Avons-nous besoin d’Info Labs ?

Grâce aux outils de prototypage rapide à commande numérique, à du matériel et du logiciel désormais facilement bricolables, demain, un grand nombre de personnes seront en mesure de concevoir et fabriquer des objets de leur choix, passant rapidement de l’idée au modèle numérique, du modèle au prototype, voire du prototype à l’objet tangible. C’est l’essence même du projet des Fab Labs (Wikipédia), ces espaces de travail, ces ateliers de fabrication ouverts et accessibles à tous.

Mais pourquoi s’en tenir aux objets physiques et à la matière programmable ? La complexité de la matière numérique montre qu’on gagnerait certainement à étendre le concept aux données, aux statistiques, aux algorithmes… Et faire de la matière numérique un objet d’appropriation commun, comme les Fab Labs le proposent pour le monde physique.

Le Lab « ouvert » comme modèle

Abréviation de Fabrication Laboratory (Laboratoire de fabrication), le Fab Lab est une « plate-forme de prototypage rapide d’objets physiques, “intelligents” ou non », rappelle Fabien Eychenne dans son Tour d’horizon des Fabs Labs publié par la Fondation internet nouvelle génération. On peut retenir comme caractéristiques principales sa nature de tiers-lieu, l’ouverture à un public large, la mise à disposition d’équipements (mais plus largement outils, méthodes et savoir-faire) et une chaine intégrée allant de la conception à la production. Le Fab Lab est ainsi un lieu physique ouvert qui invite son public à devenir acteur et à enrichir ses connaissances par l’expérimentation. Il répond aux préoccupations du mouvement DIY (Do it Yourself) qui prône le « faire » et la mise en capacité de chaque individu. La notion de « prototypage rapide » qui le caractérise désigne l’accélération des cycles d’innovation, de recherche et développement et de production, en adoptant notamment une démarche itérative.

Le concept du Fab Lab repose ainsi sur des principes généraux tels que l’accessibilité du lieu et l’accompagnement des utilisateurs, l’échange d’expérience et le partage de compétences, l’exploration et le droit à l’erreur. Il existe une grande variété de lieux de ce type, même si ceux qui se revendiquent explicitement du mouvement Fab Lab initié par Neil Gershenfeld doivent signer une charte précise mais en même temps assez ouverte.

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Image : quelques participants de la dernière Medialab Session, 2 jours pour imaginer de nouvelles applications journalistiques depuis les données (explications sur le principe et les résultats obtenus par Philippe Couve), photographiés par Christophe Carriou.

Avec plus d’une centaine de Fab Labs dans le monde, leur relative réussite interroge. La structuration de leur organisation en réseau y est certainement pour beaucoup et se pose en modèle. D’autant qu’il faudrait ajouter à ce succès les autres formes d’espaces dédiés à la fabrication personnelle, comme les hackerspaces (Wikipédia), voire même les techshops (Wikipédia), qui en sont la forme la plus commerciale. Et ce d’autant plus que les Labs ouverts commencent à essaimer auprès d’autres communautés que celle des bricoleurs.

On commence à voir apparaître des Bio Labs (encore appelés Bio Fab Labs ou Bio Hackerspaces). Mais on pourrait également rapprocher de ce mouvement ces espaces ouverts de travail, de projets, d’entrepreneuriat, d’innovation et de recherche qui se multiplient : les espaces de coworking (tel que ceux du réseau des cantines en France) que les laboratoires d’innovation sociale ou encore – bien qu’ils soient peu ouverts sur l’extérieur, et agissent plutôt comme des structures ressources interdisciplinaires et expérimentales – bien des Media Lab (comme celui du MIT, de Sciences Po, de Madrid ou le Nieman Lab dédié au journalisme qui sont plutôt des structures ressources-actions dédiées à la recherche…).

Cette dynamique montre le besoin d’espaces d’interaction pour développer des projets personnels ou innovants d’une manière plus ou moins ouverte. Les modalités sont variées. Certaines structures sont très commerciales, d’autres, plutôt fermées, venant comme des supports à des communautés particulières, d’autres enfin très ouvertes au public avec une mission d’intérêt général.

Le modèle des Fab Lab, réservé à la conception d’objets physiques, pourrait donc demain être étendu à d’autres domaines, à d’autres formes de prototypages : objets informationnels, applications, services, informations… En d’autres termes, donner naissance à de nouveaux et multiples (x)Labs : Info Labs, Services Labs, Data Labs, etc. Des Labs « ouverts » comme autant de territoires de projets, de lieux de rencontres.

