Voiture autonome : il ne reste plus qu’à améliorer le facteur humain !

Chris Urmson, le responsable du programme de voiture autonome de Google, a récemment présenté les résultats de deux études portant sur les données issues des véhicules autonomes autorisés à circuler en Californie et au Nevada (toujours avec un pilote prêt à en reprendre le contrôle), rapporte Tom Simonite pour la Technology Review (@techreview). La première a montré que lorsqu’un homme était au volant, les accélérations et les freinages étaient plus brutaux que lorsque l’ordinateur conduisait. La seconde a montré que le logiciel des voitures savait bien mieux respecter les distances de sécurité entre véhicules que les humains. Rien de surprenant me direz-vous… Et Urmson de fanfaronner sur la scène de la conférence RoboBusiness qui se tenait à Santa Clara en Californie : « Nos voitures sont conduites plus en douceur et de manière plus sûre que ne le font des chauffeurs professionnels qualifiés ».

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Image : comment « voit » la Google Car, via Everythihg Robotic.

Urmson a rejeté les allégations que les problèmes juridiques et réglementaires liés à la responsabilité constitueraient un obstacle majeur au développement des voitures autonomes en rappelant que la Californie, le Nevada et la Floride avaient déjà adapté leurs lois pour permettre les premiers essais… Pourtant, il a reconnu que les lois existantes en matière de responsabilité impliqueront nécessairement le fabricant de voitures autonomes si celles-ci causent des accidents. Une perspective qui ne semble pas être un obstacle pour l’instant pour Google, mais qui pourrait miner le moral des constructeurs qui devront assurer chaque véhicule vendu…

Reste que, lorsque des accidents se produisent, les voitures autonomes fournissent une image plus précise pour dégager les responsabilités, du fait des données qu’elles recueillent pour naviguer, tente de rassurer Urmson. Et de faire une démonstration par l’exemple en montrant une voiture autonome accidentée, emboutie par un autre véhicule. L’examen des données a clairement montré que le véhicule autonome s’était arrêté en douceur avant d’être percuté… Plus besoin de témoins en qui il est difficile d’avoir confiance, assène le chercheur de Google. « Les données vous rendront libres »… La masse de données des uns accumulées comme autant de faits et de preuves va surtout rendre la défense des conducteurs dont les véhicules ne sont pas autonomes difficile. Dans un monde de données, les arguments sont remplacés par des chiffres… Malheur à qui n’en produit pas autant que son adversaire !

Lors de cette même conférence, il a présenté un nouveau tableau de bord mis au point pour aider à comprendre ce que la voiture autonome est en train de faire afin d’aider le conducteur à pouvoir mieux reprendre le relais (visiblement, le seul accident où la voiture autonome de Google a été responsable jusqu’à présent a eu lieu lorsqu’un pilote humain a repris le contrôle). Et Urmson d’expliquer que maintenant que la voiture fonctionne, son équipe s’est attaqué à améliorer le facteur humain et l’expérience utilisateur.

Mais le problème pourrait bien s’avérer plus complexe que ne le laisse entendre la stimulante vision de Google…

La voiture autonome sauvera-t-elle des vies ?

Certes, pour l’instant, les bénéfices de la voiture autonomes semblent imparables. On entend beaucoup de promesses sur ce que nous apporteront les voitures autonomes : des routes plus sûres, moins de bouchons, plus d’économie d’énergie, moins d’espace consacré au stationnement, plus de libertés pour ceux qui aujourd’hui ne conduisent pas… « Mais de combien d’accidents en moins parlons-nous ? Combien d’énergie allons nous économiser vraiment ? », s’interroge Emily Badger pour The Atlantic. Le Centre ENO pour les transports a publié les premières estimations de l’impact des voitures autonomes. Pour qu’un impact commence à se faire sentir, estime le centre, il faudra atteindre 10 % de véhicules autonomes et que ceux-ci aient la capacité de communiquer entre eux. Le Centre Eno a dressé des scénarios selon que 10, 50 ou 90 % du parc de véhicule devient autonome…

