Réchauffement climatique : l’option technologique

WGIII_AR5_Cover_webLe dernier volet du 5e rapport du GIEC (le Groupe d’Expert intergouvernemental sur l’évolution du climat) a été publié hier, la rédaction en a parlé dans les journaux de ce matin (la tribune de Xavier de la Porte a été originellement publiée le 14 avril sur France Culture, NDE). Ce dernier volet réaffirme les conclusions de deux premiers publiés ces dernières semaines et elles sont catastrophiques. Si nous ne faisons pas d’efforts supplémentaires pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, la température pourrait s’élever ! entre 3,7° et 4,8° d’ici à 2100, avec des conséquences qu’il n’est pas la peine d’énumérer (Thomas Cluzel l’a fait tout à l’heure dans sa revue de presse internationale). Ce dernier volet du rapport est consacré à la lutte contre le changement climatique, et surtout à son insuffisance. Le résumé pour les décideurs (.pdf) qui a été rendu public hier le dit : nous sommes dans une situation où il va falloir agir très vite (il faudrait que les émissions aient chuté dès 2050, dans 35 ans) et très fort. Et pour la première fois dans un tel document, les experts du GIEC accordent une place non négligeable, parmi les solutions à envisager, aux technologies de capture et stockage du CO2 (pour le dire vite, il s’agit d’aspirer le CO2 et de le stocker sous terre pour qu’il ne pollue pas l’atmosphère). Pourquoi parler de cela dans une chronique consacrée à Internet et aux nouvelles technologies ?

Parce que l’évocation de cette solution dans un document de cette importance, même accompagnée de toutes les prudences nécessaires – les experts précisent bien que ces techniques de capture et de stockage du CO2 ne sont pas au point, et qu’il faut d’abord changer nos manières de produire, nos modes de vie, nos méthodes de construction, nos moyens de transport, etc. -, même accompagnée de toutes les prudences nécessaires donc, l’évocation de ces techniques comme une solution possible à la lutte contre le dérèglement est peut-être un changement de paradigme : et si c’était la technologie qui allait sauver la planète ?

Cette croyance a un nom : la géo-ingénierie. La géo-ingénierie est une tendance de la recherche qui vise à développer des techniques permettant de modifier le climat à grande échelle. Une tendance qu’on a vue apparaître au milieu des années 2000 quand certains scientifiques (parfois de très haut niveau) ont commencé à penser qu’on ne lutterait pas contre le dérèglement climatique avec les armes traditionnelles. Parmi ces techniques envisagées, on trouve la capture et le stockage du carbone, donc, mais aussi d’autres choses plus étranges : la fertilisation des océans (pour développer des algues permettant de stocker de grandes quantités de CO2), la pulvérisation de soufre dans l’atmosphère (qui permettrait de réduire l&r ! squo;éclairement en surface de la Terre), l’envoi dans l’espace d’écrans pour réduire les rayons du soleil, la peinture en blanc des surfaces urbanisées et même la modification de l’axe de la Terre. La géo-ingénierie, c’est l’idée que la lutte contre le dérèglement climatique passera par un changement du système de la Terre et que ce sont les technologies qui vont nous permettre d’effectuer ce changement (voir également le dossier que Rémi Sussan consacra au sujet : Géo-ingénierie, l’ultime recours ? – NDE).

Vous pensez que c’est de la science-fiction ? Eh bien, pas du tout. Des chercheurs, des laboratoires (et notamment des laboratoires militaires), mais aussi des milliardaires comme Richard Branson et Bill Gates (eh oui, le fondateur de Microsoft) et des entreprises, y croient et veulent développer ces technologies.

Pourquoi tout cela est-il inquiétant ?

  • Parce que c’est un signe. Que les experts du GIEC se réfèrent à la capture et au stockage du CO2 ne signifie pas qu’ils accréditent les théories de la géo-ingénierie. Pas du tout. Mais c’est un signe. Le signe d’un grand pessimisme quant aux solutions politiques, le signe qu’on est arrivé à un point où rien ne doit être rejeté, même les solutions les plus radicales, et les plus incertaines.
  • Parce que la plupart de ces technologies sont incertaines, non seulement dans leur possibilité, mais dans leur efficacité et dans leur conséquence. Certaines ne sont pas très compliquées et bon marché (comme la pulvérisation de soufre dans l’atmosphère). D’autres sont compliquées (changer l’axe de la Terre). Mais les conséquences de toutes sont potentiellement gigantesques, inimaginables et touchent à tous les aspects du fonctionnement terrestre.
  • Parce que la croyance en la géo-ingénierie a une grande vertu : elle est déculpabilisante et incite, paradoxalement à l’inaction. Encore une fois, ce n’est pas du tout la visée du GIEC mais certains défenseurs de la géo-ingénierie avancent qu’il est inutile de lutter contre le dérèglement climatique avec des mesures touchant à nos modes de vie parce que nous aurons bientôt les moyens d’assurer l’avenir de la planète, tout en assurant la pérennité de nos modes de vie.
  • Parce que la géo-ingénierie fait jouer à la technologie son pire rôle : l’instrument d’une toute-puissance qui s’exerce sur le monde, sur la nature, l’instrument d’un pouvoir salvateur, l’instrument d’un pouvoir de modification sur l’ordre du monde. Un vieux désir humain, un vieux rêve, dont tous les mythes et tous les récits nous ont appris qu’il était très dangereux.

Xavier de la Porte

Retrouvez chaque jour de la semaine la chronique de Xavier de la Porte (@xporte) dans les Matins de France Culture dans la rubrique Ce qui nous arrive sur la toile à 8h45.

L’émission du 19 avril 2014 de Place de la Toile (#pdlt) recevait Pierre Bellanger, le fondateur et président de Skyrock) qui vient de publier La souveraineté numérique, un livre qui propose des pistes pour assurer à la France sa souveraineté numérique.

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