Pourquoi avons-nous besoin de Labs consacrés aux données ?

A l’heure de la démultiplication des données, de la multiplication de leur mode de production (capteurs, crowdsourcing…), du type de producteurs (communautés, individus isolés, entreprises parfois modestes, collectifs organisés, initiatives publiques, etc.) et des modalités de traitements des données, nous sommes confrontés à un écosystème nouveau en profonde mutation qui appelle des dispositifs d’apprentissage, d’exploration et d’appropriation adaptés. Nous ne sommes pas confrontés seulement à une profusion des données, mais également à la complexité de l’écosystème de production et d’usage des données. Nous ne sommes pas seulement confrontés au développement des données publiques, mais à toute sorte de données que nous allons être appelés à manipuler de plus en plus : données personnelles, mesures médicales, données de consommation, données collectives… dont il va nous falloir comprendre le sens, être « formé à la critique », comme l’explique Simon Chignard, auteur d’un récent ouvrage sur la question de l’Open Data.

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Image : La Gironde sportive, datavisualisation des données sportives de la Gironde, l’une des 12 productions réalisées par les étudiants du DataJournalisme Lab.

Si, donc, les Fab Labs visaient en quelque sorte à diffuser dans le monde industriel le modèle ouvert et « agile » de l’innovation numérique, il devient aujourd’hui temps de faire également le mouvement inverse, de retour vers le numérique. Pourquoi ? Parce que, face à la place de plus en plus importante que prennent aujourd’hui les données et les programmes dans la production de connaissances, de représentations, de décisions, il devient essentiel de créer les conditions d’une compréhension, d’une réappropriation, de ces donnes et de ces algorithmes.

Le volume des données produites, extraites, captées, explose littéralement. La production de recherches, de cartes, de décisions stratégiques, de musiques à succès, de services… repose de plus en plus sur des algorithmes de plus en plus complexes et souvent opaques. Nous sommes confrontés à un écosystème nouveau en profonde mutation qui appelle des dispositifs d’apprentissage, d’exploration et d’appropriation adaptés.

Certes, les outils existent. Les applications se développent. Les compétences s’achètent. Mais est-ce que cela suffit ? La campagne Réutilisation des données publiques de la Fing a montré combien le partenariat avec les utilisateurs était primordial. Les méthodes les plus fécondes de l’open data ne consistent pas à libérer des données pour libérer des données, mais bien à y associer les utilisateurs. La libération des données publiques est un processus où rendre la donnée librement réutilisable n’est qu’une étape vers un but autrement plus important : engager une nouvelle relation autour des données avec les utilisateurs. Or, il n’existe pas de structures pour porter cette relation.

Face aux données partout disponibles, les utilisateurs, dans leur plus grande diversité, sont bien souvent démunis. Les réservoirs de données, accessibles aux développeurs et de plus en plus à un public plus large, grâce à une multitude d’outils, demeurent peu utilisés. Les utilisateurs potentiels sont peu associés à ce mouvement qui leur paraît trop complexe. Ceux qui le sont demeurent souvent isolés, sans structure pour se rassembler, pour travailler à plusieurs, initier des projets, discuter avec les entreprises ou les institutions détentrices de données. En fait, seule une association de compétences permet d’optimiser l’usage des données. Tout comme le journalisme de données, pour fonctionner, nécessite de rassembler développeurs, graphistes, statisticiens et journalistes pour traiter les données, nous avons besoin d’espaces de rencontre entre différentes compétences pour traiter les données et les informations.

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Image : Exemple de carte inclus dans un kit de données pour partir à une chasse aux données dans la ville avec des étudiants, racontée par Simon Chignard.

D’une manière non structurée, des préfigurations d’Info Labs se mettent en place autour d’associations qui font le lien entre l’acteur public et les usagers, comme le font, à leur manière (et de manières très différentes les unes des autres), Bug, Ping, LiberTic, ZooMacom, Zync, AEC, La cantine numérique rennaise, Le data journalisme Lab, Regards Citoyens… Sans compter les Barcamps et autres Hackathons que l’on peut parfois percevoir comme des Info Labs éphémères, pas nécessairement « physiques »…

Ces exemples montrent bien que l’open data ne fonctionne pas si nul n’anime les acteurs : institutions, entreprises, citoyens. Nous avons toujours autant besoin d’animer les territoires électroniques.