Actuellement, il y a chaque année, aux Etats-Unis, 5,5 millions de collisions entre véhicules, dont 32 000 mortels – l’Organisation mondiale de la santé estime que dans le monde plus de 1,2 million de personnes meurent sur les routes chaque année. Selon les estimations, 93 % de ces accidents sont causés par des erreurs humaines. Si nous retirons le facteur humain, alors le taux d’accident mortel devrait descendre à ce qu’il est aujourd’hui pour l’avion ou le train ! Avec 10 % de véhicules autonomes, estime le Centre Eno, les accidents devraient baisser de 0,2 million seulement. Mais l’impact sur la circulation devrait être assez rapide, que l’on soit dans un véhicule autonome ou pas. Le rapport estime que le nombre total de véhicules sur les routes devrait diminuer alors que le nombre moyen de kilomètres parcourus pas véhicules devrait lui augmenter.
Le Centre Eno concède que son analyse est forcément imprécise et que nombre d’obstacles sont encore à relever pour que la part de marché des véhicules autonomes atteigne 1 %. Pour rappel, pour que le parc de voiture autonome atteigne les 1 %, cela signifie l’équivalent d’au moins 10 millions de véhicules sur 1 milliard de véhicules en circulation, sachant que le parc augmente environ de 30 millions par an. Un horizon qui n’est peut-être pas si simple à atteindre…

Une autre étude, publiée l’année dernière, estimait que la voiture autonome pourrait sauver la moitié des 32 000 personnes qui décèdent chaque année sur les routes américaines… Mais qu’elle pourrait aussi en créer 4000 supplémentaires du fait des incidents liés à l’automatisation de la conduite… estimait Patrick Lin pour Wired, le directeur du groupe Ethique et Sciences émergentes de l’école polytechnique de Californie, spécialiste de l’éthique des robots. Dans un récent article sur l’éthique des voitures autonomes, Patrick Lin rappelle que parfois un bon jugement peut nous forcer à agir illégalement. Nos voitures autonomes seront-elles capables de prendre les mêmes décisions ? Sauront-elles rouler si leur pneu est dégonflé ou un de leur phare cassé ? Et Lin de rappeler que si les voitures autonomes sont autorisées aux Etats-Unis, c’est seulement en vertu du principe juridique selon le lequel « tout est permis, sauf interdiction ». L’éthique n’est pas la loi, rappelle le chercheur. Or, les choix techniques risquent de se régler par-devers nous : les programmeurs vont devoir fixer des règles sur l’ensemble des scénarios prévisibles pour aider le véhicule à prendre des décisions. Si la voiture doit choisir entre percuter un car d’enfants et percuter une personne seule, quel choix doit être programmé ? En cas de risque d’accident, la voiture doit-elle sauver d’abord son propriétaire ou d’autres personnes, comme les piétons ou certains véhicules publics ?

En 2012, l’Insurance Institute for Highway Safety, une association professionnelle financée par l’industrie automobile a publié un rapport qui montre que les voitures partiellement autonomes contribuent déjà à réduire les accidents. Les chiffres, recueillis auprès d’assureurs automobiles américains, montrent que les voitures équipées de systèmes d’alerte de collision avant, qui avertissent le conducteur d’un incident imminent, ou capables de freiner à la place du conducteur, sont impliquées dans beaucoup moins d’accidents, proportionnellement, que les voitures qui n’en disposent pas.

Les expériences menées par Volvo en 2011 suggèrent que des « trains » de voitures autonomes sur autoroute par exemple pourraient réduire la trainée aérodynamique et faire baisser la consommation de carburant de 20 %. Une étude d’ingénierie de 2012 estime que l’automatisation pourrait théoriquement permettre à 4 fois plus de voitures de circuler sur un tronçon d’autoroute tout en évitant toute congestion permettant de considérables économies de temps et d’argent…

Mais en parcourant les études sur les promesses des voitures autonomes, on constate vite certaines contradictions. Vont-elles permettre de faire rouler plus de voitures ou moins de voitures ? Les gains de consommation en énergie ne seront-ils pas masqués par la démultiplication des véhicules et l’effet rebond ? On le voit, les projections et les études sont à prendre avec prudence tant elles cherchent le plus souvent à démontrer une thèse qu’à tenter d’estimer de trop nombreuses variables…

Pourquoi la voiture autonome n’est-elle pas déjà là ?

