LOL ! Le web vous fait-il rire ?

lolcat03Le rire est-il le propre du web ? En tout cas, depuis la naissance de la Toile, sites de blagues, images et vidéos détournées, petites phrases citées et reprises en mèmes dans la spirale de l’internet viral se sont multipliées, faisant du numérique, peut-être devant la télévision ou la presse papier, le principal support de l’humour contemporain. Pour en discuter lors de la troisième conférence du cycle « Eclairages pour le 21e siècle » (podcast), qui s’est tenu le 7 novembre à la BPI, quatre intervenants se sont réunis autour de l’animatrice de Chroniques de la rentrée littéraire, Abeline Majorel : Vincent Glad, journaliste à Slate.fr, fin observateur de la culture web et spécialiste de « l’humour LOL » sur son fil Twitter ; Jane Weston, qui a écrit une thèse sur l’humour bête et méchant ; Eric Smadja, psychanalyste et anthropologue, auteur d’un « Que sais-je » sur le rire ; et Cyrille de Lasteyrie, dit « Vinvin », blogueur, auteur de vidéos humoristiques, cofondateurs de la société de production audiovisuelle StoryCircus et aujourd’hui animateur à la télévision dans une émission de France 5 en compagnie de François Rollin, « Le grand Webze ». .


Le Scandale des Chansons pour Enfants par Vinvin

LOL ou pas LOL ?

lolcat01Les formes d’humour sont multiples sur le web. Pour Vincent Glad, la forme la plus populaire reste ce qu’on appelle la « culture LOL » (pour Laughing Out Loud, c’est-à-dire « mort de rire »), dont les fameux « Lolcats » sont l’illustration la plus connue : des photos de chats accompagnées d’un commentaire humoristique écrit dans un anglais approximatif (il existe même une bible traduite en langage « lolcat »). L »humour LOL, ultra rapide, qui repose souvent sur des détournements d’images, est né sur 4chan, ce forum qu’on a souvent appelé la « poubelle du net », et qui diffuse des images en tout genre, du pire au meilleur. La rapidité de l’humour LOL, est selon Vincent Glad, illustratif du mode multitâche propre aux internautes. On a plusieurs onglets ouverts sur son navigateur, certains liés à son travail, d’autres aux actualités… et parmi la multitude de fenêtres ouvertes, il peut y en avoir une avec un « lolcat » ou une autre photo détournée : on la regarde, on rit et on passe à autre chose.

enhanced-buzz-726-1276016888-132Lorsqu’une image connait le succès, elle peut se retrouver déclinée en des milliers de versions. Exemple, « Sad Keanu », issu d’une photo de paparazzi représentant un Keanu Reeves à la mine sinistre en train de grignoter des donuts. La photo de l’acteur a été détourée et mise par les utilisateurs sur une multitude de fonds différents. En bon enfant de l’internet, l’humour LOL est anonyme et collaboratif. Pour autant, nous a rappelé Glad, cette culture n’est pas si démocratique que cela. Elle implique la capacité d’utiliser Photoshop, voire de monter des vidéos. C’est une culture jeune, urbaine, assez geek.

Mais la culture LOL n’est pas la seule forme d’humour sur le net. Vinvin, par exemple, a marqué plusieurs fois sa distance avec elle. L’humoriste a ainsi confié que l’usage généralisé de l’anonymat, propre aux adeptes de 4chan, ne le faisait pas rire. D’ailleurs, a-t-il dit, ce qui caractérise l’humour contemporain, c’est moins le LOL que l’importance de la rapidité. Rapidité qui s’exprime aussi dans des programmes télévisés comme Bref, a souligné Jane Weston.

Rire en 140 caractères

A milles lieues de 4chan, Twitter a développé son propre style d’humour internet. Il est vrai que la limite des 140 caractères pousse à créer la formule-choc. Très appréciés des internautes, les « tweet clash » opposent deux personnalités via leurs messages interposés. C’est à qui arrivera le mieux à « casser » son adversaire, comme dirait Brice de Nice.

joffrin-695x670Certaines célébrités se sont brûlé les doigts lors de « tweet clash ». Pour exemple, Laurent Joffrin, directeur du Nouvel Obs, qui pour avoir lancé un « qui vous a autorisé à me tutoyer » sur le service de microblogging est devenu la cible des internautes, comme le raconte Vincent Glad sur son blog

De fait lorsqu’on est une célébrité, et singulièrement une célébrité politique, est-il nécessaire de manifester son humour sur le réseau ?

Pas nécessairement de l’humour, précise Glad, mais en tout cas une connaissance du « parler internet » qui évite les tics de langage de l’ère prénumerique. NKM, Eric Besson, Benoit Hamon le maitriseraient très bien. En revanche, estime Glad, « François Hollande est un vrai boute-en-train dans la vraie vie, mais pas sur le net « .

Le rire, l’anonymat, et l’expression de soi

lolcat04Eric Smadja a tenté une mise au point théorique en distinguant deux catégories de rire, le rire manifestation émotionnelle (comme la joie), et le rire risible, ludique, issu de notre désir de rester enfant.

Pour lui, le rire web est typique de notre société et exprime la contradiction qui lui est inhérente, entre l’individualisme (le rire qui ne respecte rien) et la massification, qui se manifeste par l’anonymat.

