Nous avions présenté en 2009 le dual n-back, exercice d’entraînement cognitif assez spécifique (pour vous y entraîner), qui selon certaines recherches menées à l’époque, augmenterait notre intelligence fluide, c’est-à-dire notre capacité à transférer nos ressources mentales vers de nouveaux problèmes. Il s’opposerait à bien d’autres systèmes de brain training qui n’accroitrait, en général, que notre capacité à… pratiquer l’exercice en question.
Dans le monde des sciences cognitives, les études se succèdent à une telle allure et les résultats sont tellement contradictoires qu’il est parfois bon de faire le point sur les progrès effectués sur un sujet. Alors que d’autres théories (comme celle de l’effet Mozart, par exemple) se sont dégonflées, il semble que de nouveaux résultats confirment les promesses du dual n-back. Mais avec des interrogations qui laissent à entendre que les recherches sont loin d’être terminées.
Pour rappel, le principe du dual-n-back est le suivant. On présente à une personne deux stimuli différents simultanément : l’un visuel, l’autre auditif. Et cette personne doit les garder en mémoire pour détecter s’il se répètent. Par exemple, on présente à un sujet à la fois à un carré bleu pouvant se trouver dans neuf positions différentes sur une grille, tandis qu’est prononcée une lettre de l’alphabet. A charge pour le cobaye de se souvenir si la même lettre, ou le même motif, ont été déjà utilisés deux coups en arrière.
La première expérience, celle de 2008, portait sur de jeunes adultes. Les chercheurs ont, aujourd’hui, élargi leur panel pour étudier le comportement des enfants. Et la même équipe constituée par Suzanne Jaeggi, John Jonides, Priti Shah et Martin Buschkuehl a publié une récente étude dans PNAS.org qui présente la suite de ses travaux de 2008.
Dans l’ensemble, cette nouvelle étude confirme les précédentes, il y a bien un progrès cognitif général des pratiquants du dual n-back. Mais attention, “général” en statistiques ne veut pas dire “systématique”. De fait, la pratique du n-back a largement profité à un groupe d’enfants, mais certains sont “restés sur le carreau” comme on dit. Quelle en serait la raison ? La motivation peut sans aucun doute jouer un rôle. Ed Yong, dans Discover Magazine souligne que lors de la première expérience, tous les adultes étaient volontaires. En revanche, les enfants du second panel ont été inscrits par leurs parents et leurs enseignants. Certains ont donc pu manquer de sérieux. Et de rappeler une étude récente montrant que les enfants motivés réussissaient bien mieux les tests de QI que ceux qui y étaient indifférents (et reconnaissons-le, le dual n-back est ennuyeux à mourir).
Lors de l’expérience, les premiers résultats montraient que les enfants qui avaient passé le dual n-back n’étaient pas spécialement meilleurs que les autres. Les chercheurs ont alors soupçonné que certains ne s’impliquaient pas dans le test. Ils changèrent donc leur fusil d’épaule. Ils sélectionnèrent le groupe, qui non seulement avait joué au n-back, mais avait également effectué des progrès sensibles dans le jeu. Les résultats furent beaucoup plus encourageants. En conséquence, la véritable formulation du succès de l’expérience serait plutôt la suivante : « ceux qui effectuent des progrès au dual n-back verront leur intelligence fluide augmentée lors des tests subséquents ».
Des résultats encourageants, mais ambigus
Au final, pourtant, nous appelle encore l’article de Discover, le résultat n’est positif que sur un échantillon limité. Ainsi, seuls 18 enfants ont fait partie du groupe des “champions des n-back”. C’est une indication qui va dans le bon sens, mais le nombre de sujets est trop réduit pour permettre d’établir des certitudes.
D’autres questions peuvent bien sûr se poser. Par exemple, s’il est établi que les enfants jouant au n-back voient leurs résultats aux tests de QI augmentés, cela signifie-t-il que leurs capacités d’apprentissage seront véritablement améliorées dans le monde réel ? Autrement dit, cela ne résout pas la question de la validité du QI en général.
La question de la durée de l’effet se pose aussi. Il semblerait, toujours d’après l’étude, que les effets du n-back se seraient poursuivis pendant 3 mois après l’expérience. Mais, comme nous le rappelle encore Discover, tous les enfants y compris ceux du groupe témoin qui n’avait pas joué au jeu ont constaté des améliorations de leur intelligence fluide, probablement dues à leur croissance naturelle.
Les chercheurs ont effectué d’autres études, nous explique Medical Xpress, sur des adultes cette fois, en prenant des scans IRM de personnes entraînées. Rappelons que l’IRM permet de mesurer la circulation du sang dans les diverses zones du cerveau. Les enregistrements ont montré que les parties entraînées du cerveau étaient moins irriguées que celles qui n’avaient pas été exercées. Ce résultat peut paraître bizarre, mais il confirme un fait déjà établi en neuroscience : le cerveau fonctionne à l’inverse d’un muscle. Lorsque nous faisons du sport, les muscles les plus exercés reçoivent plus de sang. Au contraire, lorsque nous affûtons une capacité cérébrale, celle-ci nécessite un apport sanguin réduit. Ainsi, les bons musiciens utilisent-ils moins d’énergie pour jouer que les débutants. Ces résultats laisseraient donc à penser qu’effectivement certaines zones du cerveau se retrouvent boostées par les exercices mentaux (en n’oubliant pas toutefois, ici encore, que l’IRM n’est en rien une parole d’Evangile et constitue au mieux une indication, pas une preuve).
Toujours selon Medical Xpress, la pratique du dual n-back aurait un effet secondaire assez intéressant. « Selon Jonides, les enfants seraient moins attirés par des informations séduisantes, mais incorrectes. Psychologiquement, cela les rendrait plus conservateurs ».
Malgré toutes ces ambiguïtés, il se passe probablement quelque chose avec le dual n-back, reste à savoir quoi exactement et quelle est sa portée.
Pour les chercheurs, pas de doute, cela confirme la valeur d’au moins certains exercices mentaux, et d’affirmer dans l’introduction de leur article :
« Nous suggérons que les recherches à venir ne s’attachent plus à savoir si les exercices d’entraînement cognitif sont efficaces. Elles devraient plutôt déterminer quels types d’exercices fonctionnent, dans quelles conditions s’effectuent les meilleurs transferts, et devraient chercher à évaluer les mécanismes cognitifs et neuraux sous-jacents. Enfin, elles devraient établir quelles sont les personnes qui devraient bénéficier le plus d’un entrainement cognitif ».
L’avenir dira si leur optimisme était justifié…