Selfdata : quels services pour quels usages ?

« Que se passerait-il si, demain, les organisations partageaient les don­nées personnelles qu’elles détiennent avec les individus qu’elles concernent, pour qu’ils en fassent… ce qui a du sens pour eux ? Quels usages, quelles connaissances, quels services, quels risques aussi, pourraient émerger si les individus disposaient, non seulement du contrôle, mais de l’usage de ces données ? »

Ces questions, à l’origine du programme d’expérimentation MesInfos (@Expe_MesInfos) de la Fing, lancé en 2014, font toujours sens, parce qu’elles évoquent notre mise en capacité à agir avec des données, que, trop souvent, les grands acteurs collectent par devers nous, sans nous offrir de grands moyens d’action sur elles. C’est tout l’enjeu du programme Mesinfos : explorer des idées de services, de valeurs et d’usages du « retour » des données personnelles aux individus.

La Fing vient de publier le bilan de ces 2 ans d’expérimentation dans un livret qui rappelle, les enjeux, les pistes, revient en détail sur l’expérimentation elle-même, met en lumière les perspectives et les défis de ce qu’elle a appelé, le « selfdata« . A cette occasion, nous avons voulu vous faire partager la matière même de ce programme, c’est-à-dire les services imaginés par cette expérimentation, car ils permettent de saisir très concrètement ce que le selfdata déplace : faire des données de chacun le coeur d’une relation entre individus et organisations, pour que cette relation soit basée sur la confiance plutôt que sur la prédation. – Hubert Guillaud

Quels bénéfices les utilisateurs peuvent-ils tirer de leurs propres données ? Quels usages, quelles connaissances, quels services, quels risques aussi, pourraient émerger d’une telle transformation du pay­sage ? Au travers des projets, des réflexions, des expérimentations menées dans le monde, les contours du nouvel “écosystème des données personnelles” piloté par les individus commencent à se dessiner.

Depuis plusieurs années, des services proposent à leurs uti­lisateurs de faciliter la gestion et la protection de certaines de leurs données person­nelles. Et parfois, même, d’en tirer d’autres bénéfices pratiques. Dans la mesure où la plupart des informations demeurent enfermées dans les bases de données des en­treprises, sans partage avec les individus, ces services apparaissent souvent isolés, très spécialisés, et complexes d’utilisation puisqu’ils de­mandent un certain travail à l’utilisateur.

Ces services “pionniers” nous fournissent cependant des premières indications sur la nature des usages qui pour­raient émerger si, demain, les entreprises et les admi­nistrations partageaient les données dont elles disposent avec les individus qu’elles concernent. Les services imaginés durant l’expérimen­tation (plus d’une cinquan­taine de concepts de services scénarisés ainsi qu’une quin­zaine de prototypes) ouvrent aussi d’autres perspec­tives. On peut ainsi classer ces services dans 7 grands domaines d’usage :

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Image : les 7 grands domains d’usage du Selfdata.

1. Gestion : administrer son quotidien et ses informations

“J’accède à tout moment et en tout lieu à mes papiers, factures, contrats, garanties, historiques… Je m’en sers, par exemple, pour fournir une preuve d’achat, prouver un droit ou simplement, me faciliter la vie.”

Un espace sécurisé pour conserver, administrer et visualiser ses données
La première fonction indispensable, mais non suffisante, consiste à faciliter la récu­pération, l’entrée, la capture ou le scan d’informations et de documents, puis leur archivage, leur classement, leur visuali­sation simple, dans un espace fortement sécurisé.

Les “entrepôts personnels de données” (personal datastores), les coffres-forts numériques, et autres “clouds personnels” fournissent ce service de premier niveau. Ils forment l’équivalent des classeurs, boîtes d’archives, dossiers suspendus et carnets d’adresses que nous connaiss(i)ons bien, à ceci près qu’il devient possible de rapprocher des informations qui existaient auparavant dans des univers très diffé­rents : nos photos, par exemple, avec nos papiers administratifs ou nos factures.

