L’analyse des données a-t-elle un effet sur la productivité des entreprises ?

« La surinformation est à la fois un casse-tête pour les individus et un énorme défi pour les entreprises », estime Steve Lohr pour le New York Times. Comme tout un chacun, les entreprises nagent (quand elles ne se noient pas) dans les vagues de données : du suivi informatique le plus sophistiqué des expéditions, des ventes, des fournisseurs, des clients, des e-mails, du trafic web et de l’observation des réseaux sociaux. Selon certaines estimations, le volume des données d’entreprises doublerait tous les 1,2 ans…

« Pourtant, l’explosion des données est aussi une énorme opportunité ». Car l’information est en passe de devenir « le principal atout, la matière première de nouveaux produits et services, comme des décisions ». A l’heure de l’économie de l’information, elles deviennent l’avantage concurrentiel des entreprises.

Mais les données génèrent-elles un gain de productivité ? Oui, répond une étude menée par Erik Brynjolfsson, économiste à la Sloan School of Management et responsable du groupe Productivité numérique au Centre sur le Business numérique du Massachusetts Institute of Technology et auteur de Wired for Innovation (Connecté pour l’innovation, comment les technologies de l’information refaçonnent l’économie), Lorin Hitt, professeur à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie, et Heekyung Kim étudiante au MIT. Selon ces chercheurs, qui ont étudié 179 grandes entreprises américaines qui ont adopté des modèles de décisions conduites par les données, la productivité serait de 5 à 6 % plus élevée que celle des autres entreprises. Une différence qui ne pourrait pas être expliquée par d’autres facteurs, comme l’investissement dans les technologies, estiment les chercheurs…

Dans l’étude, la « décision conduite par les données » caractérisait des entreprises qui non seulement collectaient des données, mais aussi les utilisaient aussi pour prendre des décisions, créer un nouveau produit ou faire évoluer un service, plutôt que de se référer à l’expérience et l’intuition de son management. « Or, une différence de 5 % de la production et de la productivité est suffisamment importante pour distinguer les gagnants et les perdants dans la plupart des industries », estime Brynjolfsson. « Les entreprises dont les décisions sont guidées par l’analyse des données sont aujourd’hui le signe avant-coureur d’une tendance de fond dans la façon dont les gestionnaires vont être amenés à prendre des décisions.

La conclusion que les sociétés qui reposent fortement sur l’analyse des données sont susceptibles d’être meilleures que d’autres n’est pas nouvelle. Google, dont le succès est basé sur l’exploitation des données en est le plus brillant exemple. C’était d’ailleurs le sujet du dernier livre de Thomas H. Davenport, professeur de technologie de l’information et de gestion au Babson College, Jeanne G. Harris et Robert Morison Analytics at Work : Smarter Decisions, Better Results (L’analytique au travail : meilleures décisions, meilleurs résultats qui fait suite à L’analytique, nouvel outil stratégique). Mais selon Brynjolfsson « cette étude est la première preuve quantitative des anecdotes dont nous entendons parler »… Et cela ne devrait faire que commencer à mesure que les outils d’analyse de données vont se démocratiser, estime leur auteur.

Le gain de productivité d’une technologie ne survient que lorsque les gens adoptent de nouvelles compétences pour les gérer et de nouvelles façons de travailler, explique Steve Lohr. Le moteur électrique par exemple, introduit dans les années 1880 à mis 40 ans avant de produire des gains de productivité : le temps que leur utilisation se répande et que les entreprises réorganisent le travail en fonction… En 1987, 10 ans après la révolution des ordinateurs personnels, l’économiste Robert Solow (Wikipédia) faisait justement remarquer que l’informatique n’avait pas encore montré son impact dans les statistiques de productivité. Ce n’est qu’en 1995 que la productivité de l’économie américaine a commencé a grimper grâce aux ordinateurs et ce jusqu’en 2004. Il y a toujours une latence des gains de productivité dans l’absorption de la technologie, observe Robert J. Gordon, économiste à l’université Northwestern. « Ce n’est jamais la technologie pure qui fait la différence, mais une réorganisation des choses – notamment la façon dont le travail est effectué ».

Depuis 2004, la productivité américaine a ralenti de nouveau. Elle diminue lorsque l’innovation sur la base des nouvelles technologies fondamentales s’épuise, explique Robert Gordon. La locomotive à vapeur et les chemins de fer ont alimenté la première révolution industrielle, la seconde a été alimentée par l’électricité et le moteur à combustion. L’internet est considéré comme la troisième révolution industrielle – mais elle s’est révélée beaucoup plus courte que les deux précédentes. « Je pense que nous voyons là des traces qui montrent que nous sommes encore dans la révolution internet ».

En attendant, l’industrie du logiciel est en train de faire le pari que la décision construite sur les données est l’avenir. IBM, Oracle, SAP, Microsoft ont dépensé collectivement plus de 25 milliards de dollars en rachats d’entreprises spécialisées dans le domaine. « Le plus grand changement auquel les entreprises sont confrontées est l’explosion des données », explique David Grossman, analyste financier chez Stifel Nicolaus. « Le meilleur business est désormais d’aider les clients à analyser toutes ces données. »

À lire aussi sur internetactu.net

0 commentaires