Jouabilité et cognition (2/2) : interfaces de demain

La seconde partie de la journée d’étude praTIC sur le thème « jouabilité et cognition » qui se tenait le 20 février 2012, a proposé aux Editions Volumiques une stimulante carte blanche. Bertrand Duplat, cofondateur avec Etienne Mineur de cette société innovante, a ouvert la discussion.

Bertrand Duplat« Nous ne voulons pas que que le numérique remplace le tangible », a-t-il expliqué. « On adore le papier, les plateaux de jeu… Notre but est de faire des « jeux vidéos de papier ». Il a ainsi montré nombre de prototypes tout à fait originaux combinant médias traditionnels et numériques. Mais comme la plupart de ces créations ont été largement exposées dans un précédent article d’InternetActu, nous préférons vous y renvoyer.

Expériences de neurohacking

Ensuite, Sam le neurohacker du TMP/LAB a fait part de ses travaux avec les BCI (Brain Computer Interface). Il a d’abord tenu à définir le « neurohack » et singulièrement le terme de hacking. A travers ce mot, il s’agit bien entendu, de parler de détournement, pas de piratage.

Un neurohacker travaille en trois étapes distinctes : il commence tout d’abord par se définir un objectif. Par exemple, composer de la musique via les ondes cérébrales. Sam nous a expliqué que l’idée lui a largement été inspirée par un jeu musical attribué à Mozart, qui aurait créé une partition susceptible de donner une musique aléatoire en assemblant les éléments suivant un jeu de dés.

Ensuite, le neurohacker doit se demander quelles sont les compétences à acquérir. Enfin seulement, il commence à manipuler.

Mais pourquoi manipuler ? Sam ne s’intéresse guère aux techniques qui prétendent améliorer le cerveau, comme la stimulation électrique cérébrale, rappelant que lors des essais certains sujets se sont plaints de brûlures et de douleurs. Il a cité en revanche des moyens « plus doux » de reconfigurer ses capacités cérébrales, comme cette expérience effectuée par le Magnetic Perception Group en Allemagne. Pendant plusieurs semaines on a demandé à des sujets de se déplacer avec une ceinture dotée d’un dispositif leur indiquant constamment le Nord. Lorsqu’après plusieurs semaines on leur a enlevé la ceinture, il s’est avéré que leur sens de l’orientation s’était accru, même sans aide…

Il a ensuite présenté les différentes interfaces cerveau-ordinateur actuellement disponibles sur le marché. La première, la moins chère est le casque Neurosky doté d’une seule électrode. Selon Sam, cet appareil ne fournit guère de résultat fiable : les seules ondes cérébrales qu’il serait susceptible de repérer seraient, selon lui les ondes gamma, signe d’une intense activité mentale… et encore ! Pendant toute l’intervention, un volontaire (qui se trouvait être votre serviteur) a porté un casque Neurosky tout en prenant des notes sur la conférence. Au final, mon signal cérébral pendant l’expérience laisse à penser que j’entre dans la catégorie qu’il nomme « les poissons rouges » : ceux dont l’activité mentale ne semble pas se refléter dans les courbes tracées par le Neurosky (enfin, j’espère que c’est ça…). Les « poissons rouges » seraient même en majorité. Rappelons que dans la matinée, les gens du Lutin ont affirmé avoir de bons résultats avec le Neurosky, à condition de le hacker…

neurohackPlus pointu est l’Emotiv, avec ses 14 électrodes. Encore plus intéressant, l’OpenEEG, un kit en « do-it-yourself » très prometteur. Sam travaille cependant à la fabrication d’un autre système, utilisant l’infrarouge proche. Il serait constitué d’une ou plusieurs LEDs envoyant de l’infrarouge qui se trouverait réfléchi par le cortex. De fait, la lumière se comporte différemment selon la quantité d’oxygène consommée dans les différentes parties du cerveau. On peut donc déterminer quelle zone est particulièrement active.