Pour Smadja, l’humour sur internet participerait du besoin simultané de s’exprimer et de voir : le couple voyeur/sadomasochiste. Il y eut d’ailleurs ce soir-là plusieurs échanges entre les participants à propos de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’extime » par opposition à l’intime : cette disposition ou ce désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque-là considérés comme relevant de l’intimité, comme le définit le psychiatre Serge Tisseron à la suite de Lacan. En réaction à une réflexion d’Abeline Majorel qui disait que les meilleures blagues sont souvent celles qui sont pensées à l’avance, Vincent Glad a suggéré que la vanne Twitter possède ceci de particulier qu’elle est souvent spontanée, lancée dans le feu de l’action ou de la conversation : elle révèle quelque chose de son auteur, peut-être à son insu.

Si l’humour LOL est souvent anonyme, Twitter au contraire tend à identifier les auteurs et les soumet au risque de mettre à jour des aspects de leur personnalité qu’ils souhaiteraient garder pour eux. Pour Vinvin, pas de souci, lance-t-il avec le sourire : « j’assume mes propos à vie, pour l’éternité ». Glad, lui a mentionné qu’une part excitante de Twitter tient au concept de « clair obscur » cher au sociologue Dominique Cardon : on parle en public, mais en réalité, il y a très peu de chance qu’on vous lise, ou, si on vous lit, qu’on se souvienne de vos propos pendant longtemps. Et de citer l’exemple d’une cascade de blagues qui se développa il y a peu de temps, après la candidature de Chevènement aux prochaines élections présidentielles : il s’agissait de placer le nom de Chevènement dans le titre d’un film célèbre (l’ex-ministre lui-même aurait d’ailleurs participé, en proposant « La Ruée vers Chevènement »). Voilà un exemple d’un « mème » qui tombera certainement très vite dans l’oubli, a-t-il expliqué.

La nouvelle célébrité

lolcat05Ces humoristes du web, connaitront-ils une gloire sur les médias traditionnels ? Ont-ils même intérêt à se tourner vers eux ?

Le jeune auteur de « Norman fait des vidéos » a choisi : il ne veut pas passer à la télévision. Le web est son média, et le restera. Certes, mais comment dans ce cas pourra-t-il vivre de son art, s’est demandé Vinvin. Plusieurs millions de passages sur Youtube permettent de glaner quelques recettes publicitaires, mais est-ce suffisant ? L’une des spectatrices de la conférence a alors précisé que Norman bénéficiait aujourd’hui d’un partenariat avec Orange.

Toujours est-il que le passage de l’internet à la télévision n’est pas toujours facile, a expliqué Vinvin. Et s’il est vrai que si certains ont réussi leur changement de média comme Max Boublil qui avait lancé son premier sketch sur internet en 2007, d’autres ont moins réussi leur migration sur le petit écran, comme Rémi Gaillard celui qui fait n’importe quoi pour devenir n’importe qui qui conserve pourtant une très forte audience sur le Net. Pour exemple cet humoriste Twitter remarqué et invité par Laurent Ruquier qui n’a pas su déclencher l’enthousiasme lors de son passage télévisuel. Plusieurs causes expliqueraient ce difficile examen de passage. Outre le fait qu’il s’agit, intrinsèquement de média différents, la télévision est aux mains de producteurs plutôt âgés, qui ne comprennent pas les codes des humoristes internet, plus jeunes. Mais il y a aussi une réaction possiblement négative du public, a expliqué Vincent Glad, qui tient justement à l’aspect toujours un peu « underground », « anti-establishment » de l’humour internet. L’arrivée à la télévision peut être vécue comme une trahison.

Un rire contestataire

lolcat06Mais finalement, l’humour internet propose-t-il vraiment quelque chose de neuf ? Ce goût de la rapidité, de la dérision, de la provocation, n’était-il pas déjà pratiqué par les revues « bêtes et méchantes » comme Charlie Hebdo ou Hara Kiri ?

Le détournement de la publicité, a ainsi précisé Jane Weston, était déjà pratiqué par Hara Kiri, bien sûr. Mais aujourd’hui, un journal comme Charlie Hebdo se retrouve en difficulté à essayer de s’adapter à une culture web qu’il avait largement rejetée à ses débuts.

Vinvin s’est dit largement inspiré par Charlie Hebdo et Hara Kiri, même si a-t-il ajouté, « je ne suis pas provocateur ». Pour Vincent Glad, c’est Canal+ qui serait aujourd’hui l’influence majeure des humoristes web français, plus que Charlie Hebdo ou Hara Kiri.

« Mais tout de même », précise Vinvin, « il y a quelque chose de triste dans l’humour LOL. Charlie était provocateur, mais il y avait aussi de l’engagement, qui semble singulièrement manquer chez leurs épigones numériques ».

Aujourd’hui, cette contestation s’exprime peut être moins par son contenu que par ses méthodes, proches du hacking : « Le LOL, c’est le hacking de l’économie de l’attention », a expliqué Vincent Glad. L’exemple en est la fausse mort de Jean Dujardin, programmée par des adolescents. Leur but avoué était d’arriver à faire afficher un bandeau consacré à la fausse nouvelle sur BFM TV. Ils avaient pour cela élaboré toute une stratégie média, impliquant par exemple la création de comptes fictifs sur le site du Post. Il s’agissait de montrer, explique Glad, que « les jeunes sont plus forts ».

Il n’est d’ailleurs pas étonnant, a-t-il précisé, que le mouvement Anonymous soit né, lui aussi, sur 4Chan. Il y a un lien entre la culture LOL, Anonymous et les « indignés » de Wall Street (qui utilisent comme Anonymous le fameux « masque de Guy Fawkes » popularisé par la BD et le film V pour Vendetta). Ces différents mouvements illustrent peut être, chacun à leur manière, l’impression persistante qu’on ne peut pas vraiment changer les choses, juste marquer son rejet par des manifestations sans programme précis, ou par des actions humoristiques déstabilisant l’ordre établi.

Rémi Sussan

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