Angelina, la machine à créer des jeux

Le Ludum Dare est une coding party durant laquelle les concurrents doivent réaliser un jeu vidéo en un temps record – un week-end. Thème de la session de décembre 2013 : « Vous n’en avez qu’UN ».

Parmi les concurrents figurait Angelina. Angelina n’est pas une codeuse traditionnelle, nous expliquent divers médias, tels le New Scientist, Physorg et Kotaku. C’est un logiciel, une intelligence artificielle élaborée par Michael Cook, dont la fonction est de… créer des jeux.

Sa contribution à Ludum Dare, To That Sect (que vous pouvez tester en ligne), est un parcours dans un labyrinthe 3D. Le but consiste à ramasser un objet, le Bateau, tandis que des statues volantes appelées les « Tombes », tentent d’attraper le joueur (vidéo).

Quel a été plus précisément le rôle d’Angelina dans l’élaboration de cette oeuvre ? Elle n’a pas généré les règles, qui étaient précodées, mais elle a trouvé le thème, produit les objets, choisi les couleurs, les musiques, etc. Angelina a aussi écrit le descriptif du jeu :

« C’est un jeu sur un enfant mécontent. Un Fondateur. Le jeu n’a qu’un niveau, et le but est d’atteindre la sortie. Sur le chemin, vous devez éviter la Tombe qui peuvent vous tuer (sic), et ramasser le bateau.

J’ai trouvé les effets sonores, comme le son du bateau, avec Freesound. En utilisant Google et un outil nommé nommé Metaphor Magnet, j’ai découvert que les gens peuvent parfois se sentir charmés par le Fondateur. Alors j’ai choisi un morceau de musique étrange trouvé sur le site Incomptech de Kevin McLeod pour ajouter à l’ambiance du jeu.

Dites-moi ce que vous en pensez. À l’avenir j’inclurai plus de niveaux dans le jeu et je rendrai les mécaniques plus intéressantes. »

Notez que, malgré le ton assez surréaliste de ce communiqué – avec une faute de syntaxe au beau milieu -, il ne s’agit pas là d’un texte obtenu de manière purement algorithmique. Comme le précise Michael Cook dans les commentaires d’un article de Kotaku, une partie du texte était préécrite, Angelina l’enrichissant en fait avec les choses « intéressantes ». Par exemple, l’idée de l' »enfant mécontent » était d’elle. Pour concevoir le thème du jeu, elle a recouru à un service web, le « Metaphor Magnet« , qui recueille et analyse toutes les métaphores possibles à partir d’un mot.

C’est à partir du thème du « Un » qu’Angelina trouvé son idée d’appeler l’enfant le « Fondateur ». Comme le terme Un (One) proposait plus de 240 000 associations, Angelina s’est donc rabattue sur un mot assez proche, « fondateur ». C’est à partir de là qu’elle a trouvé, dans le Metaphor Magnet, les références à un « enfant mécontent », « charmés », etc.

En fait, comme l’explique Cook, les difficultés d’Angelina étaient d’un autre ordre que celles rencontrées par ses concurrents lors de la compétition. Pour les humains, le grand obstacle est le temps : ils ont besoin de repos, de nourriture. Pour Angelina, il n’y aucun problème de ce côté-là. En revanche, le souci de cette IA consiste à élaborer un thème à partir d’un seul mot-clé.

Créer de nouvelles règles

Angelina n’en était pas à son coup d’essai. Michel Cook travaille sur ce programme depuis plusieurs années et a conçu une multitude de jeux différents à partir de là.

En fait, To That Sect n’est pas la création la plus avancée d’Angelina, car pour cette occasion, Michael Cook a dû s’adapter à un nouvel environnement, celui de la programmation 3D avec Unity. Jusqu’ici, il travaillait surtout à générer des jeux d’arcades en deux dimensions. Comme il l’explique dans les commentaires du post de la Watchtlist de Kotaku, il n’a pu intégrer dans To That Sect une caractéristique particulière d’Angelina : le créateur de « mécaniques de jeu », ou « Mechanic Miner ». Il ne s’agit plus seulement avec ce système de créer les différents aspects d’un environnement ludique : couleurs, sons ou même thèmes, mais également de produire les règles. Tout d’abord, n’exagérons rien : le Mechanic Miner ne génère pas des équivalents originaux de jeux d’échecs ou du go, mais trouve de nouvelles manières de produire un jeu d’arcade.


Vidéo : une intervention de Michael Cook à la Conférence sur la créativité informatique 2013 qui se tenait à Sidney sur l’évaluation de générateurs de codes créatifs.

Qu’est-ce exactement qu’une « mécanique » ? Cook en donne quelques exemples connus : sauter sur des objets pour les détruire, comme le fait Super Mario ; avaler des pilules dans PacMan, qui donne le pouvoir de tuer les fantômes… En bref, conclut Cook, une « mécanique de jeu est un moyen de permettre au joueur de changer le déroulement du jeu pour atteindre ses buts. »

Avec le Mechanic Miner, explique Cook, Angelina est capable d’examiner et changer le code des jeux qu’elle crée, et de trouver de nouvelles « mécaniques de jeu ». Pour ce faire, le système examine toutes les variables à l’intérieur du programme, en choisit une à modifier, puis propose au joueur d’utiliser un bouton qui lui donne accès à cette modification. Par exemple, une option qui permet de sauter deux fois plus haut sur une plate-forme.

Lors de ses expérimentations avec Mechanic Miner, Cook a pu constater plusieurs phénomènes laissant à penser qu’il est sur la bonne voie, notamment :

  • Le module a élaboré tout seul des règles qui avaient déjà été imaginées par des humains : par exemple un passage du personnage en basse gravité ;
  • Il a également trouvé des idées que personne n’avait eues jusqu’ici, comme rendre un personnage élastique pour affecter sa capacité à rebondir ;
  • Enfin, le Mechanic Miner a été capable de « hacker » ses propres mécaniques, en découvrant des « coups spéciaux » imprévisibles, telle qu’une combinaison de « saut » et de « téléportation » qui donnait des résultats inattendus…

Par bien des côtés, le système d’Angelina appartient la catégorie des jeux à contenu généré de manière algorithmique, et c’est un domaine qui n’est pas entièrement neuf. Mais l’intervention d’une IA permettrait d’aller beaucoup plus loin. Pour exemple, le New Scientist cite un jeu en cours de développement, No Man Sky dans lequel toute la faune et la flore et la planète visitée sont conçues de manière procédurale. A la fin de la bande-annonce, on aperçoit un ver géant. Pour Michael Cook, « l’idée d’un ver creusant des galeries est à l’origine humaine ». Mais avec une IA comme Angelina, il espère pouvoir générer ce genre d’idées automatiquement. Jusqu’où un tel programme pourra-t-il créer des jeux totalement originaux ? On reste jusqu’ici dans le domaine du jeu d’action, même avec le Mechanic Miner. Un système comme Angelina sera-t-il un jour capable de générer des jeux de rôle, de stratégie, de simulation ?

Rémi Sussan

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