L’objectif consiste aussi à permettre aux utilisateurs de retrouver le contrôle de “leurs” contenus sans se placer dans la dépendance de grandes plates-formes. Aujourd’hui, les livres, les films, la musique “achetés” sur de nombreuses plates-formes en ligne le sont sous la forme de licences d’utilisation : dans bien des cas, rompre le contrat avec les plates-formes concernées signifie perdre l’accès à ces contenus. Il peut en aller de même avec les photos, les vidéos, les textes que l’on a soi-même publiés sur un réseau social ou une autre plate-forme. Réunir ces docu­ments sur une plate-forme placée sous le contrôle de l’individu, dans des formats qui en permettent la récupération locale et la portabilité, permettrait de retrouver la maîtrise durable des contenus acquis ou produits par chaque individu. Les services proposés prennent déjà plusieurs formes différentes :

↪ Les coffres-forts numériques – les acteurs Français dans ce domaine ont créé une association – se positionnent sur la gestion du quoti­dien. Ils rassemblent dans un seul et même espace les documents admi­nistratifs du foyer, les contrats, les factures… Ils les organisent et les archivent de façon structurée, et pro­posent des services supplémentaires : récupération automatique de factures auprès des fournisseurs, visualisation des dépenses, etc.

↪ De leur côté, les “Personal Datas­tores” (PDS) permettent de stocker, mais aussi de partager les données de manière sécurisée avec les personnes morales ou physiques de son choix. Ce sont des services qui restent concentrés sur les données et peuvent être spécia­lisés sur un domaine : documents admi­nistratifs, données de santé, etc.

Certaines PDS administrent tout type de données. En Grande-Bretagne, Mydex offre par exemple un espace personnel de stockage, d’organisation et de partage de données personnelles de manière cryptée et sécurisée. Les utilisateurs pourront choisir les données qu’ils souhaitent partager, avec qui ils les partagent – par exemple une entreprise – et la durée de ce partage (pour aussi longtemps qu’ils le désirent). Aux Etats-Unis, Personal offre le même type de service. D’autres plates-formes sont plus spécialisées : CareSync (US), est un espace de stockage, d’orga­nisation des données de santé, et propose de les partager avec ses proches et/ou ses médecins pour un meilleur suivi.

↪ Le “Cloud Personnel” permet égale­ment le stockage mais se focalise sur l’utilisation des données à travers des applications. Il permet ainsi le stockage et l’administration de données quelles qu’elles soient, en y ajoutant, selon les offres, un certain nombre de fonctions : archivage durable, gestion d’identités numériques, environnement sécurisé d’installation et d’exécution d’applica­tions tierces…

La start-up CozyCloud propose une plate-forme de “Cloud Personnel”. Chaque individu peut disposer d’un “Cozy”, c’est-à-dire un serveur personnel avec sa base de données. Celui-ci peut être hébergé chez un prestataire – chez OVH, en France – ou encore chez soi, par exemple sur un Rasp­berry Pi. On accède dans tous les cas à son espace personnel via son nom de domaine (nom-prenom.cozycloud.cc).

On peut alors y stocker ses données, et y installer des applications internes – qui permettront d’administrer et de synchro­niser ses dossiers (factures, documents, musiques, etc), ses photos, ses contacts, son calendrier – mais aussi des applications tierces, qui offriront des services issus du croisement de ces données.

Mais ces différences sont loin d’être sta­bilisées. Les coffres-forts et les PDS com­mencent à proposer des services basés sur les données qu’ils stockent (Mydex met à la disposition des développeurs une API ouverte) ; les capacités de partage sur les Cloud Personnel vont en s’améliorant…

“Respect Network”
La sécurité en termes de stockage et surtout de partage des données est au coeur de ces services, qui proposent d’en être les “gardiens”. Mydex, Personal, CozyCloud et d’autres sont ainsi membres du “Respect Network”, premier réseau de confiance sur les données personnelles, qui comprend :

  • un réseau de “Cloud Personnel” ;
  • un protocole qui sécurise le partage des données ;
  • une plate-forme d’applications ;
  • une charte, “Respect Trust Framework”, qui détaille les principes du stockage et du partage des données personnelles.