Mais ces stimulantes projections négligent la difficulté à réaliser une voiture sans conducteur estime Will Knight pour la Technology Review.

Le journaliste (@willknight) s’est rendu en Allemagne et a pris l’autoroute qui traverse la Bavière, entre Munich et Ingolstadt à bord d’une BMW autonome. Il était à la place du conducteur, mais il n’a pas touché le volant. Sur l’autoroute, la voiture double d’autres voitures, s’insère dans la circulation, sans soucis aucuns… La sensation semble déroutante. « Mettre sa vie entre les mains d’un chauffeur robot offre un aperçu troublant de la façon dont la conduite est sur le point d’être bouleversée ».


Vidéo : présentation du système de véhicule autonome de BMW.

Les voitures autonomes sont plus avancées qu’on ne le pense, rappelle le journaliste. Les premiers systèmes autonomes, capables de contrôler la direction, le freinage et l’accélération commencent à apparaître dans des voitures commercialisées. S’ils obligent les conducteurs à garder un oeil sur la route et les mains sur le volant, ce ne sera pas le cas de la prochaine génération de voitures autonomes qui pourrait être disponible dans moins d’une décennie. BMW, Ford, GM, Toyota, Nissan, Volvo, Audi… tous les constructeurs ont montré des voitures capables de se conduire toutes seuls. Google a investi des millions dans son logiciel de conduite autonome et les voitures sans conducteur sont devenues un spectacle familier autour de la Silicon Valley, raconte-t-il. Mais si beaucoup pensent Google quand on leur parle de voiture autonome, il faut pourtant aller chez les constructeurs automobiles pour voir rouler les modèles les plus avancés…

Reste que si le récit des tests réalisés par Will Knight chez BMW ou Mercedes sont impressionnant, alors pourquoi la voiture autonome n’est-elle pas déjà là ?

Passer de prototypes à une production grand public n’est pas si simple… Et au risque de doucher l’impatience de ses promoteurs (Cf. « Il nous faut nous préparer à la route sans conducteurs »), il risque de falloir encore attendre quelques années, avant que les premiers véhicules autonomes arrivent sur le marché.

D’une part, explique Knight, les capteurs (caméras, lasers, capteurs à ultrason, radars adaptatifs…) et ordinateurs de bords sont pour l’instant trop coûteux pour être largement déployés. Le Lidar, l’instrument de télédétection par laser qu’on trouve sur le toit des Google Car par exemple, qui fournit la meilleure image 3D du monde environnant (précise jusqu’à deux centimètres), se vend autour de 80 000 $. Et pour être intégrés aux véhicules, ces instruments devront être plus avancés encore, miniaturisés, redésignés…

Pour John Leonard, professeur au MIT qui travaille sur la navigation robotisée et qui a dirigé l’une des équipes du Darpa Urban Challenge, le concours qui a relancé la recherche sur la voiture autonome : « Nous ne devons pas surestimer la façon dont fonctionne la voiture autonome ». Les enjeux fondamentaux d’être capable de représenter le monde et le prédire grâce à la technologie ne sont pas si simples et il se pourrait qu’il faille encore des décennies pour que les machines parviennent à surpasser l’humain… La technologie utilisée par les voitures autonomes pour faire face à des environnements urbains complexes, tels que ceux utilisés dans les Google Car aujourd’hui, pourrait ne jamais être assez compacte ou bon marché pour être utilisé dans des véhicules du commerce, comme c’est le cas du Lidar et des systèmes de navigation inertielle (qui fournissent des informations de positionnement précis en surveillant les mouvements du véhicule combiné à un GPS et à une carte à haute précision). Le mauvais temps pour l’instant dégrade de manière significative la fiabilité des capteurs. ET si les systèmes autonomes s’appuient sur une cartographie très précise, alors l’enjeu à mettre ces cartes à jour devient primordial… et lui non plus n’est pas si simple à réaliser.

