Dans un monde de smartphones, les gadgets doivent s’adapter

De retour du Consumer Electronics Show (CES), ce salon de l’électronique grand public qui met en avant, comme chaque année, une foison de nouveaux appareils, l’éditorialiste Farhad Manjoo (@fmanjoo) livre une intéressante tribune au New York Times. Certes, le CES est plus que jamais la grande foire des gadgets électroniques. Mais à l’heure où les smartphones sont devenus omniprésents, le succès de ceux-ci dépend de plus en plus des smartphones et les relègue de plus en plus dans des applications qui tendent à éclipser la matérialité même des dispositifs électroniques. Les appareils photo (Instagram) comme les systèmes de transports (Uber, Lyft) ou de paiements (Apple Pay) sont devenus des applications qui créent des expériences qui n’auraient pas été possibles avec les équipements électroniques d’antan. La leçon a en tirer pour les sociétés d’électronique grand public, estime Manjoo est que « l’avenir de la technologie ne repose plus dans du matériel flashy et puissant, mais dans des services activés par un logiciel intelligent ».

Pour John MacFarlane, directeur général de Sonos, l’entreprise qui fabrique des haut-parleurs connectés, « aujourd’hui, ce que chaque client attend est que leur appareil soit une plate-forme », c’est-à-dire que le matériel sache évoluer au fur et à mesure des mises à jour logicielles. Sonos, fondé en 2002, a été l’une des premières startups du matériel à concevoir ses produits de cette façon. En 2005, quand elle a commercialisé son premier système d’enceintes connectées, Sonos livrait une télécommande avec écran tactile pour le piloter et envisageait qu’il soit pilotable via un simple téléphone, alors même que ni l’iPhone ni l’iPad n’existaient. Sonos avait compris que le coeur de son système reposait sur son évolution permanente et donc sur la mise à jour logicielle. C’est ainsi qu’avec les années, les enceintes de Sonos se sont dotées de nouveaux pouvoirs. Elles peuvent désormais être contrôlées via une application, jouer de la musique provenant des systèmes de streaming musicaux les plus récents, se connecter à des systèmes domotiques permettant par exemple que votre enceinte vous lise le temps qu’il fait en la connectant au service adapté, via son logiciel. « Plus vos enceintes vieillissent et plus elles semblent capables de faire des choses nouvelles ».

Si Sonos a été un pionnier, nombre de sociétés de l’électronique grand public ont marché dans ses pas. Manjoo évoque le thermostat Nest, le système de vidéo surveillance domestique Dropcam, ou encore les bracelets de fitness de Fitbit et Jawbone.

Benedict Evans (@benedictevans), analyste à la société de capital-risque Andreessen Horowitz, souligne que ces nouveaux appareils n’auraient pas été possibles sans l’essor des smartphones. Non seulement parce que les applications sont devenues l’interface de ces gadgets, mais parce que l’essor de l’industrie du smartphone a fait considérablement baisser le prix des composants qui équipent ces objets.

Le problème de ces gadgets est de continuer à avoir de l’avance sur les smartphones qui ne cessent de se doter de nouvelles capacités qui concurrencent directement ces objets. Les bracelets capteurs de pas et d’activité sont ainsi directement concurrencés par les nouvelles capacités des téléphones et des applications qui utilisent les derniers capteurs matériels présents dans ces téléphones pour proposer le même service. C’est à cause de ce risque que les fabricants de gadgets doivent penser leurs objets comme des plateformes logicielles, estime Manjoo. Comme le soulignait une autre journaliste du NYTimes, Molly Wood, nombre d’entreprises présentes au CES se concentrent pour intégrer leurs appareils dans des systèmes connectés. Le financement des startups en 2014 suit la même tendance de concentration, souligne le magazine Quartz : plus d’argent va à moins de startups. Cela risque de prendre encore un peu de temps pour que n’importe quel appareil puisse se connecter à un autre, mais le salut des concepteurs de gadgets réside dans le logiciel, conclut Manjoo.

Mais est-ce si simple ?

Certes, désormais tout le monde peut créer des appareils, comme nous l’ont montré le mouvement Makers et l’essor des startups matérielles. Reste que l’intégration logicielle, elle, est plus complexe à réussir. Or, quand Manjoo dit aux concepteurs d’électronique qu’il faut pouvoir devenir plateforme, cela signifie qu’il faut être capable de développer des logiciels et des interfaces de programmation qui soient aussi voir plus réussis que ceux que développent les plus importants acteurs de cette industrie.

Le logiciel de Spotify et ces appsReprenons l’exemple de Sonos. Si le matériel de Sonos est très efficace, force est de constater que leur évolution logicielle, elle, souffre un peu. Certes, Sonos permet d’interfacer ses enceintes avec une grande variété de logiciels d’écoutes, mais via son propre logiciel et ses propres applications, qui eux, ne sont pas un modèle de fluidité. Pour écouter sa musique provenant de Spotify sur les enceintes Sonos, il faut passer par le logiciel de Sonos ce qui vous coupe de nombreuses fonctionnalités disponibles sur le logiciel de Spotify (fonctionnalités sociales, applications développées par Spotify autour de « sa » plateforme, capacités de recherches et de classements…). Certes, Sonos vous permet d’utiliser plusieurs logiciels extérieurs, mais on voit vite que son évolution est entièrement liée à ses capacités d’évolution logicielles, à ses capacités à intégrer des interfaces de programmation (API) de multiples systèmes d’écoutes. Le risque bien sûr, est que Spotify ou Deezer, les grands acteurs du logiciel d’écoute en streaming, se mettent à proposer des systèmes logiciels plus évolués, plus rapidement et plus efficacement, permettant d’être disponibles sur n’importe quels matériels. Et c’est bien ce qui est en train de se passer par exemple avec Spotify Connect.

Le logiciel de SonosLa différence entre l’un et l’autre, c’est que Spotify fait la course vers l’intégration de fonctionnalités toujours plus variées et riches pour son service (notamment via les interfaces de programmation d’EchoNest, le système de recommandation musical que Spotify a racheté, permettant de développer une multitude d’applications musicales, cf. « Spotify possède 6 ans de mes données musicales, mais ne comprend toujours pas mes goûts (enfin pour l’instant) »), alors que Sonos fait la course vers l’intégration d’une plus grande variété de services, mais avec des fonctionnalités réduites pour chacun. La course est inégale. Spotify compte quelques 2000 employés pour beaucoup dédiés à l’intégration logicielle, quand Sonos en compte moins de 300 pour l’essentiel dédié à la conception matérielle. Les plateformes des uns ne sont pas les plateformes des autres. Et celles qui réussissent le plus sont toujours celles qui ont le potentiel de toucher le plus d’utilisateurs.

Pas sûr donc que l’avenir de tous les développeurs de gadget soit de devenir plateforme. Par contre, il semble certain que pour survivre, il leur faudra soit développer des logiciels plus séduisants, plus intégrants (en fonctionnalités tierces) et intuitifs que leurs plus gros concurrents soit s’en faire des partenaires – à défaut d’être racheté.

Hubert Guillaud

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