un message et surtout quand un document ne passe pas. La parole est assurément une chose importante pour les machines. J’ai également chez moi un programmateur de salle de bain parlant, qui me signale quand le bain est prêt. Quand une machine me parle comme un être humain, tout le monde la comprend, même les invités, même les enfants… même si on ne connait pas la machine, on comprend ce qu’elle fait. »

« Les robots deviennent des humains et les humains deviennent des robots » disait le célèbre roboticien Hiroshi Ishiguro. C’est très vrai dans la culture japonaise, explique encore l’ethnographe en observant les pratiques des Tamagotchis (Wikipédia), ses jeux simulant la vie et proposant autant de compagnons robots ou virtuels. Le dernier en date, après le succès des Nintendogs, est Love Plus. Ici, il ne faut plus élever un animal de compagnie, mais faire la cour à une jeune fille jusqu’au mariage. C’est un jeu éminemment immersif qui n’utilise d’ailleurs pas que le canal de la DS et dans lequel il faut parler à la jeune fille, passer de multiples étapes, obtenir des rendez-vous… Il y a même des garçons qui tiennent des blogs de leur relation avec ces « robots ». Autant dire que le jeu se vend comme des petits pains, conclut l’ethnographe mi-amusée, mi-désolés.

Exosquelette pour les techno-enthousiastesFujiko Suda a travaillé un temps avec l’entreprise japonaise Cyberdyne, qui fabrique des exosquelettes pour comprendre comment on pourrait rendre ces appareils plus attrayants. Techniquement, assure Fujiko, ces appareils sont étonnants : ils permettent à des personnes âgées qui n’arrivent plus à marcher de reprendre la marche, de reformer des pas. Mais ils ne sont pas commodes à utiliser. Il faut du temps pour s’en équiper et les personnes âgées peuvent difficilement le faire seules. Enfin, une fois qu’ils sont dans l’appareil, celui-ci est très visible avec des formes et des couleurs très modernes, inadaptées à leur public cible. « Peut-on rendre ces robots plus enfilables ? Pourrait-on faire de manière à ce que, à l’avenir, ils s’enfilent comme un Kimono traditionnel ? » Oui, les adolescents rêvent de porter des exosquelettes, qui rappellent la culture japonaise du vaisseau-robot (notamment Goldorak ou Gundam), mais ces appareils ne s’adressent pas vraiment à eux. « Il faut simplifier le design et les fonctionnalités pour les adapter aux utilisateurs. Dans la réalité, les exosquelettes ne servent pas à se battre, mais aident les petits vieux à marcher. Face à l’exubérance de ces appareils, les utilisateurs sont plutôt embarrassés à l’utiliser et plus encore à l’idée de le porter à l’extérieur… Or, c’est à cela qu’il devrait servir. »

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Image : Les exosquelettes n’ont pas la fonction qu’on leur prête.

Les produits doivent savoir s’adapter d’une culture à l’autre. Pour l’instant, l’iPhone a du mal à s’implanter au Japon, car les Japonais n’aiment pas laisser des marques de doigts et de saletés sur l’écran, estime la chercheuse qui montre des petites brosses pour nettoyer les écrans qui sont très répandues au Japon. « Beaucoup ne veulent pas les utiliser pour ne pas laisser leurs empreintes sur l’écran ». D’où l’importance de comprendre la culture pour élaborer les meilleures interactions. Le groupe d’âge, les pratiques, les communautés auxquelles nous sommes confrontés sont essentiels pour comprendre ce qu’on peut leur proposer.

Sommes-nous de bons compagnons pour les robots ?

Alexandra Deschamps-Sonsino (blog) est designer en interaction. Cofondatrice du projet Arduino (voir l’entretien qu’elle nous avait accordé à ce sujet) elle dirige le cabinet de conseil Tinker et est également « évangéliste » pour le projet de robotique européen Lirec (présentation .pdf).

« Quelles potentialités ont nos nouveaux compagnons que sont les robots ? Un compagnon est un ami ou une connaissance avec lequel on s’associe ». Le verbe est fort, reconnaît Alexandra Deschamps-Sonsino. Mais les attentes peuvent être variées : « un ami n’a rien à voir avec une connaissance. On a du mal à regarder un robot comme un ami, par contre, on les imagine mieux comme compagnons. Des compagnons comme Sancho Panza l’est à Don Quichotte, comme Robin l’est à Batman, comme nos animaux de compagnie, comme nos iPhone… Un compagnon, c’est quelqu’un qui en connait beaucoup sur nous et réagit à nous de manière multiple. L’affreux Clippy de Microsoft, ce premier compagnon numérique, avait pour défaut de ne jamais comprendre le contexte. Il proposait toujours de l’aide pour écrire une lettre, alors qu’on n’en avait pas besoin. » Si les robots sont amenés à jouer ce rôle, il nous faut mieux comprendre ce qu’est un compagnon…

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Image : Qu’est-ce qu’un compagnon ?, extrait de la présentation (.pdf) d’Alexandra Deschamps-Sonsino.

