De la sociabilité des objets que l’on porte

L’artiste et programmeur Noah Feehan (@akamediasystem) du New York Times Labs (@nytlabs) évoquait il y a quelques mois les « wearables sociaux », ces objets que l’on porte conçus pour favoriser les relations sociales.

Pour lui, les wearables sont presque exclusivement des enregistreurs : nous les utilisons pour enregistrer les valeurs des capteurs à une résolution que nous, humains, sommes incapables de faire. Les objets connectés qui se portent n’existent dans le monde physique que parce que les capteurs sont nécessaires, qu’ils ne sont pas encore assez petits pour complètement disparaître ou nous êtres implantés sous la peau. Mais les appareils portables ont pourtant besoin d’avoir une raison d’être pour qu’on les utilise, pour qu’on les transporte sur soi.

Or, la plupart de ces capteurs portent en eux-mêmes un malaise conceptuel diffus. L’angoisse que nous ressentons quand nous croisons quelqu’un avec des Google Glass ou une personne qui parle à son oreillette… est dû au fait que “ces objets proposent de mauvaises expériences qui se produisent lorsque la technologie permet à quelqu’un de superposer son monde sur le monde que nous avons à partager avec lui, mais sans nous laisser y participer”. Les objets connectés que l’on porte sont lus par les autres de la même manière que les autres objets que nous portons : parfum, vêtements, etc. Et la raison pour laquelle nous les portons est d’abord de rendre visible, lisible, ce que le fait des les porter exprime.

Pour Noah Feehan, les objets que l’on porte devraient être avant tout des objets qui suggèrent leur propre utilisation sociale. Ils devraient nous permettre d’ajouter des modes d’interaction plutôt que de seulement enregistrer le monde. Les objets vestimentaires sociaux sont encore rares, mais ils vont nous permettre d’améliorer nos capacités d’écoute et d’interaction. Pour lui, ils permettront à l’avenir de nous doter de 3 principaux nouveaux sens : ceux qui relèvent de la prothèse, c’est-à-dire de l’augmentation de nos sens (un appareil qui vibre si on parle trop fort) ; ceux qui relèvent de connexions profondes (un appareil qui nous rappelle à nous-mêmes… c’est-à-dire qui nous confronterait par exemple à ce que nous pensions la semaine dernière) ; et ceux qui relèvent de la radiesthésie ou de la divination (qui permettent de trouver des affinités entre soi et les autres ou entre soi et les lieux où l’on se trouve par exemple à l’image du défunt Lovegety japonais des années 2000).

tumblr_inline_n9f8moVK3t1qz6b8dDans le cadre de cette réflexion, l’équipe de R&D du New York Times a imaginé Blush, un appareil qui cherche à prendre part à nos conversations. Blush est un petit badge qui écoute les conversations autour de lui et s’allume lorsque la conversation touche des sujets qui matchent avec votre profil de recherche en ligne récent. Son but est d’inclure de manière subtile votre vie en ligne dans vos interactions réelles.

« Quand nous discutons, nous sommes constamment à envoyer des signaux au-delà des seuls mots que nous échangeons les uns avec les autres : notre posture, notre recherche de contact visuel, nos gestes et d’autres facteurs se combinent pour ajouter une énorme quantité de contexte à ce dont nous parlons”. Blush a la même finalité : ajouter une couche d’information à la conversation pour augmenter ce dont nous parlons.

Bien sûr, le prototype est encore imparfait. Les informations que Blush signale peuvent être mal interprétées. Cela peut indiquer à l’autre qu’on connait déjà le sujet et qu’il nous ennuie, ou qu’il aborde enfin quelque chose qui nous intéresse. L’outil n’est pas non plus sans poser des problèmes de confidentialité… Voulez-vous vraiment que votre auditoire sache que vous êtes intéressé par des informations sur « PHP pour les nuls » ? Mais ce n’est pour l’instant encore qu’un prototype, qu’une preuve de concept qui vise à explorer une autre voie pour les technologies qui se portent, afin qu’elles ne soient pas seulement des capteurs et enregistreur du monde, mais également qu’elles dévoilent des choses de nous.

Hubert Guillaud

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