Quelle usine pour quel futur ?

A l’he­ure où l’on entend bea­u­coup les te­r­mes de réin­dus­tri­a­li­sa­tion, re­lo­ca­li­sa­tion, « fa­briqué en Fra­nce », l’i­nte­rve­ntion de Marc Gi­get, prési­dent du Club des di­re­cte­urs de l’I­n­no­va­tion, dans le ca­dre des Re­n­co­n­tres de Cap Di­gi­tal, le pôle de compéti­ti­vité de la filière des co­nte­nus et servi­ces numériques en Ile-de-Fra­nce, le 27 mars 2012, of­frait un écla­i­rage intére­ssant sur l’a­ve­nir du mo­nde in­dus­triel. Vous pouvez re­trouver son inte­rve­ntion (vidéo) en in­tro­du­ction de la ta­ble ro­nde sur le sujet de la nouve­lle in­dus­tri­a­li­sa­tion.

Après avoir in­tro­duit son pro­pos par le my­the du Fa­bless (le fait de délo­ca­li­ser ou d’exte­r­na­li­ser tout ou pa­rtie de sa pro­du­ction, de « pro­duire sans usines »), insisté sur la fa­i­ble­sse de la création d’em­plois high-tech et du ma­nque crucial d’i­nve­sti­sse­ment in­dus­triel dans les pays déve­loppés, Marc Gi­get s’est intéressé à l’évolu­tion des usines en Fra­nce.

« On entend surtout pa­rler des usines françai­ses lo­rsqu’elles fe­r­ment. Des fe­r­metures qui pro­voquent colère et incompréhension, pa­rce qu’elles détrui­sent des pans enti­ers de no­tre éco­no­mie, sur des te­rri­toi­res, des vi­lles, des régi­ons. » Effe­cti­ve­ment, le co­nstat est pourtant sans appel : de­puis 2009, en 3 ans, près de 900 usines ont fermé le­urs po­rtes, soit plus de 100 000 em­plois sup­primés. En 10 ans, 800 000 em­plois dans l’i­n­dus­trie en Fra­nce ont di­s­paru, un phénomène sans au­cun équi­va­lent en Europe, estime Marc Gi­get. Pourtant, la Fra­nce est en­core au 3e rang européen en te­rme d’activité in­dus­tri­elle, derrière l’A­lle­magne et l’I­ta­lie et bi­entôt derrière la Gra­nde-Bre­tagne qui est en train de la ra­t­tra­per.

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Image : usine du passé, image tirée de la présentation de Marc Giget.

« Les usines ont bea­u­coup changé »

Si l’i­mage que nous avons de nos usines est d’a­bord celle de fri­ches et d’usines en grève, à quoi re­ssem­blent les usines qui se créent ? Marc Gi­get prend le te­mps d’en mo­n­trer quelques-unes, qui se co­nstrui­sent, qui s’éte­n­dent. Il nous mo­n­tre aussi les vi­sa­ges des pe­r­so­nnes qui tra­va­i­llent à l’usine. « S’il y a un déca­lage en­tre la société et un se­cteur, c’est bien l’usine : on ga­rde souvent la vi­sion de l’usine co­mme l’ho­rreur ab­solue… Peut-être pa­rce que bea­u­coup d’e­n­tre nous n’y sont pas allés de­puis leur der­nier voyage scola­ire quand ils ava­i­ent 14 ans. »

« Les usines ont bea­u­coup changé » par ra­pport à l’i­ma­gi­na­ire qu’on en a, estime Marc Gi­get d’un ton bon en­fant, en insi­stant sur la variété des po­pula­ti­ons qui y tra­va­i­llent, sur le lieu de vie, les coule­urs… « Il y a peu de gens, c’est très clean », souligne-t-il en mo­n­trant des ima­ges de si­tes in­dus­tri­els em­plis de ma­chines co­lorées et pro­pre­ment alignées. L’usine du futur sem­ble as­surément numéri­que, créative, pro­pre, fo­n­cti­o­n­ne­lle… et re­nta­ble.

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Image : usine d’aujourd’hui, image tirée de la présentation de Marc Giget.

« On a pe­rdu le goût pour nos usines », re­gre­tte Marc Gi­get. « Peu de gens sa­vent que des em­plois se créent, peu de gens sa­vent quelle fo­rma­tion sui­vre pour co­nstruire et gérer des usines… » Et ce alors même que la pro­du­ction industrielle s’est co­nsidéra­ble­ment tra­nsformée ces dernières années en deve­nant une fo­rme d’o­rga­ni­sa­tion de la production très te­ch­no­lo­gi­que.

