Sur les réseaux, on a passé une bonne partie de la journée du 5 février à se moquer d’Arnaud Montebourg, notre ministre du redressement productif. Tout ça parce qu’il aurait déclaré vouloir faire interdire Google en France si l’entreprise américaine n’acceptait pas d’héberger sur le territoire français les données recueillies sur le territoire français. Déclaration démentie très mollement dans l’après-midi. Mais peu importe, l’information a continué de circuler et la toile française de rire : Arnaud Montebourg, qui porte déjà en lui-même une propension à la cocasserie, menacerait de bouter Google hors de France, c’est en effet très cocasse.
Eh bien ce matin, contrairement à d’habitude, je ne céderai pas à la facilité et je vais prendre la défense d’Arnaud Montebourg.
D’abord parce que le problème qu’il soulève est extrêmement important. Que nos données personnelles soient hébergées sur le sol français ne garantit pas leur inviolabilité, mais cela permet au moins d’avoir des recours en cas de violation. Tandis que si nos données sont hébergées aux États-Unis (et vous savez que Google en possède une quantité monumentale : nos requêtes quand on utilise le moteur de recherche, les vidéos que l’on regarde quand on va sur YouTube, nos données de navigation quand on est sur Chrome, nos mails quand on est sur Gmail ou écrivons un message à quelqu’un qui est sur Gmail…), cela signifie que non seulement Google peut les exploiter ou les vendre, mais qu’en vertu du Patriot Act, elles sont potentiellement consultables par les autorités américaines, sans aucun recours possible. Pourquoi donc ne pas exiger de Google qu’il stocke les données récoltées en France sur le sol français ? Ce n’est pas absurde. A noter d’ailleurs que personne n’avait rigolé quand il y a quelques mois, la présidente brésilienne Dilma Roussef avait fait acte d’une volonté tout à fait similaire : inciter les grosses entreprises américaines à stocker les données des Brésiliens au Brésil, pour les protéger de la NSA. Donc Arnaud Montebourg n’est pas si dingue.
Image : les polémiques entre les entrepreneurs du web et Arnaud Montebourg ont déjà été nombreuses. Celle qui a eut lieu sur la scène de la conférence LeWeb en décembre 2013 symbolisait bien le problème entre le monde politique et celui de l’innovation technologique, comme le rapportaient de manière assez différentes d’ailleurs, Challenges ou Olivier Ezratty. Loïc Le Meur et Arnaud Montebourg sur la scène de LeWeb 2013, photographiés par Adam Tinworth.
Ensuite l’argument qui consiste à faire appel au principe de réalité pour ne rien tenter à l’échelle nationale ou européenne – parce que Montebourg imaginerait une action menée à l’échelle de l’Europe -, à ne rien tenter parce qu’on est dans un environnement mondialisé, déterritorialisé, parce que nous ne pouvons rien faire contre une multinationale, c’est exactement tout ce qu’on déteste, non ? On ne peut pas reprocher aux hommes et femmes politiques de n’avoir aucune imagination, de se résigner face à la puissance de l’argent, et rire d’Arnaud Montebourg quand il enfile sa marinière pour aller défier Google. Ca relève de la cohérence politique.
Bien sûr, envisager qu’une procédure visant à rendre Google illégal puisse aboutir – même à l’échelle de l’Europe qui vient par ailleurs de se coucher face à Google dans une procédure antitrust – est illusoire, mais ça pourrait instaurer un rapport de force ou servir de menace, une manière d’obliger Google à s’acquitter du milliard d’euro de redressement fiscal que la France réclamerait à l’entreprise américaine. Ce serait donc un mouvement tactique. Un peu gesticulatoire certes, mais pas complètement absurde.
Mais, surtout, il me semble que cette sortie a une vertu, celle de nous projeter dans un Internet sans Google. De nous obliger à imaginer ce que serait un monde sans Google. Pour chercher des informations sur le web, on irait sur d’autres moteurs de recherche, Duckduckgo, un moteur de recherche plus respectueux de la vie privée. Pour regarder des vidéos, on n’irait plus sur YouTube, mais sur Dailymotion par exemple. On quitterait Gmail pour ouvrir des comptes sur d’autres services mail, des services sécurisés par exemple. Pour stocker et partager des documents, on n’irait plus sur Google Drive mais sur des alternatives libres. Jamais on n’aurait de Google Glass et alors ? On continuerait à conduire nos voitures, et alors ?… Evidemment, il faudrait s’attendre à perdre un peu en facilité et en fluidité au début, et il y aurait sans doute des conséquences que je n’imagine pas. Est-ce que cela nous mettrait hors du monde, hors du réseau mondial ? Pas si sûr. Le principe technique de l’internet, c’est le contournement des obstacles, il doit bien être possible de contourner Google.
Hier donc, on s’est aperçu qu’un monde sans Google était un monde possible. Monde souhaitable ou désirable, c’est une autre question. Mais au moins, c’est un monde possible. Je sais donc gré à Arnaud Montebourg d’avoir fait exister quelques heures cette petite utopie par la négative.
Xavier de la Porte
Retrouvez chaque jour de la semaine la chronique de Xavier de la Porte (@xporte) dans les Matins de France Culture dans la rubrique Ce qui nous arrive sur la toile à 8h45.
L’émission du 8 février 2014 de Place de la Toile était consacrée à la lutte des classes sur le web en compagnie du professeur de littérature Yves Citton et du professeur d’économie Yann Moulier-Boutang, à l’occasion de la parution du dernier numéro de la revue Multitudes consacrée à l’exploitation sur le web.
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Article intéressant. Mais plutôt que de penser à interdire google en France pourquoi ne pas mettre toute son énergie à créer un équivalent français voir européen à cette société américaine.
Que les données soient stockées en France ou en Europe, sinon au US ne change rien vis à vis du Patriot Act, le gouvernement américain peut accéder aux données de toute manière. Microsoft l’avait admis à mi mot à propos de sa solution Skydrive. A la limite, ça servira le gouvernement français pour y acceder plus facilement, peut être.
Qu’on ne s’y mente pas, que ça soit Google ou un autre (MS, Apple, FB…), le problème est global. Un monde sans Google, dans la même logique c’est un monde sans ceux la également.
Créer une équivalence au niveau français ou européen ne sert à rien, on y arrivera pas on a déjà essayé (Quaero par Exalead de Dassault Systèmes). Ce qu’il faut c’est donner les moyens aux petits de pouvoir devenir grand et qu’ils mettent en place eux mêmes leurs propres idées. Si la feuille de départ est « Créer un équivalent de Google », le projet est déjà voué à l’echec. En tout cas j’en ai l’intime conviction…
Je ne crois pas non plus qu’un monde sans Google soit d’une quelconque vertu, c’est une modèle de compétence et malgré les critiques à son égard a été d’une grande aide pour construire un Web de plus en plus performant. Ce que doit être capable la France, est d’investir véritablement dans les nouvelles technologies, et surtout arrêter d’injecter cet argent a Orange ou Thalès qui n’en n’ont pas besoin (souvenez vous l’histoire du Cloud Français).
Oh je ne pense pas qu’on aille sur Dailymotion à la place de Youtube, car la plate-forme n’a rien d’extraordinaire. Par contre, Vimeo met une vraie baffe à Youtube en termes de qualité et d’UX.
Puis n’oublions pas Qwant, qui est français et qui respecte la vie privée.
Sinon, je m’étais posé exactement la même question il y a quelques jours sur mon blog http://www.laurentbourrelly.com/blog/1521.php bien sûr avec une tonalité moins sérieuse que internetactu.