Faciliter son quotidien
De plus en plus d’applications font la promesse de l’analyse des données per­sonnelles, pour simplifier ce quotidien.

↪ Des assistants personnels numé­riques se basent sur le croisement de données issues de sources et d’appli­cations diverses (calendrier, contacts, mails, géolocalisation) pour fournir des recommandations, des rappels, effectuer des actions en s’intéressant au “360°” du quotidien de l’individu.…

Google Now, Sher.pa, sont des exemples d’assistants personnels. Au quotidien, cela se traduit par une gestion des ren­dez-vous et des déplacements, le service allant chercher les informations dans les calendriers, les emails, et les croisant avec la géolocalisation, les données ouvertes de cartographie, de circulation… L’utilisateur est ainsi prévenu de l’approche d’un ren­dez-vous par une alarme, et une heure de départ ainsi qu’un itinéraire pour y arriver à temps lui sont proposés.

On notera qu’à l’évidence, ces services peuvent à la fois présenter une forte utilité, et un fort risque pour la vie privée des utili­sateurs, s’ils permettent à une plate-forme tierce de prendre connaissance de toutes les informations qu’ils manipulent. On mesure ici tout l’intérêt d’environnements tels que le “cloud personnel” : les croise­ments de données s’effectuent à l’inté­rieur d’un espace numérique privé.

↪ D’autres services sont plus ciblés sur un domaine, une action particu­lière du quotidien comme l’entretien de sa voiture (Fuse, aux Etats-Unis) ou ses achats alimentaires avec Skerou ou Purchease, qui scannent les tickets de caisse, les sauvegardent et les inter­prètent pour aider à préparer ses futures courses.

↪ Des services/outils de gestion des finances personnelles (Personal Finance Managers ou “PFM”), per­mettent de disposer d’une vision consolidée de ses finances. Mint (Etats-Unis) et Bankin’ (France), proposent à leurs utilisateurs de récupé­rer automatiquement les relevés de leurs comptes dans différentes banques afin de leur fournir une analyse de leurs dépenses, de leur notifier les dépassements de “seuils de sécurité”, d’évaluer la pertinence de leur épargne…

Rassembler les traces de ses activités et de ses compétences, valoriser des compétences (e-Portfolio)
Nos parcours professionnels sont de moins en moins linéaires. Chacun d’entre nous devra constamment acquérir de nouvelles compétences, s’adapter à de nouveaux contextes, travailler avec de nouveaux partenaires, passer de projet en projet, changer de métier ou en exercer plusieurs à la fois. Formation et travail deviennent de moins en moins disso­ciables. Le concept d’ePortfolio vise à adapter les formes d’analyse et de présentation des compétences individuelles à la réalité contemporaine des trajectoires professionnelles.

L’ePortfolio se définit comme “un dispositif facilitant l’apprentissage réflexif en per­mettant à une personne de collecter, d’organiser et de publier une sélection de traces de ses apprentissages, pour faire reconnaître, voire valoriser, ses acquis et planifier ses appren­tissages futurs.” Il s’agit d’exploiter les capacités de l’informatique et des réseaux pour mettre les individus en capacité de valoriser et d’enrichir leur capital intellectuel, profes­sionnel, social et culturel, tout au long de leur vie. Les fonctions du ePortfolio associent étroitement la collecte et l’agrégation d’informations, leur analyse réflexive, et la présenta­tion contrôlée des facettes de l’individu qui lui sembleront les mieux adaptées à un contexte donné : un CV, une plaquette, une bio dans un site communautaire…

Mint

  • Promesse : “Gérez mieux votre argent”.
  • Porteur(s) : Intuit, Etats-Unis.
  • Données utilisées : Données bancaires.
  • Domaine d’usage : Gestion.

