La science citoyenne à l’assaut des étoiles

Si aujourd’hui tout le monde parle de la sonde Rosetta et de son robot Philae, premier artefact humain à atterrir sur une comète, ce n’est pourtant pas la première mission consacrée à ces objets célestes. Lancé en 1978, l’ISEE-3 s’est également penché sur ces phénomènes, bien que ce n’était pas sa mission première. Mais surtout, l’histoire de l’ISEE-3 est une illustration de la montée en puissance de la citizen science.

Résurrection dans l’espace

Lancée en 1978 (une époque préhistorique en terme de haute technologie), la première mission de l’ISEE-3 consistait à examiner les « vents solaires » parcourant notre système stellaire. Mais dès le début des années 1980, il connaît son premier « piratage ». C’est l’époque où la comète de Halley passe par chez nous. Cela intéresse toutes les agences spatiales, les Russes, les Européennes… Toutes, sauf la NASA, qui estime qu’une mission d’observation de Halley coûterait trop cher. C’est là que Bob Farquhar et son équipe, en charge de l’ISEE-3, découvrent que la sonde croise une petite comète, 21P/Giacobini-Zinner, et pourrait constituer un bon poste d’observation. Farquhar va alors « emprunter » la sonde pour lui permettre d’étudier successivement cet objet céleste, puis en 1986, Halley elle-même. A partir de là, ISEE-3 sera surnommé International Cometary Explorer (ICE).

Après ces succès, l’ISEE-3 est pourtant retombé dans l’oubli, et la NASA cessa bientôt complètement de s’y intéresser. L’engin est pourtant encore opérationnel. Le dernier contact entre la NASA et ISEE-3 eut lieu en 2008, et l’agence spatiale découvrit à l’occasion que 12 des 13 instruments d’observation étaient encore en fonction. Rien n’interdisait de ressusciter ISEE-3.
Mais ce n’était pas si facile. L’engin était vieux et la NASA n’avait pas envie de consacrer beaucoup de temps (et d’argent) à cette renaissance.

ByF3ifmIQAApker.jpg largeC’est ici qu’entre en jeu les « scientifiques citoyens ». La NASA signa un accord avec un groupe d’amateurs, leur permettant de reprendre le contrôle sur l’ISEE-3. Ce groupe, le « projet Reboot« , était mené par Keith Cowing et Dennis Wingo. Cowing est connu pour son blog, Nasa Watch, pas toujours tendre avec cette agence (pour laquelle il a travaillé). Cowing a auparavant lancé le Lunar Orbiter Image Recovery Project qui consiste à réexaminer les photographies prises dans les années 60 par des sondes orbitales lunaires.

Reste à trouver l’argent. Pour cela, l’équipe du Reboot recourt au site de crowdfunding RocketHub et réussit en un temps record à ramasser 160 000 dollars.

L’opération de résurrection n’est pas forcément toujours aisée. ISEE-3 n’a pas d’ordinateur de bord ; à l’époque, tout se faisait de manière « hardware », et le matériel utilisé pour piloter la sonde était désormais inexistant.

« Nous avons fouillé des unités de stockage à la recherche des documents qui avaient été enregistrés depuis 30 ans, explique Cowing. Nous avons découvert les commandes et nous avons trouvé des personnes capables d’écrire des programmes susceptibles d’émuler le matériel qui avait été jeté à la poubelle. C’était une sorte de mystère à résoudre, aller dans le sens inverse, remonter le temps et ressusciter les données. Nous appelons cela de la techno-archéologie ».

Puis, utilisant le radiotélescope d’Arecibo à Puerto Rico, les « techno-archéologues » reprennent le contrôle de la sonde et se montrent en mesure de recueillir un ensemble de données placées, avec l’aide de Google, à disposition du public, sous la forme d’une « chrome experiment » pour visualiser les infos recueillies.
Le conte de fées n’a hélas pas duré. En septembre 2014, ISEE-3 n’a plus donné de nouvelles ; il est entré probablement dans ce qu’on appelle le mode « safe ». Il n’est pas sûr qu’on ne puisse jamais le réutiliser, mais le contraire n’est pas établi non plus.

Le crowdfunding, une solution pour l’exploration spatiale ?

