Alex Soojung-Kim Pang, du Peace Innovation Lab à Stanford et du Groupe d’étude des systèmes sociaux numériques de Microsoft Labs, a débuté son intervention à la conférence Lift en nous suggérant une petite activité : « consultez vos e-mails » a-t-il demandé, « vous allez le faire de toute façon ». Mais il nous a demandé d’observer notre comportement à ce moment : il semble en effet qu’en majorité, les internautes retiennent leur respiration au moment de cette consultation. Ce qui a pour conséquence d’augmenter notre CO² dans le sang et donc notre sensation d’anxiété. Voilà pour lui un exemple de la manière dont les technologies modernes provoquent des stress.
Image : Alex Soojung-Kim Pang sur la scène de Lift, photographié par Swannyyy.
« On dit souvent que nous sommes dans l’âge de l’information, a-t-il continué, alors qu’on a plutôt l’impression d’être dans l’âge de la distraction ». Cette distraction est-elle inévitable ? Est-elle intrinsèque aux nouvelles technologies ? « Tous les historiens des médias s’accordent pour dire que l’introduction de nouveaux médias, comme l’écriture, s’est accompagnée de profondes modifications de la structure de notre cognition. Si nous voulons résoudre les problèmes posés par les technologies, il faut d’abord comprendre comment celles-ci interagissent avec notre cerveau. »
Avant toute chose il faut redéfinir notre esprit de manière adéquate. Nous ne sommes pas limités à notre corps, nous avons des cerveaux élargis : nous sommes profondément couplés au monde extérieur via nos sens, les objets de notre environnement, les systèmes technologiques que nous utilisons, etc. Ce modèle du cerveau étendu est utile parce qu’il nous permet de mieux comprendre notre relation avec la technologie, en dehors du manichéisme propre à ce genre de discussion. Comme le dit le philosophe Andy Clarke « nous sommes des cybergénies naturels », autrement dit nous cherchons constamment à étendre nos capacités mentales. Si nous avons un problème aujourd’hui ce n’est donc pas à cause de limitations que nous imposerait la technologie en elle-même : c’est parce que nos outils sont mal conçus et mal utilisés. Autrement dit, nous employons de mauvaises prothèses.
Pour répondre à ce défi, Alex Soojung-Kim Pang a développé le projet « d’informatique contemplative« . Il ne s’agit pas d’un nouveau système technique, a-t-il précisé, par exemple, le « cloud » (l’informatique en nuage) : « l’informatique contemplative est quelque chose qu’on fait, une manière de penser et d’agir ».
« On accuse souvent le monde moderne de nous encourager à la distraction, mais en réalité, le problème a toujours existé, et des méthodes comme la méditation ont été mises en place en Asie il y a plus de 3000 ans pour faire face à ce problème de distraction. Des techniques comme la méditation peuvent-elles nous aider à gérer notre environnement informationnel contemporain ? »
Pour Alex Soojung-Kim Pang, la méditation est une sorte d’auto-expérimentation extrêmement puissante. Elle est capable de nous procurer des informations sur notre psychologie qu’on ne peut pas obtenir avec des focus groupes par exemple. Un biographe du Bouddha raconte ainsi que celui-ci avait transformé son esprit en un laboratoire où effectuer des expériences. Selon de nombreuses recherches, ces pratiques contemplatives permettent de restaurer la mémoire ou l’attention, qui peuvent avoir été perdues à la suite de traumatismes, par exemple. On peut réorganiser l’esprit élargi grâce à l’auto-expérimentation méditative, et arriver à comprendre comment les technologies modifient la structure de notre esprit. On peut ainsi remarquer des phénomènes comme l’arrêt de la respiration lors de la consultation des e-mails, et y remédier. Le bricolage (« tinkering ») est un autre exemple d’une activité technique nous amenant à la contemplation. C’est au final une attitude assez zen. Lors d’une séance de bricolage, on remarque des détails techniques qui nous avaient échappés auparavant.
L’attitude méditative peut même nous permettre de découvrir certains préjugés concernant le fonctionnement de notre esprit et comment ces préconceptions peuvent affecter le développement de nos outils. Par exemple, croire que la rapidité est un signe d’intelligence. Unanimement rejetée par le monde de l’informatique, la lenteur est pourtant bien souvent signe de compétence : il n’existe pas de sport ou de jeu où la vitesse soit une fin en soi, celle-ci n’est qu’un moyen en vue d’accomplir son but. Dans un jeu vidéo, un bon joueur tape exactement sur la bonne touche, contrairement à un débutant, qui va multiplier les actions : le bon joueur est donc souvent plus lent et plus précis.
De la même manière, une respiration rapide est un réflexe inconscient, signe d’une perte de contrôle. Les méditants peuvent passer des années à ralentir leur respiration. Des systèmes comme Breathing Colors (présenté à Lift Experience) peuvent provoquer le même effet, et bien sûr la nouvelle génération d’interfaces cerveau-machine, comme les casques Epoc ou Neurosky (dont une démonstration figurait d’ailleurs également au Lift Experience via un jeu avec lequel il fallait garder son calme peuvent), par la technologie, encourager les états mentaux calmes et méditatifs.
Image : sur Lift Expérience, le casque du SFR Player qui vous invite à vous concentrer et rester calme pour faire bouger des cubes dans l’espace, photographié par Alex Soojung-Kim Pang.
« Un jour, tous les objets auront peut-être leur adresse Internet. Ajoutez à cela les jeux en ligne, la pub, les GSM… La situation peut devenir ingérable si nous n’apprenons pas à développer la contemplation. »
Un proverbe bouddhiste dit que personne ne peut échapper à la mort ou la perte, mais on peut façonner l’impact que ces évènements ont sur nous. De même, l’impact des technologies de l’information sur notre « cerveau élargi » est inévitable. Mais la contemplation peut nous aider à le comprendre et à le moduler.
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yes ! http://identi.ca/notice/65991395
Surpris d’apprendre que Christophe Lemaitre n’est pas un sportif… Et si la lenteur était un signe de compétences en sport, l’équipe de France de football aurait été qualifiée de très compétente en 2002 (avec le succès qu’on lui connait).
De plus « un bon joueur tape exactement sur la bonne touche, contrairement à un débutant, qui va multiplier les actions : le bon joueur est donc souvent plus lent et plus précis. » est très souvent faux. Dans votre cas de figure, le bon joueur est celui qui va être le plus rapide à appuyer sur la bonne touche. Dans les FPS c’est le plus rapide à toucher l’autre qui gagne, par exemple.
C’est d’ailleurs valable pour l’écrasante majorité des jeux multijoueurs, exceptés les jeux « tour à tour ». Et si ce n’est pas dans la rapidité du réflexe, c’est alors dans la rapidité de la réflexion!
La vitesse est simplement dépensière en énergie, et la méditation une possibilité pour endiguer cette consommation (je me limite ici bien sûr au cadre de l’informatique).