Pour l’instant, la voiture autonome est limitée à une circulation sur autoroute, parce que la technologie sait encore mal répondre aux incertitudes posées par le trafic venant en sens inverse… Pour Ralf Herttwich, qui dirige la recherche et l’ingénierie des systèmes d’assistance au conducteur de Mercedes, l’interprétation d’une situation devient d’autant plus difficile que la route devient plus complexe. A quel conducteur s’adresse tel feu de signalisation par exemple ? Ce qui est évident pour nous, ne l’est pas forcément pour nos machines…

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Image : la voiture autonome de BMW en test sur l’autoroute, via Digital Trends.

Notre attention en question

Mais la principale difficulté que rencontre la voiture autonome concerne plutôt les modalités de passage de relai entre le pilote automatique et le pilote humain. La BMW qu’a conduit Will Knight est censée redonner le contrôle au pilote dès qu’il appuie sur une pédale ou tourne son volant, mais ce n’est pas si simple… Et un gros bouton rouge qui coupe tous les ordinateurs de la voiture a été installé sur le tableau de bord du prototype pour en reprendre le contrôle… Un contrôle pas si évident, quand cette action coupe jusqu’à la direction assistée.

La question du rôle du pilote humain, de son attention, des modalités disponibles pour qu’il puisse assurer la supervision du véhicule sont complètement à éclaircir. Avec un véhicule autonome, il est très facile de ne plus être concentré et très difficile de le redevenir, explique Knight. La question de la difficulté à réengager le conducteur distrait est une question que Bryan Reimer, chercheur au MIT, a bien documenté. Pour lui, les facteurs de blocage dans la voiture autonome seront avant tout humains. En avril 2013 dans la Technology Review déjà, Will Knight résumait cette question en soulignant que pour que la voiture autonome devienne une réalité, il faudrait d’abord trouver les moyens pour que la technologie augmente les capacités des conducteurs humains plutôt que de les rendre obsolètes. « Comment raccorder le cerveau humain à cette technologie ? » A trop compter sur l’autonomie de la voiture, la vigilance du conducteur humain diminue et rend d’autant plus difficile la reprise en main. C’est le même constat que l’administration fédérale de l’aviation a fait en 2011 en demandant aux compagnies aériennes de limiter l’usage du pilote automatique du fait de l’augmentation des erreurs de pilotages des opérateurs humains, trop habitués à se laisser faire par la machine. Certes, la machine sera peut-être capable d’ajuster ses paramètres en fonction du niveau de distraction ou d’engagement du conducteur… Pas sûr que cela suffise.

Nicolas Carr ne disait pas autre chose dans son dernier article sur « les risques de mettre nos connaissances dans les mains des machines ». L’utilisation des pilotes automatiques dans les avions érode les compétences des pilotes et émousse leurs réflexes. S’ils ont incontestablement contribué à l’amélioration de la sécurité des vols, ils tendent à déqualifier l’équipage. A mesure que les ordinateurs effectuent des tâches toujours plus complexes, qu’ils effectuent un travail d’analyse et de prise de décision, le logiciel réduit notre horizon et notre attention. « L’automatisation ne se contente pas de suppléer l’activité humaine, elle la change ». L’automatisation nous transforme en observateurs, inhibant le développement de nos compétences. Dans de nombreuses entreprises, nous prenons des décisions à partir de systèmes qui nous aident, au risque de moins comprendre les risques. L’exemple le plus marquant qu’utilise Carr provient de la petite ile d’Igloolik en Nunavut. Chez les jeunes Inuits, l’adoption de la technologie GPS a été très forte ces dernières années, mais les accidents de chasse graves se sont multipliés. « La connaissance demande la pratique. (…)Chaque fois que nous entrons en collision avec le réel, nous approfondissons notre compréhension du monde et devenons plus pleinement une part de celui-ci. (…) L’automatisation informatique nous permet d’obtenir ce que nous voulons plus facilement, mais nous éloigne du nécessaire travail d’apprentissage. »

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Image : l’une des voitures qui « se conduit toute seule » de Google.

