#Lift12 : Au-delà de la finance ?

Que se passe-t-il quand le monde de la finance rencontre celui de l’innovation ? C’était l’enjeu de cette session proposée par la conférence Lift : essayer de nous amener à saisir l’avenir de la finance, via le regard d’un prospectiviste, celui d’une spécialiste des monnaies distribuées et celui d’un spécialiste de l’innovation financière.

Pour le prospectiviste de la monnaie, David Birch (@dgwbirch), de la société de consulting financier Hyperion, organisateur du Digital Money Forum qui a lieu chaque année à Londres, toutes les technologies capables de révolutionner les services financiers sont déjà parmi nous. Il nous faut juste observer les signaux faibles.

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Image : David Birch sur la scène de Lift, photographié par Ivo Näpflin pour LiftConference.

Quel scénario pour notre avenir monétaire ?

David Birch s’est appuyé sur les scénarios établis par Long Finance, le « centre financier du futur », qui a récemment publié un rapport sur l’avenir des services financiers à l’horizon 2050 (.pdf).

Le Centre en question a proposé 4 scénarios d’avenir, dans une matrice séparée par deux axes. Le premier opposait le « consensus de Washington » à la communauté, permettant d’imaginer un avenir allant de mesures imposées par les Etats à des mesures façonnées par différentes communautés. Le second axe oppose le banal au virtuel, permettant de refléter le rôle que prendront à l’avenir les communautés réelles ou virtuelles dans le développement des services financiers, nous interrogeant pour connaître le rôle de la géographie dans l’économie mondialisée de demain.

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Image : Les quatre scénarios de Long Finance et leurs implications.

David Birch explique ensuite rapidement les 4 scénarios proposés. Le premier la « Longue main » est un scénario où le monde virtuel domine et où les communautés font consensus. Les gens partagent un même espace physique, mais le commerce demeure « domestique ». Dans ce scénario, les monnaies virtuelles dominent. L’économie est balkanisée, les gens font du commerce par groupes et les communautés sont très limitées.

Le second scénario s’intitule « la main visible ». C’est un scénario où l’économie suit son cours, jusqu’au prochain effondrement. Les monnaies nationales s’effondrent et sont remplacées par le troc, les monnaies privées, l’or ou les cigarettes.

Le troisième scénario, intitulé la « seconde main ». Dans ce scénario, le consensus de Washington l’emporte. C’est le scénario de la débrouille, celui où les monnaies nationales se développent en parallèle avec des monnaies virtuelles spécialisées de niches.

Le quatrième scénario, intitulé « Plusieurs mains » est un scénario où les villes Etats remplacent les Nations. Dans ce scénario, les monnaies régionales remplacent les monnaies nationales, les 50 plus grandes villes (C50) remplacent le G20. C’est le scénario qui semble le plus plausible au prospectiviste, même si c’est celui où la compétition joue le plus grand rôle, comme une économie de la réputation implantée dans le monde réel.

Pour David Brinch, certaines tendances de ces scénarios semblent devoir mériter l’attention. Par exemple, la montée en puissance des grandes mégapoles. Non seulement les économies nationales sont très différentes d’un pays à l’autre, mais cela semble encore plus vrai des villes. « L’économie de la Grèce n’a rien à voir avec celle de l’Allemagne, celle de Londres, n’a rien à voir avec celle de l’Ecosse ». Face à la complexité de la régulation nationale, le management économique et politique devrait être plus aisé à l’échelle locale. En ce sens, les communautés semblent cruciales et la régionalisation de nos économies est un horizon auquel nous devons nous préparer. « Une monnaie mondiale est une idée ridicule. Si cela n’a pas marché pour l’Allemagne et la Grèce, cela ne marchera pas pour Mercure et Pluton. La monnaie mondiale n’a pas de futur », assène le prospectiviste de la monnaie.

Avec les nouvelles technologies, il est plus facile de créer de l’argent, cela ne coûte plus rien, comme l’illustre MPesa, Google Wallet, Facebook Credit, Brixton Pound ou Bitcoins. Les nouvelles monnaies ne semblent plus géographiques.

« Nous sommes à l’aube d’une révolution post-industrielle, et son efficacité est compromise parce que nous essayons toujours d’utiliser une monnaie industrielle ». A l’avenir, les paiements ne seront pas un service bancaire de plus, mais un service utilitaire. Les banques ne sont nécessaires que pour se mettre d’accord sur le taux de change, mais elles doivent être autre chose qu’un intermédiaire pour les paiements… L’avenir de la monnaie est résolument dans la révolution, conclut David Brinch… mais assurément il n’était pas facile de distinguer laquelle.

Bitcoins : monnaie de demain ou rêve de Geek ?

Adrianne Jeffries (@adrjeffries) est une journaliste américaine. Elle travaille pour le New York Observer et Betabeat. Elle est spécialisée dans l’innovation technologique et les monnaies virtuelles et elle a également suivi de très près Occupy Wall Street. Elle est venue sur la scène de Lift raconter l’histoire de Bitcoin, la monnaie électronique décentralisée (Wikipédia), qu’elle suit depuis longtemps.