Malgré ce demi-échec, l’aventure de l’ISEE-3 regorge d’enseignements sur l’avenir de la conquête spatiale. On pouvait penser que l’espace était une technologie beaucoup trop onéreuse pour être accessible aux amateurs. Pourtant, c’est dans ce domaine que la « citizen science » s’est d’abord épanouie avec le fameux projet seti@home des années 2000, la première véritable application « peer to peer ». Mais jusqu’ici, la plupart des projets comme Galaxy Zoo, consistait essentiellement à analyser des données proposées par les agences officielles. L’affaire de l’ISEE-3 a permis à des techno-archéologues de prendre le contrôle d’un engin spatial. C’est la démonstration qu’une coopération entre les organismes d’Etat et les amateurs pourrait être une solution d’avenir pour l’exploration spatiale.

Une autre leçon est la puissance du crowdfunding. Ce phénomène, est souligné par un récent rapport de la NASA (.pdf) sur l’avenir de l’exploration spatiale. Comme le note Cowing, le projet Reboot y est mentionné à la seconde place pour le crowdfunding des projets spatiaux. Le premier, qui a ramassé plus d’un million de dollars est celui de Planetary Resources (Planetary Resources est une société qui vise à exploiter les astéroïdes où l’on trouve parmi les investisseurs ou les conseillers, les noms de Larry Page de Google ou James Cameron, le réalisateur). Il s’agit d’Arkyd, un télescope orbital consacré à l’observation des astéroïdes et mis à la disposition du public. Le projet précédent de Cowing, sur le Lunar Orbiter, avait quant à lui obtenu 56 000 $ ce qui, lorsqu’on additionne cette somme à celle récoltée par le projet Reboot, donne la coquette somme de 222 000 $.

Mais le crowdfunding peut-il être vraiment une solution pour des projets importants comme la conquête spatiale ? Dans un article publié dans Air&Space, l’auteur, Zach Rosenberg, s’est interrogé sur le secret qui se cachait derrière ce genre de succès. Car si Planetary Resources ou le projet Reboot ont largement réussi à se financer, ce n’est pas le cas par exemple de Golden Spike qui voulait relancer l’exploration humaine sur la Lune et ne demandait « que » 240 000 $ (il n’en a obtenu que le dixième).

Pour Rosenberg la réponse est la communication et les réseaux sociaux. Il cite notamment une étude sur le crowdfunding scientifique (.pdf) qui établit que les « like » sur Facebook joueraient un plus grand rôle que la couverture médiatique, d’où l’importance de multiplier les « like » de la famille et des amis au début du projet. La communication tous azimuts est également importante. Le fait que Cowing ait déjà été un blogueur influent avec son Nasa Watch a joué un rôle. Mais surtout, Cowing a continué à assurer son rôle de communicateur pendant les travaux. Il l’affirme dans Air&Space :
« J’ai live-tweeté ce que nous avons fait. Je retransmettais toutes les expressions geeks qui étaient dites dans la salle de contrôle et les gens me disaient avoir des difficultés pour aller travailler, ou sautaient leur classe, parce qu’ils restaient assis dans le métro à lire les tweets sur leur téléphone. »

« La majeure partie des personnes qui vous donne de l’argent ne comprend pas exactement ce que vous êtes en train de faire », continue Cowing. Mais le succès vient « si vous racontez une histoire convaincante, présentez cela comme une aventure, mais aussi si vous offrez une opportunité de gains qui semble importante pour les gens, notamment s’il y a quelque chose pour eux à apprendre. »

Toujours selon Rosenberg, les « récompenses » ont une importance réelle dans le choix des micro-investisseurs : « Par exemple, pour 25 $, Arkyd s’engage à afficher votre image sur un écran à l’extérieur du télescope en orbite, et vous envoyer une photo de cette image en guise de preuve. Golden Spike, en comparaison, vous propose de vous inscrire à leur liste de diffusion. »

Sans doute. Le naïf que je suis voit tout de même une autre raison à ces échecs ou ces réussites, et c’est la crédibilité. Demander un million de dollars pour un télescope spatial, ou 160 000 pour prendre le contrôle d’un vieux satellite, ça me paraît raisonnable. Mendier 240 000 euros pour renvoyer un être humain sur la lune, ça me fait quand même doucement rigoler…

Y aura-t-il d’autres appareils susceptibles d’être « ressuscités » par des amateurs ? Dans l’attente la collaboration entre la NASA et les hackers continue à s’approfondir. Tout récemment la NASA a également mis le code source de la mission Apollo à disposition du public. Voilà qui devrait plaire à Chia Evers et aux préservationistes logiciels du Long Now !

Et le Space College, qui abrite le projet Reboot, continue à investir dans différents projets…

Rémi Sussan

À lire aussi sur internetactu.net