Un bon compagnon comprend l’utilisateur et ses émotions. Il nous comprend et nous imite pour nous montrer qu’il nous a compris. Mais nous sommes habiles à faire semblant. On peut détester son patron et faire semblant de l’apprécier. Certains chercheurs ont même répertoriés jusqu’à 275 formes de sourires différents… « Bien sûr, les roboticiens ne savent pas encore déconstruire toutes ces nuances du sourire. Mais ils ont essayé d’analyser les émotions les plus simples ». Au Lirec, iCat, est un robot chat qui dispose d’un vaste vocabulaire d’expression faciale pour encourager l’apprentissage des échecs (vidéo).

« Un bon compagnon comprend le contexte. Les animaux intègrent très naturellement cela ». Au Lirec, les chercheurs ont étudié le comportement des chiens quand ils accueillent quelqu’un selon qu’il le connaissent ou pas. Souvent, le chien va se présenter par exemple, où vous accompagne pour regarder ce que vous faites (vidéo). Les relations non verbales portent beaucoup de subtilité : quelqu’un de mauvaise humeur a tendance par exemple à rester en retrait plutôt que de s’avancer vers vous… Or, un bon compagnon comme un chien comprend très facilement le contexte. Ce n’est pas encore vraiment le cas des robots.

Un bon compagnon « vieillit avec grâce », estime la designer. Cela signifie que nos relations avec nos compagnons évoluent, alors qu’on a plutôt tendance à mettre son robot au rebut quand il ne fonctionne plus. Mais ce n’est pas le cas de tous les utilisateurs. Certains en prennent soin, avec affection même, comme cette utilisatrice qui raconte sur YouTube comme elle a raccommodé les coutures abimées du cou de son Pleo, trouvé les bonnes textures pour le réparer…

« Un bon compagnon sait également oublier. Il doit apprendre à oublier comme on reproche à nos proches d’avoir oublié notre date d’anniversaire… »

Enfin, un bon compagnon sait s’adapter. Ainsi quand on sort son téléphone mobile pour passer ou répondre à un appel, iCat le comprend et s’endort le temps de votre conversation. Quand vous aurez fini, il se réveillera en bâillant (vidéo).

Qu’est-ce que cela signifie que de développer des émotions dans des robots ? On attribue facilement des personnalités à des objets, comme l’illustre très bien certains groupes sur Flickr qui cherchent des smileys partout autour d’eux.

Mais Alexandra Deschamps porte un regard pragmatique sur ce développement. Va-t-il y avoir besoin de services pour ces compagnons ? Pourrons-nous louer des robots ou les essayer comme nous louons des voitures ? Peut-on partager son robot avec quelqu’un d’autre, ou est-ce impossible, comme nous le montre notre usage de nos téléphones personnels ? Conserverons-nous nos vieux robots comme nous conservons de vieux objets domestiques qui ne fonctionnent plus, mais qui nous évoquent des souvenirs ?

Les nouvelles technos comme Facebook ont peu à peu accaparé nos vies sociales et remplacé en partie d’autres formes de communication. Beaucoup de nos relations sociales passent désormais par Facebook. Immergés dans la techno, nous y sommes habitués. La plupart d’entre nous savons décoder un émoticon. Notre accommodation aux nouvelles technos s’est faite de façon douce : « il en sera de même avec la robotisation ». Aujourd’hui, les robots semblent en compétition avec nos iPhone. Pouvons-nous apprendre de la façon dont on utilise nos téléphones pour faire de meilleurs compagnons robotiques ? L’idéal du robot émotionnel nous interroge quant à la relation émotionnelle que nous créons avec lui.

« Comme le demandait le Renard au Petit Prince, saurons-nous apprivoiser les robots ? Et plus encore, saurons-nous être de bons compagnons pour eux ? »

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0 commentaires

  1. On mentionne dans l’article l’importance des facteurs culturels pour comprendre le rapport des personnes avec les objets, en particulier avec les robots. Je suis étonné qu’on ne le fasse pas plus sérieusement à propos des robots et des Japonais. II y a dans le rapport avec le robot quelque chose qui a fort à voir avec l’enfance : parler à un objet est assez naturel pour un enfant, pas autant pour un adulte. Or, les Japonais ont un rapport très particulier à l’enfance qui n’a rien à voir avec le nôtre. L’enfance au Japon est une sorte de paradis, de parenthèse enchantée: jusqu’à 7 ans, l’enfant peut tout faire. Pour un adulte, toute occasion de renouer avec ce temps délicieux est bonne à prendre. Ces choses sont très bien analysées dans le classique de Ruth Benedict, « le chrysanthème et le sabre » (Picquier).
    Nous (en France par exemple) n’avons pas le même rapport à l’enfance qui est plutôt un temps de construction de soi avec lequel il faut justement rompre: pour un adulte, se comporter comme un enfant, faire preuve d’enfantillage, est rarement valorisant. Il n’en va pas de même au Japon.
    Pas sûr donc que les robots qui plaisent tant aux Japonais aient le même succès ailleurs.