Apprendre à coder pour apprendre à décoder

Le 9 janvier 2012 le journal britannique The Guardian a lancé une campagne pour améliorer l’enseignement des technologies et de l’informatique dans les écoles et universités anglaises.

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Image : La campagne pour améliorer l’enseignement des technologies et de l’informatique du Guardian.

Réagissant à cette campagne, le ministre de l’Éducation, Michael Gove, a expliqué que l’enseignement de l’informatique à l’école devait être profondément remanié, plutôt que de laisser les enfants « s’ennuyer avec Word et Excel avec des enseignants qui s’ennuient eux-mêmes » et a appelé à créer un programme open source en informatique donnant la liberté aux écoles d’utiliser des ressources pédagogiques conçues à la fois par les industries et les universités. Pour le ministre, il est essentiel de relancer l’héritage du mathématicien britannique Alan Turing, « en créant une génération de jeunes gens capables de travailler à la pointe du changement technologique ». Le ministère de l’Éducation a annoncé vouloir lancer très rapidement une consultation pour ajouter l’informatique au Certificat général de l’enseignement secondaire qui sanctionne la fin de l’enseignement général en Grande-Bretagne.

Reste à savoir quelle forme prendra cet enseignement pour le rendre « efficace, créatif et réfléchi ».

Pour cela, avant de s’appuyer sur ses propres propositions, le ministère britannique peut déjà se nourrir de deux études plutôt stimulantes sur le sujet. En octobre 2011, Alex Hope, directeur de Double Negative, une société spécialisée dans les effets visuels pour le cinéma qui emploie un millier de personnes, et Ian Livingstone, le créateur de jeux de rôles, co-fondateur de Games Workshop et président d’Eidos, ont publié un rapport pour le Nesta sur la prochaine génération (Next gen) pour inviter le gouvernement à investir dans le développement de la formation en matière numérique. Alex Hope expliquait ainsi à la BBC que « coder était le nouveau Latin du XXIe siècle ». Déplorant la chute – et la très forte masculinisation – du nombre d’étudiants inscrits en informatique à l’université britannique (16 500 en 2003 contre 10 600 en 2007 et 13 600 en 2010), le rapport du Nesta invitait déjà à revaloriser l’enseignement de l’informatique dès l’école. « Si le gouvernement est la recherche d’opportunités de croissance, il a besoin de former les programmeurs et les créatifs dont les entreprises ont besoin » et pour cela de développer les talents de la prochaine génération.

La Royal Society vient, quant à elle, de publier une étude sur l’enseignement de l’informatique à l’école. Si les écoles britanniques ont plus d’ordinateurs par élève que presque tous les autres pays européens, elles ne parviennent pas à élever les élèves à un niveau « d’intérêt, d’enthousiasme et de créativité que même une maîtrise modeste du sujet permet ». Les investissements lourds n’ont pas amélioré l’enseignement de l’informatique, expliquent les rapporteurs de la Royal Society, comme le remarquait récemment le New York Times. Les scientifiques recommandent que les enseignants du primaire utilisent des logiciels disponibles pour aider les élèves à apprendre à coder (comme Scratch), tandis que les écoles secondaires devraient offrir une qualification scientifique de qualité et même être plus rigoureuse encore pour les élèves de plus de 16 ans. Enfin, le rapport pointe le fait que l’informatique souffre également d’une grave pénurie d’enseignants ayant une connaissance suffisante du sujet.

Le plan que prépare Michael Gove devrait permettre à chaque école d’être plus libre dans les expérimentations informatiques qu’elle lancera. Le Guardian, qui anime le débat en ligne, évoque notamment la contribution de Peter Twining de l’université ouverte qui demande à ce que l’éducation nationale fournisse une infrastructure qui permette à chacun d’utiliser ses propres outils (comme le recommande (.pdf) l’e-learning Foundation), de fournir des informations et des conseils aux parents sur les technologies plus plus utiles (à l’image du programme What Works de l’Institut des sciences de l’éducation américain que nous évoquions récemment ou à l’image du programme Vital de l’Open University) et aider les enfants qui n’ont pas le matériel nécessaire à la maison.

L’injonction à apprendre à coder pour utiliser et comprendre les outils de demain, n’est pas nouvelle, bien sûr. Reste à savoir si elle est une bonne réponse à l’analphabétisme numérique, ou si elle n’est pas démesurée par rapport aux besoins que nous avons d’aider les enfants à mieux comprendre les conséquences de la société de l’échange dans laquelle ils vivent. Comme le disait déjà Jean Véronis, il y a une différence entre apprendre comment fonctionne les mécanismes et l’injonction à devenir tous programmeurs.

A l’heure où les programmeurs sont souvent vus comme la « nouvelle élite politique », estime le Washington Post en évoquant à la fois les actions des hackers à l’encore du projet de loi américain Stop Online Piracy Act, les anonymous ou les thuriféraires du mouvement OccupyWallStreet qui développent des outils libres pour faciliter la contestation, devons-nous apprendre à programmer ou à être programmé, comme le soulignait le journaliste Douglas Rushkoff dans son livre éponyme ?

codeacademy logoCertains semblent sûrs de la réponse. La Code Academy a déclaré 2012 l’année du Code, en rassemblant déjà 290 000 personnes désirant faire l’apprentissage du codage et leur proposant des cours pratiques et hebdomadaires. Cette école du code, créée par deux étudiants de l’université de Columbia, Zach Sims et Ryan Bubinski, propose de donner des cours gratuitement à ceux qui le souhaitent. Le maire de New York, Michael Bloomberg a annoncé s’y être inscrit. Et la Maison Blanche vient d’y prendre une participation pour développer des formations d’été pour les étudiants noirs.