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Image : Adrianne Jeffries sur la scène de Lift, photographiée par Ivo Näpflin pour LiftConference.

Bitcoin est une monnaie globale, virtuelle, qui n’existe que sur l’internet, complètement décentralisée, sans régulateur autre qu’un algorithme (vidéo explicative). L’idée de cette monnaie est née sous la plume de Satoshi Nakamoto, un pseudonyme masquant un auteur anonyme, dans un article intitulé : un système électronique monétaire en P2P (.pdf). Plus qu’une monnaie, Bitcoin est un protocole d’échange monétaire alternatif, sans banque, ni autorité centrale.

Comme l’explique très bien Stanislas Jourdan sur Owni, Bitcoin est une monnaie de programmation. Cette monnaie purement virtuelle et en P2P, a besoin de vérifier et archiver les transactions effectuées. Les utilisateurs doivent donc télécharger le logiciel et offrir de leur processeur au réseau Bitcoin pour qu’il puisse faire ses calculs, en échange de quoi ceux-ci sont rémunérés par des Bitcoins, qui ne peuvent être utilisés qu’une fois. Le principe de Bitcoin est donc d’avoir une masse monétaire qui s’accroit petit à petit à mesure que les ordinateurs de ceux qui l’échangent offrent de leur puissance de calcul. Le programmeur de cette monnaie a fixé une limite à 21 millions de Bitcoins (une limite qu’on devrait atteindre vers 2030), ce qui rend de plus en plus difficile d’obtenir de nouveaux crédits pour de nouveaux arrivants (il faut de plus en plus de temps de machine pour générer une unité monétaire). Une asymétrie des droits entre les premiers utilisateurs de Bitcoin et les nouveaux arrivants qui n’est pas sans rappeler le tristement célèbre schéma de Ponzi, comme l’explique Stéphane Laborde de Création Monétaire.info.

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Image : L’évolution de la valeur de Bitcoin, via BitCoinCharts, la monnaie P2P étant totalement transparente, elle permet de suivre son évolution en temps réel.

Dans les premiers temps, Bitcoin a connu une véritable ruée vers l’or, tant et si bien que la presse s’est demandé s’il n’y avait pas une bulle Bitcoin… Dans le quartier où elle habite, Adrianne a vu un restaurant qui acceptait les Bitcoins. Elle en a donc acheté et en a entreposé sur un site… qui a fermé quatre jours après, piraté. C’est effectivement l’un des problèmes de cette monnaie, explique la journaliste : elle est sensible aux piratages, aux crashs d’ordinateurs. Cela a conduit les médias à vite enterrer l’avenir de Bitcoin…

bitcoinsvaluePourtant, Bitcoin n’est pas encore mort, prédit Adrianne Jeffries. « Comme toutes les monnaies, Bitcoin a deux faces. En proposant l’anonymat contre la sécurité, la décentralisation contre l’utilisabilité, l’indépendance contre la légalité », la monnaie P2P a conservé ses aficionados. Elle reste une monnaie expérimentale, explique la journaliste. Si actuellement elle est dans le creux de la désillusion, des équipes continuent à y travailler. Le volume d’échange est encore actif, même si la valeur, qui était montée à 33 $ est largement retombée. Elle a de nombreux concurrents d’ailleurs comme NameCoin (qui se veut plutôt un système distribué de nom de domaine sur le principe de Bitcoin, pas forcément très sérieux d’ailleurs), SolidCoin, GoldCoin et StableCoin, Dwolla (une monnaie « de compte à compte »)… voire même les Facebook Credits… Même si on peut douter que Bitcoin soit capable d’entrer en compétition avec des monnaies électroniques centralisées, comme les Credits Facebook.

Pour l’instant, Bitcoin demeure une monnaie geek, trop difficile à utiliser pour devenir grand public, même si le principe de son ouverture, de sa transparence, est forcément stimulant, estime la journaliste, avec peut-être un peu trop de candeur.

L’innovation est déjà à l’oeuvre

Sean Park (@anthemis et @parkparadigm) est un investisseur canadien cofondateur du groupe Anthemis et auteur du Park Paradigm. Sa présentation intitulée « Réinventer la finance, une réforme numérique émergente » a surtout consisté en une stimulante recension de nouveaux services financiers, égrainés forcément trop rapidement, mais qui permettent de faire un point sur le foisonnement d’idées en provenance de nouveaux acteurs de ce secteur.

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Image : Sean Park sur la scène de Lift, photographié par Ivo Näpflin pour LiftConference.

« Les institutions tentent de préserver le problème pour lequel elles sont la solution », disait Clay Shirky. L’enjeu n’est pourtant pas de réinventer la finance depuis zéro, mais de faire un pont entre le monde financier et l’innovation, explique l’investisseur, à la manière dont le propose Calota Perez dans son livre Révolutions technologiques et capital financier. Nous sommes passés de l’économie industrielle, née en 1771, à un nouveau paradigme, celui de l’économie de l’information, qui nous fait sortir du premier, estime Sean Park. Dans le domaine financier, nous passons des plateformes physiques aux plateformes numériques, où tout devient service, même le paiement.

