La lecture de la semaine, elle provient du magazine américain Wired (@wired) et de son chroniqueur Clive Thomson (@pomeranian99). Son titre « les règles de la panique ».
« Quiconque s’intéresse à l’actualité le sait, commence Thompson, il y a souvent un effet collatéral aux nouvelles technologies : la panique morale. Facebook engendre le narcissisme ! Ecrire des textos nous rend analphabètes. Ce qui est drôle, c’est que d’autres technologies ne provoquent rien de cet ordre. Prenez Square, par exemple, qui permet à chacun de payer par carte de crédit… Il est en train de devenir un outil mainstream, bouleverse le fonctionnement du petit commerce et la manière dont des amis partagent une addition dans un bar, mais ne provoque pas grand discours. Quelle différence ? Pourquoi certaines technologies nous font-elles peur et pourquoi d’autres provoquent-elles l’indifférence ?
Image : un poussoir panique photographié par Mikel Manitius.
Genevieve Bell (Wikipédia) pense avoir la réponse. Elle est directrice de recherche chez Intel et étudie depuis longtemps la manière dont les gens intègrent les nouvelles technologies dans leur vie quotidienne. Dans un entretien donné en 2011 au blog techno du Wall Street Journal, elle a proposé une théorie intéressante. Pour provoquer une panique morale, une technologie doit obéir à trois règles.
1. elle doit changer notre rapport au temps.
2. elle doit changer notre rapport à l’espace.
3. Elle doit changer notre relation aux autres.
Prises une à une, ces transformations peuvent être inquiétantes, mais si les trois sont réunies, c’est la panique !
« Combien de fois avons-nous entendu dire que c’était la fin de petite ville américaine, que c’était la fin de la famille, que la jeunesse d’aujourd’hui avait changé ? » demande Bell.
Le cycle est très long. Et il a sans doute débuté il y a environ 2 500 ans, quand le monde de l’écrit a commencé à décrocher la connaissance de l’espace et du temps et a offert d’autres possibilités pour les gens de s’adresser les uns aux autres. Cela satisfaisait aux trois règles précédemment citées et paniqua donc Socrate, qui s’inquiéta de ce que l’écrit allait détruire la mémoire et l’art de l’argumentation.
Mais Socrate n’avait rien vu. Car les 100 années qui viennent de s’écouler ont été un flux presque continu d’innovations et de moments de panique. Prenez le téléphone, qui nous a soudain permis de joindre presque tout le monde, partout, à n’importe quel moment. Comme une annonce aux peurs déclenchées par les médias sociaux d’aujourd’hui, des experts ont prédit à l’époque que le téléphone tuerait la communication en face à face. Mark Twain se moquait de la prétendue frivolité des conversations téléphoniques entre femmes (à propos des femmes, précise Thompson , Genevieve Bell explique qu’on peut-être sûr qu’une panique morale va se déclencher quand les critiques commencent à s’inquiéter de l’impact d’une technologie sur les femmes et la fragile jeunesse).
Mais les technologies qui n’affectaient pas ces trois choses n’ont guère déclenché de protestation. Le fax par exemple. Il a affecté l’espace et le temps, mais pas les relations sociales. Et je pense, dit Thompson qu’il a va de même pour Square.
Cela dit, ajoute Thompson, cela ne revient pas à dire que les paniques sont toujours injustifiées. Des réseaux sociaux centralisés sont un vrai problème en termes de vie privée ; la cyberprédation, même rare, existe. Mais le vrai problème de ceux qui répandent la panique est leur conviction que toute ère technologique révolue était l’âge d’or de la civilité et de la contemplation. Or, c’est faux. Et de façon très marrante, beaucoup aujourd’hui chantent les louanges d’outils qu’ils dénonçaient naguère – comme cette plainte contemporaine que l’internet tue cette interaction tellement pleine d’émotion qu’était le coup de téléphone.
Voici la part utile de tout ça : on peut se servir des lois de Bell pour déduire quels outils vont provoquer l’angoisse. Par exemple, dit Thompson, je fais l’hypothèse que la géolocalisation, la lecture sociale et l’Internet des objets – des objets qui vont interagir avec nous et entre eux -, provoqueront tous des effets de panique. Ils affectent notre rapport au temps, à l’espace et à autrui. Ils arrivent même à me stresser un peu, quand j’imagine comment gouvernement et entreprise pourraient en abuser. Mais je me calme en étant convaincu que, comme toutes les Cassandre du passé, j’ai tort de paniquer. »
Xavier de la Porte
Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 24 novembre 2012 était consacrée aux Etranges rituels : l’interaction gestuelle dans le quotidien numérique (.pdf) (blog), un livre en anglais qui observe comment le corps est engagé dans nos pratiques numériques en compagnie de l’un de ses auteurs Nicolas Nova (@nicolasnova), chercheur à la Haute école d’art et design de Genève, cofondateur de la conférence Lift. Elle était consacrée également au blog littéraire autofictionnel Les fourchettes en compagnie de son auteur, Sarah-Maude Beauchesne (@lesfourchettes), qui a publié deux recueils de nouvelles aux éditions Publie.net (que nous vous recommandons chaudement), Les Je-sais-pas et Les Je-sais-pas-Pantoute.
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Belle prétérition, Olivier !