Aujourd’hui déjà, quand vous voulez souscrire un crédit, votre banque calcule votre taux d’endettement (c’est-à-dire le rapport entre les revenus et les charges qui doit être inférieur à 33 %), votre « reste à vivre » (c’est-à-dire la somme des revenus qu’il reste une fois que l’ensemble des crédits et des loyers aient été payés), mais aussi, et avant tout votre « scoring », l’évaluation du risque client, une méthode statistique et algorithmique pour évaluer votre éligibilité à une demande de financement. Ce scoring repose sur une série de ratios pondérés élaborés sur l’observation de séries statistiques à partir d’échantillons représentatifs d’emprunteurs, qui portent en général sur la situation familiale (situation maritale, nombre d’enfants à charge, âge…), la situation professionnelle (type de contrat, ancienneté…) et bien sûr la situation budgétaire (revenus, charges, taux d’endettement…). Ce scoring, cette notation dont vous êtes l’objet, va être utilisé pour décider de la faisabilité du crédit et déterminer son taux.
On ne sait pas grand-chose de ce qui détermine le scoring de chacun d’entre nous par les établissements de crédit, chacun ayant ses propres techniques et méthodes de calcul, et tous tentant sans cesse de l’optimiser.
Vidéo : l’émission Envoyé Spécial sur France 2, consacrait en février un intéressant reportage au financement participatif qui montrait à la fois la diversité des possibilités et les limites. Le reportage (vidéo) évoque notamment Wiseed le portail de financement de start-ups, le Lending club de Renaud Laplanche et Babyloan le site de micro-solidarités.
De nombreuses start-ups imaginent cependant s’appuyer sur la fouille de données depuis les réseaux sociaux pour proposer de nouvelles méthodes de scoring, nous explique The Economist.
Le scoring via les réseaux sociaux
En Afrique, le cabinet américain spécialiste de la microfinance Finca International emploie plus de 1 200 agents pour visiter les habitations de ceux qui réclament un microfinancement (Wikipédia). La raison ? Eliminer les probables mauvais payeurs. Comment ? En envoyant des employés visiter les maisons pour y déceler des « signes » (selon des critères établis par la firme) : la présence de toilettes intérieures ou de cadeaux provenant d’un parent travaillant à l’étranger ou une discussion avec un voisin font partie des critères qui peuvent être pris en compte. Grâce à ces visites, seulement 1,5 % des prêts octroyés par Finca font défaut chaque année. Mike Gama-Lobo, qui s’occupe des opérations de Finca au Congo, Malawi, Tanzanie, Zambie et Ouganda cherche à utiliser d’autres sources de données pour calculer la solvabilité des emprunteurs, par exemple les données d’usages des téléphones mobiles, permettant de détecter si le contractant reçoit des appels réguliers en provenance de pays riches, ou s’il appelle un marché à proximité régulièrement (suggérant par là une activité commerciale régulière)…
La recherche de nouvelles méthodes d’évaluation des emprunteurs n’est pas l’apanage de la microfinance dans les pays en développement. De nombreuses start-ups s’intéressent à trouver de nouvelles méthodes de scoring. MyNeoLoan, s’appuie sur les contacts professionnels d’un candidat au crédit (via le réseau social professionnel Linked-in) pour évaluer sa capacité à rembourser (mais également évaluer si l’emploi déclaré semble exact et même la rapidité avec laquelle il devrait retrouver un emploi en fonction du nombre et de la qualité de ses contacts via le site social).
L’étude des corrélations permet par exemple à Douglas Merrill, fondateur de Zest Finance, un prêteur en ligne américain dont le taux de défaut est inférieur de 40 % par rapport à la concurrence, estime par exemple que les candidats qui tapent seulement en lettres minuscules ou entièrement en majuscules, sont moins susceptibles de rembourser leurs emprunts que les autres. Navin Bathija, le fondateur de Neo Loan estime que d’ici un an il aura suffisamment de preuves pour déterminer si des propos racistes sur Facebook sont corrélés avec un manque de solvabilité… Les données provenant de Facebook sont déjà utilisées par Kreditech, une start-up allemande, qui demande à ceux qui souhaitent un prêt de lui donner accès à leur compte Facebook ou aux autres sites sociaux qu’ils utilisent. Un candidat qui est ami avec quelqu’un qui a déjà fait défaut est plus susceptible d’être rejeté, ceux qui ont des amis qui vivent dans des quartiers riches et qui ont des amis qui ont des emplois bien rémunérés ont plus de chance d’obtenir un prêt. Rien d’étonnant.
La banque en ligne MovenBank utilise elle les données issues de Facebook pour ajuster les taux d’intérêt des emprunteurs. Ceux qui évoquent la banque dans leurs statuts et lui amènent des clients pourront même voir leur taux d’intérêt baisser. Le taux et les frais diminueront si les emprunteurs ont des dépenses prudentes.