Les constructeurs réfléchissent déjà à prévenir ces problèmes. Comment ramener le conducteur à sa conduite ? Les premières générations de voitures autonomes vont exiger que le conducteur intervienne sur certain point afin de garder son attention, prévient Clifford Nass, codirecteur du Laboratoire de communication entre humains et médias interactifs de l’université de Stanford. Lorsque la voiture est conduite de manière autonome, elle est beaucoup plus sûre, mais l’incapacité de l’être humain à revenir dans la boucle, finit par la rendre beaucoup moins sûre, constate avec ironie le chercheur. L’un des enjeux de systèmes qui conduisent seuls une partie du temps c’est qu’ils soient capables de prédire le moment où ils sont sur le point d’échouer pour donner au conducteur suffisamment de temps pour prendre le relais. Mais cette capacité est limitée par la gamme de capteurs qui équipe la voiture et par la difficulté inhérente à prédire le résultat d’une situation complexe. « Il faut cinq, six, sept secondes pour revenir à la conduite lorsque le conducteur est complètement distrait », estime Werner Huber, le responsable du projet de conduite autonome de BMW… « Ce qui signifie que la voiture doit vraiment savoir très à l’avance lorsque sa limite est atteinte ! »

Leonard ne croit pas que l’autonomie des véhicules soit imminente. Le chauffeur de taxi qui ramenait Will Knight à son aéroport non plus. Notre humaine capacité à faire face à un monde complexe et désordonné risque encore de s’avérer utile quelque temps…

Voiture autonome ou transports publics ?

La voiture autonome n’est pas encore là – et risque de ne pas être là avant longtemps -, mais déjà tout le monde l’imagine comme le transport miracle de demain. Ethan Zuckerman (@EthanZ) habite très loin de là où il travaille… 250 kilomètres séparent son domicile de son université. 250 kilomètres qu’il accomplit en voiture, en partant chaque semaine pour 3-4 jours à l’université. L’Amérique a une culture de la banlieue et des trajets pendulaires quotidiens… dont il participe à sa manière, explique-t-il sur son blog. Comme beaucoup d’Américains, Ethan souhaiterait que ce soit autrement. A défaut, il tente d’optimiser ses trajets en les occupant du mieux qu’il peut, en écoutant des livres audio et des podcasts. Il te faudrait une Google Car pour pouvoir travailler tranquillement dans ta voiture, lui proposent ses amis en oubliant rapidement que leur autonomie ne dispense pas leur conducteur de toute attention…

Non, répond Zuckerman, il me faudrait un train ! « Dans la plupart des pays du monde, un train ne serait pas une chose déraisonnable à demander. La Nouvelle-Angleterre a une densité de population comparable à certaines parties de l’Europe où les trajets par train sont courants. » D’ailleurs, une ligne existe qui relie Albany à Boston, mais il n’y a qu’un train par jour et il met 6 heures à faire le trajet, là où il suffit de 2 heures trente en voiture. Des projets de trains à grande vitesse existent en Nouvelle-Angleterre, mais les services publics y sont plutôt en train de se réduire que de s’étendre. « En fait, il est difficile d’imaginer qu’une telle ligne soit un jour construite. En fait, il est bien plus simple d’imaginer que demain j’utiliserai une voiture autonome pour m’amener de ma petite ville à une plus grande. (…) En fait, il est plus facile d’imaginer le déploiement d’une technologie futuriste qui n’existe pas au-delà des labos où elle est testée que d’envisager l’expansion d’une technologie qui est déjà largement utilisée à travers le monde », rappelle avec raison le chercheur. « Comment en sommes-nous venus à ce qu’une technologie hautement spéculative, financée par des sociétés privées, soit vue comme un futur plausible, alors que les technologies ordinaires, financées par nos gouvernements sont vues comme irréalistes et impossibles ? »

Peut-être que vu d’Europe, nous nous sentons moins concerné par le problème que soulève Ethan Zuckerman, mais est-ce si sûr à une époque où les services publics, ici aussi, sont en crise de financement… à une époque ou la voiture autonome semble ici aussi une promesse accessible…
« L’ironie de la Google Car est que pour moi, le service qu’elle pourrait me rendre serait inférieur à un train », rappelle le chercheur. Le train serait plus économe en énergie, il l’extrairait des bouchons, faciliterait sa sociabilité…