Aujourd’hui, les expériences de neurohacking ne cherchent pas à contrôler nos différentes fonctions mentales, mais plutôt à réaliser diverses installations artistiques susceptibles de mettre en scène nos états internes. Sam a ainsi participé à de nombreuses installations ; il a créé Mindprocessing, qui cherchait à visualiser un espace mental en traduisant les ondes cérébrales en couleurs et en musique, à participé àIn Between de Ursula Gastfall, Pascale Gustin et Gerard Paresys, qui actionne un ballet de lumières à partir de l’EEG de deux personnes, ou encore à « interaction gravitationnelle » de Boris Garcia, dans laquelle un effet de gravitation est simulé sur un écran en fonction du niveau de concentration de l’expérimentateur. Psychedelight, prévu à la Gaité Lyrique est encore en cours de création, mais ce dispositif impliquera plusieurs projecteurs et se basera sur la transformation d’un environnement en fonction des ondes cérébrales, procurant une expérience différente pour chaque individu.

Le toucher, nouvelle frontière

Tous les systèmes de simulation se concentrent généralement sur la vue et l’ouïe. Le toucher, pourtant peut être le plus important de nos sens, reste un parent pauvre. Vincent Hayward, professeur à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (ISIR) à l’université Pierre et Marie Curie, a exposé ses recherches dans le domaine.

D’abord, a-t-il noté, le toucher est un sens « moteur ». Autrement dit, tout ce qu’on touche est lié à une action motrice de notre part, et tout ce qu’on fait est le résultat d’une sensation. Le toucher se distingue également de la vision par son mode d’action. Regarder quelque chose très fort n’a pas d’incidence physique sur ce que l’on voit. Tandis que si l’on touche très fort, cela aura des conséquences pour l’objet concerné : le toucher implique un échange permanent d’énergie mécanique.

C’est aussi un sens mésestimé. Le toucher, pense-t-on, ne laisse pas place à l’ambiguïté : toucher c’est croire. Une erreur que Vincent Hayward a essayé de corriger. En réalité, le toucher, tout comme la vue et l’ouïe, peut, lui aussi, être victime des illusions.

Que se passe-t-il quand on sent un objet ? Quand une main explore une plaque de verre, elle perçoit une surface plane, mais les choses sont en réalité beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît. Certaines parties de la peau glissent et d’autres adhèrent. Ce n’est pas du tout homogène. Ce qui se passe dans notre corps diffère de ce que l’on perçoit. D’autant qu’il existe deux sortes de peau, poilue et glabre, aux perceptions très différentes.

Vincent HaywardLes premiers transducteurs tactiles datent de 1920, ils étaient destinés aux sourds. Aujourd’hui, on ne trouve toujours pas de transducteurs capables de produire des sensations tactiles de qualité acceptable, a expliqué Hayward. Il a donc décidé d’en réaliser un avec son équipe. Pour ce faire, ils ont créé une surface de 1cm2, bourrée d’actionneurs susceptibles de simuler le toucher. Mais ils ont pour cela utilisé une procédure nouvelle : « la plupart des afficheurs tactiles sont des tableaux de pinoches qui montent et qui descendent. Notre système n’est pas constitué de pinoches, les actionneurs se déplacent latéralement. » En effet, une fonction fondamentale du toucher est de détecter le glissement. Par exemple, quand on crée une stimulation périphérique qui tire et pousse la peau, cela génère une sensation proche de celle de « glissé » sur une tôle ondulée.

Il s’avère plus pratique de faire des moteurs qui se déplacent latéralement que de haut en bas. Ce type d’expériences prouve que le toucher est très ambigu, c’est-à-dire qu’il existe plusieurs manières de créer la même sensation.

Reste à élaborer cette nouvelle science du tactile. Dans le labo d’Hayward, on essaie de bâtir des systèmes qui permettent d’isoler les différents « percepts », c’est-à-dire la manière dont on perçoit un stimulus externe : texturé, collant, glissant, etc. Il existe une multitude de ces percepts. Cela devrait permettre de construire une théorie de la perception tactile.

Mais point n’est besoin de haute technologie pour créer des illusions tactiles. Ainsi, Vincent Hayward avait amené avec lui une multitude de petits engins purement mécaniques (fabriqués, à ce que j’en ai vu essentiellement à partir de bois et de métal) capables de tromper notre sens du toucher, nous donner, par exemple, une impression de bosse à des endroits où il n’y en avait pas, etc.

Au final, cette journée d’étude praTIC nous aura montré, si l’on en doutait encore, qu’entre BCI, simulation du toucher et jeux vidéos de papier, il reste encore beaucoup de pistes innovantes à explorer dans domaine des interfaces.

Rémi Sussan

Crédit photo : Photos de E2A

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