Open Data : de quelle ouverture est-elle le nom ?

Le site de l’Assemblée nationale a rendu publics les chiffres concernant la réserve parlementaire. Il est désormais possible de voir la manière dont les 577 députés distribuent plus de 80 millions d’euros qui leur sont alloués pour subventionner des collectivités et des associations : quels projets sont financés ? Où ? Par qui ? Des informations qui sont importantes, car elles permettent de constater si le président de l’Assemblée nationale Claude Bartelone respecte ses engagements en faveur d’une meilleure répartition de la réserve sur l’ensemble du territoire, ou si les députés ne profitent de cet argent pour financer les associations de la ville dont ils sont maires par ailleurs – le genre de petites dérives qui ont été souvent constatées, presque accidentellement, par le passé. Ce petit événement – le fait que l’Assemblée nationale rende public ces chiffres, dont une partie n’avait jamais été communiquée – s’inscrit dans un mouvement plus large qu’on appelle Open Data, l’ouverture des données publiques. Ce mouvement est d’abord né aux Etats-Unis et il a été lancé en France sous le mandat de Nicolas Sarkozy avec, en particulier, la création d’un service adéquat, Etalab, chargé de coordonner cette ouverture des données et de créer une plateforme pour rendre publiques ces données, data.gouv.fr. Force est de constater que ce mouvement prend de l’ampleur. Le nombre de données publiques rendues disponibles s’accroit, les grandes institutions publiques – à l’image de l’Assemblée nationale – prennent des engagements et les respectent. Bref, même l’association Regards citoyens, qui depuis 2009, milite pour cette ouverture des données et y participaient avec ses moyens avec un site comme Nosdéputés.fr (qui permet de voir exactement ce que fait chaque député, sa présence, ces votes, les questions qu’il pose, etc.), même Regards citoyens estime que les choses vont dans le bon sens.

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Il y a au moins 3 manières de regarder cette question de l’Open Data.

Si on s’en tient à un constat un peu plat, au ras de la donnée si j’ose dire, on peut rester un peu perplexe. Allez voir sur data.gouv.fr les données rendues disponibles récemment, ça ne fait pas rêver : « liste des immeubles protégés au titre des Monuments historiques », ou « effectifs d’étudiants inscrits dans les établissements et les formations de l’enseignement supérieur »… Surtout que quand vous cliquez, vous ouvrez en général des fichiers Excel avec des colonnes et des chiffres, pas très parlant. Et même quand vous allez voir des données plus simples, celles de la population par exemple, elles sont tellement précises (par région, par année…) qu’à moins de chercher quelque chose de précis, on s’y perd vite.

Mais peu importe, et j’en viens à la deuxième manière de regarder ce mouvement. Ce qui compte, c’est l’enclenchement d’une logique. Une logique qui veut que toutes les informations recueillies et fabriquées par les institutions publiques soient rendues au public (ce qui ne va de soi ne serait-ce que parce que certaines de ces données étaient vendues), qui veut que ces mêmes institutions soient redevables dans leur mode de fonctionnement et leur financement auprès de la population. Ces données, brutes, sont peu lisibles, mais travaillées, elles prennent du sens. Et il y a dans ce mouvement une proposition faite aux citoyens : nous libérons des données, à vous d’en faire quelque chose. Sans doute il y a-t-il là les outils d’un contrôle citoyen, il y a-t-il là matière à enquête pour des journalistes… A condition de se mettre au travail. La disposition et l’accès aux données que permettent l’informatique et internet ne sont pas une fin en soi. C’est le courage, l’intelligence et l’intention politiques qui en feront quelque chose.

Troisième manière de regarder le mouvement de l’Open Data, la question de la transparence et surtout la crainte de cette « transparence » induite par la culture du numérique : la fin du secret ou même de la vie privée. Dans les faits, le risque est moins la transparence totale, que l’écran de fumée consistant à rendre publiques les mauvaises données, en tout cas celles qui sont peu intéressantes. Le cas s’est présenté lorsque, suite à l’affaire Cahuzac, ont été rendues publiques les déclarations de patrimoine des membres du gouvernement. « Atteinte à la vie privée » se sont écrié certains. « Données inutiles » a répondu Regards citoyens expliquant immédiatement que des déclarations de patrimoine étaient peu significatives, que c’était d’autres données qui étaient importantes : la vraie transparence du vote parlementaire par exemple ou l’encadrement des conflits d’intérêts et du lobbying. Là, ça résiste encore. La lutte pour l’accès aux données a encore de beaux jours devant elle.

Xavier de la Porte

Retrouvez chaque jour de la semaine la chronique de Xavier de la Porte (@xporte) dans les Matins de France Culture dans la rubrique Ce qui nous arrive sur la toile à 8h45.

L’émission du 1er février 2014 était consacrée à la question, Internet est-il un don de Dieu ?, en compagnie du journaliste Saïd Branine, confondateur et directeur de Oumma.com, premier site de débat d’information de l’islam francophone, et de David Douyère, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 13, chercheur au Labsic, et qui travaille notamment sur la communication de l’Église catholique.

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0 commentaires

  1. Merci pour cette synthèse efficace. La dernière question est la bonne : quelles données doivent-elles être ouvertes et dans quel but ?

    Je ne peux pourtant pas être d’accord avec ce tableau malgré tout optimiste qui est dressé. Je ne suis pas du tout sûr que l’on puisse considérer au vu de tout ça que l’Assemblée est en train de prendre le virage de l’Open Data. J’ai déjà essayé d’expliquer ça en détail ici (http://laspic.hypotheses.org/1969) …