La métaphore du processus structuré autour du concept de Fab Lab appliqué à l’information nous rappelle pourquoi nous avons besoin de faire des choses ensemble dans le numérique. Ce n’est désormais pas tant de l’accès à une machine, à une formation ou une médiation comme on la trouve dans les espaces publics numériques dont les gens ont besoin, que de trouver les ressources collaboratives pour mener des projets individuels ou collaboratifs dans le numérique.

L’Info Lab : la méthodologie du Lab appliquée aux données

L’information en base de données demeure hermétique à la plupart d’entre nous. Peut-on gagner du temps et de l’énergie en proposant des lieux, des espaces dédiés à cette forme de rencontre autour des données ? Des espaces où trouver des ressources et des compétences. Ou faire de l’accompagnement et de l’appropriation par le plus grand nombre ?

A la Fing, nous pensons que le développement des usages et de l’innovation dans un monde de données pourrait demain passer par le développement d’Info Labs, c’est-à-dire de « dispositifs d’innovation ouverte pour prototyper des usages de l’information ». Nous pensons qu’il faudrait explorer, expérimenter, concevoir des structures, des méthodologies, des terrains de rencontre et d’animation, car elles sont les conditions essentielles de l’appropriation et des nouvelles formes de traitement des données.

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Image : Photo de la soirée Hackathon du collectif Dataconnexions.

Dans l’idéal, un Info Lab consiste à mettre à disposition des ressources, apporter des compétences, de la veille, faire se rencontrer les acteurs… Il répond avant tout à des besoins propres à une institution ou un acteur, par exemple, en mettant en avant l’aspect pédagogique ou bien celui de l’expertise et de l’accompagnement de projet. Il rassemble un ensemble de critères répondant à autant d’enjeux posés par l’appropriation du plus grand nombre :

  • des objectifs de formation, d’analyse, de collecte de données, de prototypage d’usage ;
  • un espace d’ancrage dans un lieu ou dans le temps ;
  • des méthodologies (animation, collecte, traitement, apprentissage, échange de savoir …) ;
  • des compétences (organisation de coproduction, pêche à la donnée, animation pédagogique, partage de savoir-faire…) ;
  • une nécessaire ouverture à différents publics, voire à tous les publics : associations, entreprises, acteurs publics, artistes, enseignant, étudiants, élèves, citoyens, etc. ;
  • un espace de débat ou de mise en débat ;
  • une organisation en réseau qui permet de structurer et documenter les objectifs, les méthodologies, les compétences, leur organisation… ;

Si le potentiel de création d’Info Labs ou de xLabs existe réellement, envisager les conditions d’activation de ces laboratoires ouverts reste une question totalement ouverte. Elle implique la mobilisation de personnes prêtes à expérimenter ce modèle et à se constituer en communauté pour faire vivre un réseau à venir d’Info Labs, dans leur diversité.

Ce qui est sûr, c’est que les xLabs, ont tous comme point commun d’être des facilitateurs de la rencontre. Car dans le domaine du numérique, et face au Nouveau Monde de données auquel nous allons être confrontés, nous en avons certainement plus besoin qu’ailleurs.

Hubert Guillaud, Cécile Delemarre, Charles Nepote, Amandine Brugiere, Denis Pansu, Fabienne Guibé.

Si vous souhaitez venir prolonger cette réflexion avec nous, nous vous convions à deux évènements pour approfondir ce concept :

A l’occasion de la semaine européenne de l’Open Data qui se déroulera à Nantes du 21 au 26 mai 2012 et notamment lors de l’atelier G du 24 mai après-midi.

A l’occasion de Futur en Seine, qui se déroule du 14 au 24 juin sur toute l’Ile-de-France et notamment lors d’un atelier sur cette question qui se déroulera au 104, le 15 juin de 11h à 13h.

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0 commentaires

  1. Merci pour ce billet vraiment éclairant sur le mouvement « openlab ». Une question me taraude : qu’advient-il des résultats ? Qui est propriétaire ? Comment est gérée la confidentialité ? Un contrat est il signé par les participants ? Tout doit-il être diffusé sous licence ouverte/libre ?
    Bref comment cela marche au niveau juridique s’il y a vraiment une habitude. Sinon j’ai plein d’idées. Je suis très open sur le sujet 🙂