Le marché, le capitalisme, fonctionne très bien pour les vendeurs de voitures, pas pour ceux qui ont besoin de se déplacer, constate le chercheur. Qu’importe au final si les solutions proposées par le marché privé s’avèrent moins efficaces que les solutions que pourrait proposer l’acteur public. Pour l’instant, ceux qui y perdent sont à la fois les résidents de Boston qui payent leurs loyers très chers et ceux des banlieues qui payent la différence de prix en temps de transport. Qu’importe si l’investissement dans une ligne de chemin de fer à grande vitesse serait certainement rentable…

« Les Etats-Unis ont un problème avec les biens publics », rappelle le chercheur. « A force d’entendre que l’acteur public ne peut rien et que le secteur privé est toujours moins efficace, ma génération et les suivantes ne regardent plus vers le gouvernement pour résoudre leurs problèmes », estime-t-il. « Nous nous tournons vers le secteur privé, en espérant que leurs services feront du monde un monde meilleur ». Google par exemple est souvent considéré comme un bien public. Mais il ne l’est pas ! Nous n’avons pas d’influence sur les services qu’il propose ou ne propose pas. Notre incapacité à considérer la création de nouveaux biens publics restreint les espaces de solutions que nous pouvons prendre en compte. Nous ne considérons que peu d’options et nous plaignons de ne trouver que des solutions perdantes…

Zuckerman et l’un de ses étudiants, Rodrigo Davies, ont écrit sur le financement participatif civique (Cf. « Le financement participatif peut-il bâtir des villes ? »), regardant notamment des cas où les gens se rassemblent pour des projets que l’on attendrait de gouvernements. « Est-ce la seule solution qui reste à l’Amérique ? Est-ce la seule solution pour ceux qui ont abandonné leur capacité d’influence sur leurs gouvernements pour qu’ils fassent le travail que l’on attend d’eux ? »

Nous avons le choix entre l’action collective ou les solutions individuelles que seuls les plus riches pourront s’offrir, estime Zuckerman. Un moyen de remettre le débat autour de la voiture autonome dans une perspective plus large sur le choix de société pour lequel nous voulons opter. Le facteur humain à améliorer n’est pas que celui capable de piloter la machine, c’est aussi celui capable de décider quelle société et quel avenir il souhaite mettre en place.

Hubert Guillaud

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  1. Pour le designer et architecte Dan Hill, à quelle question la technologie est-elle la réponse ? Les Google Car veulent-elles seulement réduire la mortalité routière ? Mais ce ne serait pas une « perturbation radicale » !, répond-il. Les Google Car risquent surtout de renforcer l’étalement urbain, l’idéologie californienne ! Elles sont tout à fait conservatrice en matière de mobilité. Elle ne seront une solution ni pour lutter contre l’obésité, ni pour lutter contre la dépression, le changement économique ou la crise climatique ! Quand Copenhague a fait le choix politique du vélo dans les années 60, ce n’était pas un accident, mais un choix actif ! Pour réduire les accidents de la route, il faut réduire les voitures, pas les augmenter ! Et ce n’est pas l’industrie automobile qui va nous proposer cela ! Et Dan Hill de dénoncer le conservatisme inhérent de l’idéologie californienne. Parler de technologie leur évite d’avoir à parler de la modification d’une mode de vie insoutenable ! Nous avons plus besoin de logiciels pour partager nos modes de mobilité que de logiciels pour les individualiser !

  2. En 2017, John Markoff, pour le New York Times, revenait sur cette problématique du transfert du contrôle à un humain en cas de défaillance technique. Une difficulté accrue selon la vitesse du véhicule et la préparation ou non du sujet humain à reprendre le contrôle et d’autres problèmes psychologiques, comme la « surconfiance »… En fait, c’est l’idée même de transfert qui pose problème : « l’idée qu’un humain puisse être une sauvegarde fiable est une erreur », souligne l’un des ingénieurs du MIT. Cela n’empêche pas les chercheurs de continuer à tenter de résoudre le problème : soit en trouvant des modalités pour maintenir le niveau de vigilance des pilotes ou en développant des technologies toujours plus prédictives, afin d’augmenter le temps de transfert.