Lenddo, une start-up de Hong Kong va encore plus loin et demande aux demandeurs de crédits que leurs amis sur Facebook se portent garants d’eux !
Image : page d’accueil de Lenddo.
Pourtant, l’utilisation des sites sociaux pour évaluer la solvabilité des clients n’est pas si simple. Les banques demeurent prudentes face à ces nouvelles méthodes. Schufa, un bureau de crédit allemand a abandonné un programme d’extraction de données depuis Facebook, Twitter et Linked-In, suite à une réaction négative du public. Pour Frank Eliason, responsable des médias sociaux pour Citibank, de nombreuses personnes soucieuses de ce « jeu dangereux » ont abandonné Facebook pour privilégier des réseaux sociaux plus intimes comme App.net. Reste que beaucoup de petites banques font une recherche sur le web des noms des candidats au crédit, estime Jack Vonder Heide du cabinet de consulting Technology Briefing Centers. Et certains agents ont refusé un prêt en apprenant que le demandeur était par exemple en instance de divorce. Le risque demain est que les organismes qui utilisent des informations auxquelles ils ne devraient pas nécessairement avoir accès soient vilipendés sur les sites sociaux qu’ils utilisent. Un bien faible risque. Finalement, les clients sont tributaires des informations demandées. S’ils ne les fournissent pas, ils n’auront tout simplement pas accès à l’argent qu’ils espèrent obtenir.
Quand la technologie renforce la ségrégation sociale
L’usage des sites sociaux pour enquêter sur les emprunteurs semble pour l’instant se faire au détriment de toute confidentialité et de tout respect de la vie privée. Certains s’en moquent, tant qu’ils ont accès à de meilleures offres de crédits. D’autres soulignent que nos données révèlent bien plus que ce que l’on pense et la simple analyse de nos relations sociales, de la façon dont on utilise l’internet, peut dire beaucoup de nos comportements… « Rien n’est plus riche et profond et vrai que nos comportements en ligne », rappelle, critique, Rob Horning sur son excellent blog, Marginal Utility (@marginalutility). Pour lui, ces perspectives doivent nous inviter à être de plus en plus attentifs aux gens avec lesquels nous sommes en relations sur les sites sociaux. Oubliez vos vieux amis d’université étranges ou ceux qui n’ont pas réussi dans la vie ! Demain, il pourrait vous en coûter ! « Il est consternant de voir avec quelle facilité les médias sociaux peuvent désormais être utilisés, non pas comme un outil de connectivité, mais comme un mécanisme de tri pour rationaliser les inégalités sociales. Ils ne se contentent pas de cartographier le territoire social, mais commencent à le dicter et le renforcer. » Là où elle aurait pu la libérer, la technologie risque bien de renforcer la ségrégation sociale.
La manière dont l’application sociale rend la stratification sociale explicite, en fin de compte, contribue à encourager les efforts visant à l’atténuer. Ou comment une mesure de plus en plus rigoureuse de notre statut social détruit les illusions de chacun sur la mobilité sociale, la méritocratie, comme l’analysait le sociologue britannique Michael Young dans La montée de la méritocratie en 1958. Rendre la hiérarchie sociale explicite et la figer risque surtout de bloquer la société.
Ce qui est le plus troublant dans cet article de The Economist, estime encore Rob Horning est que ce type de technologie nous est vendu comme un moyen de démocratiser le crédit, selon la logique que de meilleurs outils d’évaluation de la solvabilité permettront de développer l’offre de prêt plus que la réduire. « L’idéologie à l’oeuvre ici est que la surveillance se fait toujours à votre avantage : l’oppression à être constamment surveillé est emballée dans une quantification bénéfique – d’autant plus bénéfique d’autant plus bénéfique si vous vous auto-surveillez et confessez votre propre comportement volontairement. Après tout, plus vous fournissez de données aux institutions qui postulent votre identité sociale, plus vous existez réellement. Maintenant, vous pouvez mesurer votre « substance » directement selon le taux d’intérêt que vous payez. » Une belle concrétisation du capital culturel que vous représentez, ironise Rob Horning. Indéniablement, conclut-il, la mesure dans une société capitaliste se résume uniquement à une question de marchandisation. La logique est désormais sans ambages : « Si vous ne pouvez pas le mesurer, vous ne pouvez pas le vendre ».