« Tra­ns­met­tre les va­le­urs de l’i­n­dus­trie »

Il fa­u­drait re­va­lo­ri­ser le mo­nde in­dus­triel, « tra­ns­met­tre les va­le­urs de l’i­n­dus­trie », insi­ste Marc Gi­get. En Inde, au Brésil, il y a des uni­ve­rsités qui co­nsa­crent le­urs pro­gra­m­mes de fo­rma­tion à l’i­n­dus­trie, alors que ce n’est plus vra­i­ment le cas dans les pays déve­loppés. Se­lon Marc Gi­get, l’usine du futur se déploi­era à la périphérie de nos vi­lles, elle fera pa­rtie du pa­ysage péri­ur­bain, elle sera plus co­m­pa­cte, plus ra­massée, plus intégrée qu’elle ne l’est actu­elle­ment.

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Image : usine de demain, image tirée de la présentation de Marc Giget.

Ce ra­pide po­r­trait de l’usine du futur nous inte­rroge néce­ssa­i­re­ment, nous qui que­sti­o­n­nons les nouve­aux mo­des de fabrication. En quoi les pra­ti­ques de fa­bri­ca­tion pe­r­so­n­ne­lle pour­ra­i­ent-elles tra­nsfo­r­mer les re­la­ti­ons en­tre in­dus­tri­els et grand pu­blic ? Les Fa­blabs, pensés co­mme de pe­ti­tes unités de pro­du­ction, doi­vent-ils s’intégrer à la réfle­xion sur l’usine du futur ?

Pour Marc Gi­get, ces pra­ti­ques im­pa­cte­ront la pro­du­ction d’o­bj­ets en pe­tite série, elles inte­rvi­e­n­dront pro­ba­ble­ment au niveau du de­sign de la co­n­ception et de la re­che­r­che et déve­lo­ppe­ment, elles s’intègre­ront dans les « labs » mais il ne les voit pas s’i­mmi­s­cer, se fro­tter à la « gra­nde in­dus­trie », tout si­m­ple­ment pa­rce que ce ne sont pas les mêmes éche­lles. Marc Gi­get s’intére­sse d’a­bord aux « gra­n­des usines » (en te­r­mes d’em­ploi et de pro­du­ction – celles qui pro­dui­sent plus de 400 millions d’exem­pla­i­res). Pour lui, les pra­ti­ques ama­te­ures et arti­sa­na­les, de par leur défi­ni­tion même, de­vra­i­ent re­ster cantonnées au ni­veau de la mi­cro­pro­du­ction : « elles tou­che­ront vra­i­sem­bla­ble­ment plus le mo­nde des pe­ti­tes en­tre­pri­ses, de l’a­rti­sa­nat ».

Eclosion d’a­te­li­ers poly­va­le­nts

« Si on pa­rle des obj­ets de la vie quo­ti­di­e­nne, on en­tre dans une éco­no­mie d’éche­lle te­lle (en te­rme de qua­ntité et de prix) que ces pra­ti­ques ne pourront « co­n­curre­n­cer » la « gra­nde usine » », nous ex­pli­que-t-il. « Les pra­ti­que­s do it yourself pourront certa­i­ne­ment modi­fier, tra­nsfo­r­mer la manière de fa­ire du pro­to­ty­page ra­pide, de la pe­tite série mais certa­i­ne­ment pas la pro­du­ction de ma­sse », souligne-t-il avec ra­i­son.

Lo­rsqu’on lui dema­nde si ces pra­ti­ques colla­bo­ra­ti­ves, à l’i­mage de l’Open Source, pour­ra­i­ent tra­nsfo­r­mer le mo­nde industriel, Marc Gi­get évoque une différe­nce esse­nti­elle en­tre ce qui se pa­sse dans le mo­nde numéri­que et ce qui se pa­sse dans le mo­nde phy­si­que : la que­stion des flux ! Dans le mo­nde phy­si­que, il y a la que­stion des sto­cks, de la pro­du­ction, des déchets… « Du­pli­quer dans le software ne coûte rien, mais du­pli­quer dans le phy­si­que coûte tout de suite plus cher ». Re­ste que, se­lon lui, le pa­ssage au mo­nde phy­si­que pour­rait avoir lieu dans l’éclosion d’a­te­li­ers poly­va­le­nts qui alli­eront re­che­r­che, de­sign, fo­rma­tion, sur le modèle des Fab Labs. Dans nos vi­lles, « on veut bien le labo, mais pas l’usine ».

Véronique Routin, co-responsable du programme Refaire pour la Fondation Internet Nouvelle Génération.

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