2012 marque-t-il une nouvelle étape pour l’avenir de la programmation ? « L’informatique pour tous » est-il encore un mantra pour le XXIe siècle ?

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. Merci pour cet article.

    Il faut aussi ajouter que la campagne du Guardian et l’annonce du gouvernement font suite à la publication en février 2011 d’un rapport du NESTA sur l’industrie du jeu vidéo qui pointait du doigt le manque de préparation des élèves du secondaire à des carrières dans l’informatique.

    C’est donc surtout le besoin de l’industrie du jeux vidéo très puissante au royaume-uni qui a convaincu le gouvernement. Un gouvernement qui a pourtant réalisé d’énormes coupes dans les budgets ICT des écoles.

    Et c’est à la suite de ce rapport que plusieurs acteurs dont le Guardian se sont réunis autour des représentants de l’industrie des jeux vidéos pour mener campagne.

    Enfin pour l’anecdote, c’est dans ce contexte que le patron de Google, Eric Schmidt, lors d’une visite au UK, a déclaré que le cursus scolaire des britanniques était en train de détruire leur héritage en matière d’informatique avant de venir en France inaugurer son nouveau centre de recherche…

  2. Un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique » en Terminale S entrera en vigueur à la rentrée 2012. Cette création est une première réponse, qui en appelle d’autres, à la question de la culture générale scientifique et technique au 21è siècle.
    L’informatique est partout. Dans la vie de tous les jours de tout un chacun. Elle est la forme contemporaine de l’industrialisation. Or, concernant l’enseignement de l’informatique, le rapport Stratégie nationale de recherche et d’innovation, SNRI, faisait en 2009 le constat que « la majorité des ingénieurs et chercheurs non informaticiens n’acquièrent pendant leur cursus qu’un bagage limité au regard de ce que l’on observe dans les autres disciplines. » La « réindustrialisation » suppose une forte compétence globale en informatique. Les débats de société sur les transformations qu’elle engendre se multiplient : Hadopi, libertés numériques, neutralité du Net… Il y a donc un triple enjeu : former l’homme, le travailleur et le citoyen, à savoir les missions traditionnelles de l’Ecole.
    La question se pose de savoir quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent à tout un chacun d’être en phase et en prise sur la société dans laquelle il vit. Sans risque de se tromper, on peut affirmer que « cliquer sur une souris » et utiliser les fonctions simples d’un logiciel ne suffisent pas à les acquérir, loin de là.
    Si les sciences physiques sont devenues discipline scolaire c’est parce qu’elles sous-tendent les réalisations de la société industrielle. Dans les débats sur l’énergie nucléaire ou les OGM, le citoyen peut s’appuyer sur ce qu’il a appris au collège et au lycée en sciences physiques et en SVT. Lors des votes sur la transposition de la directive européenne DADVSI et de la loi Hadopi, s’il fut abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, de modèles économiques…, ce fut sur fond d’interopérabilité, de DRM, de code source, de logiciels en tant que tels. Dans un cas comme dans l’autre on n’a pu que constater un sérieux déficit global de culture informatique largement partagé. L’informatique est l’une des trois grandes sciences contemporaines. Le monde devient numérique…
    La conséquence en est que l’informatique devient, et doit devenir davantage, discipline en tant que telle, composante de la culture générale scolaire. En effet, l’approche pédagogique selon laquelle on peut donner une culture informatique par les utilisations dans les autres disciplines enseignées par le B2i), d’une manière exclusive, s’est révélée être un échec. Un échec prévisible d’ailleurs : imaginons que l’on supprime le cours de mathématiques et qu’alors les entiers relatifs soient traités en histoire à l’occasion de l’étude de la période avant-après JC, et les coordonnées en géographie quand on parle de longitude et de latitude ! Et pourtant c’est ce que l’on a fait avec l’informatique.
    L’informatique objet et l’informatique outil pédagogique sont complémentaires et se renforcent mutuellement. L’informatique fait évoluer les objets et les méthodes des autres disciplines (voir par exemple les enseignements techniques et professionnels ou les sciences expérimentales avec l’EXAO et la simulation). Elle est un outil de travail personnel et collectif des enseignants et des élèves, de la communaité éducative. Mais elle aussi discipline scolaire, modalité pédagogique incontournable pour donner à tous les élèves l’indispensable culture générale en la matière.
    Association Enseignement Public et Informatique (EPI)

  3. Personnellement j’ai quelques doutes sur le principe d’apprendre aux jeunes élèves à coder. Ou alors du codage de haut niveau.
    Qui n’a jamais rencontré de ‘vieux’ développeurs qui sont complètement largués parce que leur langage fétiche n’est plus au goût du jour et/ou qu’ils ont raté un paradigme.
    Je serai par contre à 100% pour l’enseignement de l’informatique conceptuelle et pour une résurgence de l’algèbre, l’informatique pouvant montrer justement quelle peut être leur apport dans le concret.

  4. « Si les écoles britanniques ont plus d’ordinateurs par élève que presque tous les autres pays européens, elles ne parviennent pas à élever les élèves à un niveau “d’intérêt, d’enthousiasme et de créativité que même une maîtrise modeste du sujet permet”. »

    La science informatique n’est pas plus la science des ordinateurs que l’astronomie n’est celle des télescopes.

    — Edsger Dijkstra