Depuis 2006, qu’il s’intéresse à ces évolutions, Sean Park a observé avec beaucoup d’attention les nouveaux services des domaines du paiement, de la finance personnelle, de la banque, de la gestion du risque, de la gestion de patrimoine, des marchés et des opérations de marché.

Dans le domaine de la finance personnelle, Sean Park nous invite à prêter attention à plusieurs start-ups comme Simple, Fidor Bank, Movenbank qui sont des systèmes bancaires simplifiés, pensés pour l’utilisateur. Ou encore Zopa, Holvi et Wonga, des systèmes de crédit communautaire, Billguard, un système pour surveiller les frais abusifs sur les cartes de crédit, ArchiveMe, un astucieux système qui permet de numériser ses factures pour dresser un tableau de bord de ses dépenses ou Payoff, une plateforme pour surveiller ses dépenses et les optimiser. Simple notamment, qu’il présente comme l’Apple de la finance personnelle, a surtout travaillé sa conception afin d’ôter ce qui fait la complexité d’une banque pour créer une expérience utilisateur renouvelée, simple et agréable.

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Image : l’interface simplifiée de Simple, l’outil pour surveiller ses dépenses personnelles.

Dans le domaine des marchés et des opérations de marché, Sean Park nous invite à prendre le temps d’aller voir des sites comme eToro, StockTwits, AlphaClone, Estimize ou Trefis, un outil d’analyse qui relie les produits des entreprises aux marchés dont ils dépendent, pour mieux comprendre leur évolution. eToro est un réseau de traders qui permet de suivre les meilleurs et de les récompenser, permettant de faire du trading de manière sociale. StockTwits, qu’il présente comme un concurrent de Bloomberg, le spécialiste de l’information sur les marchés, démocratise l’accès à ceux-ci. Autant d’innovateurs qui pourraient demain tuer les salles de marchés des banques, estime avec emphase l’investisseur.

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Image : eToro, le réseau de traders.

Dans le domaine de l’assurance et de la gestion de risque, Sean pointe The Climate Corporation, un système d’assurance climatique en ligne et OpenGamma une plateforme d’analyse financière unifiée. Dans celui de la gestion de patrimoine, Sean attire notre attention sur Betterment, Blueleaf, Covestor et Nutmeg qui permettent de maîtriser finement ses investissements et de profiter de fonctionnalités sociales et algorithmiques pour les optimiser, notamment en calquant ses investissements sur les investisseurs les plus performants. Dans le domaine de la banque d’affaires il pointe vers FeeFighters, un système de comparaison des crédits, Kabbage et FundingCircle, des plateformes d’investissement coopératif, AxialMarket un réseau social pour développer des relations d’affaires ou Bilbus, un système de facturation et de prêts. Enfin, dans celui des paiements, il distingue Square, le système de paiement mobile, mais également Stripe, un système de paiement sans frais optimisé pour les développeurs, The Currency Cloud, un système de paiement international pour simplifier la conversion de fonds, Dwolla, Ixaris ou Leetchi, un système pour gérer des collectes de fonds.

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Image : Kabbage, une plateforme d’investissement coopérative.

Alors que le paradigme de l’économie industrielle reposait sur l’intégration verticale, la rareté, le capital financier, les produits, et les seuils d’échelle, le paradigme de l’économie de l’information a pour caractéristique d’être distribué, abondant, talentueux, résistant et de s’intéresser avant tout à l’expérience utilisateur. Ce paysage de sociétés qui réinventent la finance risque de bouger très vite, prévient Sean Park… Toute la question est de savoir si les banques traditionnelles finiront par s’en inspirer pour se transformer ou si ce sont ces nouveaux acteurs qui vont prendre de l’ampleur. Sean Park en citant l’architecte et designer américain Buckminster Fuller (Wikipédia) a déjà la réponse : « On ne change pas les choses en combattant la réalité existante. Pour changer quelque chose, il faut construire un nouveau modèle qui rend le modèle existant obsolète. »

Dommage que cette présentation soit trop riche d’exemples pour en prendre toute la mesure.

Hubert Guillaud

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0 commentaires

  1. L’article sur bitcoin, le seul logiciel libre capable aujourd’hui d’offrir un contre-pouvoir aux réseaux financiers établis, est consternant et indigne de la Fing. L’auteur ne sait visiblement pas de quoi il parle en reprenant des interventions ou des opinions de gens qui eux mêmes parlent beaucoup mais ne font rien. Bitcoin est un mouvement et rien ne l’arrêtera malgré la propagande des lobbies.

  2. Intéressante approche de Long Finance sur la place future des monnaies virtuelles.
    En revanche, il y a effectivement beaucoup trop d’approximations et de subjectivité dans la partie Bitcoin de cet article.

  3. Ca veut dire quoi « les communautés font consensus » (scénario « longue main »).