« Dur dur d’être patron », c’est l’intitulé de cette matinale. On pourrait ajouter, « dur dur d’être patronne, en particulier dans les entreprises du numérique ». Parce que viennent se combiner deux obstacles : celui qui s’impose à toute femme pour monter dans la hiérarchie (le fameux « plafond de verre« ) et une sous représentation des femmes dans l’informatique et le monde numérique. Le cas archétypal s’est présenté il y a quelques jours à Twitter. L’entreprise américaine, au moment où elle préparait son entrée en Bourse, a été sommée de féminiser son conseil d’administration composé de 7 hommes blancs. Jeudi, Twitter annonce la nomination de Marjorie Scardino, effective immédiatement. Marjorie Scardino, britannique née américaine, dont le dernier poste était, entre 1997 et 2012, la direction de Pearson (qui est une maison d’édition, mais aussi un groupe qui possède des journaux, comme le Financial Times), membre entre 2001 et 2013 du conseil d’administration de Nokia, le groupe de télécom finlandais… Marjorie Scardino est une patronne renommé du monde des média traditionnels (elle a longtemps occupé des postes de à la direction du groupe The Economist et son premier métier fut celui de journaliste). Les autres grandes patronnes du monde numérique, Sheryl Sandberg, la directrice générale de Facebook ou Arianna Huffington, la fondatrice du Huffington Post, ne proviennent pas non plus de l’informatique. Des patronnes qui viendraient de l’informatique, on en connaît assez peu, la plus emblématique étant peut-être Marissa Mayer, qui dirige aujourd’hui Yahoo après 13 ans chez Google, où elle était vice-présidente. Google que Marissa Mayer avait rejoint en 1999 (un an près la création de l’entreprise), en tant que 20e salarié et première femme ingénieur, après de brillantes études d’informatique à l’université de Stanford.
Image : y’a-t-il un biais de genre dans le monde des startups, s’interrogeait récemment le Wall Street Journal ? C’est le moins qu’on puisse dire, assume Vivek Wadhwa, qui accuse la Silicon Valley d’être sexiste et raciste. Heureusement que quelques programmes commencent à chercher à renverser cette tendance, à l’image de celui lancé par l’université Carnegie Mellon qui a fait passer son ratio d’étudiante en informatique de 7 à 42 % en quelques années…
A part des statistiques, on trouve assez peu d’études sur les raisons qui font du monde de l’informatique un monde masculin. Pourquoi l’informatique est-elle – selon Isabelle Collet de l’université de Genève et auteure de L’informatique a-t-elle un sexe ? – une des rares disciplines à s’être masculinisée ces dernières décennies ? Une masculinisation d’autant plus étrange, alors même que, historiquement, il y a eu des femmes importantes dans l’histoire de l’informatique. Sans remonter jusqu’au 19e siècle et à Ada Lovelace, la fille de Lord Byron, à qui on attribut l’écriture du premier programme pour une machine (la machine du mathématicien Charles Babbage, avec qui elle travaillait), on doit une étape décisive de cette histoire à Grace Hopper qui, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, s’est dit qu’il serait quand même beaucoup plus pratique de programmer les ordinateurs avec des langages proches du langage naturel, et non plus seulement avec des chiffres. Mais à l’époque, ces questions de langage étaient secondaires, les hommes préférant s’attaquer aux machines, à l’électronique… Depuis, l’histoire de l’informatique s’est masculinisée.
Il y a quelques raisons à cette masculinisation : des raisons sociologiques (quand elle devient une discipline à succès, l’informatique, comme les autres disciplines, attire un public plus masculin), des raisons de représentation (« ingénieur, c’est un métier d’homme », « être geek, c’est un truc de garçon », et contre ça, la réalité des usages ne fait rien « ce n’est pas parce que les femmes conduisent autant que les hommes que les femmes deviennent garagistes », me disait Isabelle Collet, et la forme caricaturale de tout ça, ce serait le sexisme à l’œuvre dans les réseaux, identifié au point que la ministre Fleur Pellerin vient de saisir le Conseil National du numérique à ce sujet). Et s’’il y avait des raisons plus profondes ?
Isabelle Collet émet une hypothèse sans doute à creuser. Elle observe que les deux grands penseurs de l’informatique moderne, Alan Turing et John Von Neumann étaient deux grands génies, mais très misogynes chacun à sa manière, et surtout qu’ils avaient imaginé l’informatique comme le moyen de dupliquer l’intelligence, leur intelligence, sans l’intermédiaire du corps des femmes – la machine étant le lieu de cette duplication. Une sorte de péché originel de l’informatique qu’il s’agirait depuis de racheter et dont nous serions encore aujourd’hui les victimes – ou les agents, c’est selon. L’hypothèse d’Isabelle Collet n’exonère personne mais donne une idée de l’ampleur du travail.