Pire, estime Michael Fertik pour Scientific American dans un article intitulé les riches ne voient pas le même internet que les pauvres, lorsque des tiers prédéterminent l’information, les prix, les gens que vous rencontrez, comme c’est le cas sur l’internet, votre illusion de contrôle semble totale, quand elle ne l’est pas. La réglementation américaine rend illégale la discrimination dans l’accès au crédit en fonction de caractéristiques personnelles, mais la fouille de données et leur personnalisation permet largement de contourner l’esprit de la loi, soulignait déjà le New York Times en août dernier. Selon ce que vos données affichent de vous (l’algorithmisation des données qui a déjà cours), les publicités auxquelles vous accéderez en ligne ne vous proposeront pas de crédits attrayants ! « Nous sommes à l’aube de la ségrégation et de la séparation. La personnalisation a son côté obscur. »
Evgeny Morozov (@evgenymorozov), l’auteur de Net Delusion, qui s’apprête à publier un livre intitulé To Save Everything, Click Here revenait également pour Slate.com sur cette nouvelle génération d’entreprises qui déploient des algorithmes pour séparer les emprunteurs fiables de ceux susceptibles de faire défaut afin d’ajuster leurs tarifs en conséquence. Il rappelle au passage que « sans surprise, ces startups, comme Lenddo ou LendUp, sont financées par les mêmes capitaux risqueurs que ceux qui ont soutenu l’essor des médias sociaux.
Image : page d’accueil de LendUp.
Il rappelle d’ailleurs que les médias sociaux ne sont que la pointe de l’iceberg de la fouille de données. Wonga, une autre start-up du même genre, utilise dans ses critères le moment de la journée où vous demandez un prêt pour déterminer s’il convient de vous l’accorder. Il rejette les 2/3 des candidats lors de leur première demande. Kreditech, utilise 8000 indicateurs tels que des données de localisation, le graphe social de Facebook, des analyses comportementales sur la façon dont vous vous êtes renseigné sur leur site… pour déterminer qui ils accepteront.
Quelles solutions ?
Si certaines de ces start-ups semblent dirigées par des entrepreneurs sociaux qui souhaitent véritablement étendre le crédit au plus grand nombre, le secteur n’est pas peuplé que d’anges bienveillants. Qu’adviendra-t-il quand ces entreprises qui ont déjà compris que toutes les données sont des données de crédit les vendront, comme le propose déjà Wonga via un partenariat avec un marchand de meubles en ligne ? Compte tenu de ce qu’elles savent, ces sociétés peuvent perfectionner l’art de la persuasion et de la manipulation invisible. Le problème est que ces systèmes commencent à vendre leurs données pour faire profiter aux clients validés d’offres en ligne, voire de crédits dédiés en partenariat avec des sites de commerce en ligne. « LendUp, fondée par un ancien dirigeant de la société de jeu en ligne Zynga, s’appuie déjà sur des techniques de gamification pour récompenser les clients qui remboursent leurs prêts dans les temps. Pourrait-il plus tard utiliser de telles techniques pour les amener à emprunter plus souvent ? »
Jusqu’à présent, l’industrie du crédit a minimisé les risques moraux. Le fondateur de Wonga a déclaré qu’il ne croyait pas qu’on pouvait convaincre les gens d’emprunter de l’argent dont ils n’avaient pas besoin. Peut-être, mais est-ce que ce pourra encore être vrai (pour autant que cela l’ait été) demain, avec des entreprises qui en sauront plus sur nos finances, notre argent, notre capacité à emprunter et nos désirs, que nous-mêmes ?
Evgeny Morozov estime que nous avons besoin de l’équivalent dans les big data de la loi Glass-Steagall, qui séparait l’activité de banque commerciale et celle de banque d’investissement avant d’être abrogée en 1999. Nous faudra-t-il imaginer demain séparer les activités de crédits des activités commerciales des banques comme on a séparé les activités des banques commerciales des banques d’investissements ? « Peut-être qu’il est trop tôt pour de telles interventions radicales. Mais ce n’est pas trop tôt pour les régulateurs de commencer à penser à des façons de séparer l’utilisation des big data pour évaluer la fiabilité des clients de la réutilisation de ces données ultérieures pour la commercialisation de nouveaux produits financiers. Rendre accessible le prêt à des millions de clients qui n’y avaient précédemment pas accès est un objectif noble. Les amener à être ficelés pieds et poings liés à ces prêts ne l’est pas. »
Hubert Guillaud
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Quelle solution ? dis-tu.
Bien, changer de paradigme comme on dit.
http://openudc.org
Chut ! ça a été inventé en France. Le NYT n’en parle pas, Evgeny Morozov n’est même pas au courant, donc surtout n’écrivons rien là-dessus.
C’est quand même assez dangeureux. Tout savoir de nous pour accepter ou refuser un prêt… ne sommes nous donc que des machines à fric pour les industries?
Les contacts sur un réseau social (Facebook, pour ne citer que lui), ne reflètent pas forcement qui on est. on peux y être, mais surveiller ce qui y apparait, comme accepter toutes les requêtes, et se moquer de sa e-réputation.
Tout dépend de la tranche d’age, de la sensibilisation, de son métier, …
bienvenue dans un monde numérique ou toutes les entreprises savent tout sur tout le monde…
Les banques n’ont qu’à se renseigner auprès de Google… Pour le coup, il en sait plus que facebook…
* votre banque calcule