Xavier de la Porte
Retrouvez chaque jour de la semaine la chronique de Xavier de la Porte (@xporte) dans les Matins de France Culture dans la rubrique Ce qui nous arrive à 8h45.
L’émission du 14 décembre 2013 de Place de la Toile était quant-à elle consacrée au Bitcoin, cette monnaie virtuelle, en compagnie de l’informaticien Pierre Beyssac (@pbeyssac), auteur du blog Signal où il a récemment livré une explication parfaitement claire de ce qu’est le Bitcoin ; du chercheur Philippe Herlin (@philippeherlin), auteur de La révolution du Bitcoin et des monnaies complémentaires ; et du spécialiste de la monnaie Bruno Théret, auteur de La monnaie dévoilée par ses crises.
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Je n’ai pas lu les travaux d’Isabelle Collet, mais j’ai beaucoup étudié A. Turing et j’ai du mal à prendre au sérieux l’affirmation selon laquel il serait à l’origine d’un péché « sexiste » originel. C’est lire de travaux son article de 1950, et c’est, pire, donner prise à l’idée selon laquelle son homosexualité serait lié à une forme de mysogynie. Les deux thèses sont absurdes.
Si on vous disait que Merissa Mayer est passée à la casserole avant de devenir ce qu’elle représente aujourd’hui, sans bien sûr mettre en doute ses compétences, vous comprendrez bien que l’homme du Neandertal occidental (qui se prétend développé) n’a rien à envier à l’homme afghan qu’on traite de l’homme des cavernes pour au regard de ce que subissent physiquement tous les jours les femmes avant d’aspirer à une responsabilité professionnelle, même si le travail à domicile ne constitue pas une fonction reconnue et gratifiante à travers le monde.
Il y a aussi le fait que l’informatique est lié aux mathématiques et que les mathématiques est une discipline qui attire peu les femmes. Les mathématiques scolaires n’ont strictement rien à voir avec l’algèbre booléen et la logique utilisée en informatique.
J’ai fait un peu de programmation informatique dans le passé et je suis nul en math. Donc on peut être informaticien en étant pas un matheux. Il faut justement décoreller le fait d’être super bon en math et celui de savoir programmer ou de savoir utiliser un ordinateur de manière experte. En 1996 j’ai été refusé dans une formation de concepteur multimédia ( pourtant plutôt orienté vers le webdesign et l’utilisation d’outils infographiques) parce que je n’avais pas fait un bac scientifique.
Donc il faudrait ouvrir largement les formations informatiques à des profils non mathématiciens et notamment des profils plus littéraires ( notamment dans les métiers du web et du multimédia – ça a commencé depuis une dizaine d’années mais l’effort devrait être continué).
L’informatique et surtout le développement et la programmation nécessitent beaucoup de concentration , c’est pour cela les femmes n’aime pas ce genre de travail!!
Je ne suis pas d’accord il y avait beaucoup de femmes qui sont des génies en informatique!!!
@Bastien Tout à fait d’accord : le raccourci d’Isabelle Collet est surprenant.
De plus, c’est ignorer qu’on pourrait faire remonter les fondements de l’informatique à la parution de « les lois de la pensée » de Boole en 1854, soit bien avant Turing ou Von Neumann… Donc pas de « pécher originel » lié à leur soi-disant misogynie.
@Master impact Bien qu’informaticienne, j’ai eu du mal à me concentrer du début à la fin de votre commentaire 🙂
Je mets un bémol : ce n’est peut-être pas une thèse d’Isabelle Collet, mais d’une lecture rapide de son livre ? Je l’ai commandé, je pourrai voir de plus près.
Vous parlez dans l’article de Marissa Mayer chez Yahoo mais si on regarde de plus près il y a aussi Virginia Rometty à IBM, Ursula Burnes chez Xerox, Safra Catz chez Oracle ou encore Meg Whitman pour Hewlett-Packard. Et sinon, chez les hommes quel dirigeant encore en activité dans l’informatique pouvez-vous citer ? Zuckerberg, et sinon ?
Les exemples de femmes à la tête d’entreprises informatiques sont de plus en plus courant et il est probable que le temps suffise à réguler la situation. Il n’est peut-être pas toujours nécessaire d’être aussi alarmiste que dans l’article.
Saviez vous qu’au XVIIIeme siècle, les femmes avaient de très mauvaises performances en orthographe, cette nullité en orthographe était selon leurs contemporains liée à une moindre intelligence. Aujourd’hui, elles sont meilleures en orthographe que les hommes…Cet exemple, c’est comme l’informatique, tout est lié à la formation, à l’instruction. Beaucoup de gens confondent capacités et instruction pourtant on peut avoir un gros potentiel et être faiblement instruit et à l’inverse avoir un très faible potentiel et être instruit…