Description : Mint se connecte aux comptes clients de ses utilisateurs pour centraliser leurs données bancaires, caté­goriser leurs transactions, et offrir une visualisation des postes de dépense, par détail ou catégorie. Plusieurs comptes peuvent être connectés à une même inter­face afin d’offrir une vision panoramique aux utilisateurs et leur permettre de suivre leurs investissements (comptes retraite, épargne…), leurs habitudes de dépenses (comptes courants) et de créer facilement un budget.

Mint analyse également les données pour lancer des alertes en cas de dépassement du budget, de facture à payer, de transac­tions suspicieuses et de frais supplémen­taires lors du retrait de liquide.

Garantbox

  • Promesse : “Reprenez le contrôle sur vos garanties”.
  • Porteur(s) : Pierre-Edouard Barrault, Kévin Béchu, Karim Ennassiri et Camille Leblond.
  • Données utilisées : Tickets de caisse. Ecriture bancaire.
  • Domaine d’usage : Gestion et Contribution.

Description : GarantBox centralise toutes les garanties sur ses achats, et propose une panoplie d’outils destinés à guider ses choix d’achats futurs.

L’application permet de “ranger” automatiquement les modalités de garantie lors d’un achat, et prévient l’utilisateur lorsque celle-ci arrive à terme. En cas de problème avec un produit déjà acheté, GarantBox permet à l’utilisateur d’avoir accès en un clic à ses condi­tions de garanties. Le service permet également à l’utilisateur d’y contribuer en évaluant produits et garanties des constructeurs et distributeurs, afin que le plus grand nombre en bénéficie.

2. Contrôle : maîtriser ses identités numériques et ses données personnelles

“Je veux savoir qui sait quoi sur moi, qui a accès à mes données et qui en fait quoi. Je veux aussi jongler entre mes différentes identités simplement et en toute sécurité, prouver que j’ai des droits sans dévoiler qui je suis, ne pas avoir à re-rentrer la même information pour la 1000e fois…”

Donner aux individus le pouvoir de tirer des bénéfices personnels des données qui les concernent peut difficilement se concevoir sans contrôler ce que d’autres font de ces données. Un ensemble de services et de concepts émergent, qui marient étroitement plusieurs préoccupations : sécurité, maîtrise de ses données, mais aussi commodité.

Qui sait quoi sur moi ?
Des applications permettent à l’utilisateur d’être alerté de l’utilisation de ses données personnelles par une entreprise ou applica­tion tierce.
↪ Des services tels que Privowny per­mettent de savoir quelles données les services en ligne obtiennent de nous, que ce soit de manière explicite (for­mulaires) ou non (cookies).

Gérer ses comptes et ses identités numériques
Conservation sécurisée de ses identi­fiants/mots de passe, single sign-on… Des services cherchent à faciliter la gestion de ses multiples identifiants et codes d’accès, sans pour autant les confier à des tiers, des “cercles de confiance” ou des plates-formes telles que Facebook (dont le système Facebook Connect est utilisé par des dizaines de millions d’applications et de sites extérieurs à Facebook).

↪ Identités fédératives et sécurisées
Le projet britannique Midata est étroite­ment associé aux actions du gouvernement et de certaines entreprises britanniques en matière d’Identity Assurance, qui visent à fournir des moyens solides et communs pour valider l’identité (ou a minima les droits) d’un individu ou d’une organisation lors d’une transaction numérique. Une or­ganisation aura par exemple besoin d’être certaine de l’identité d’un individu qui lui demanderait d’accéder aux données per­sonnelles dont elle dispose sur lui.

Dans le cas de services complexes, qui font appel à plusieurs organisations indé­pendantes, il peut s’avérer nécessaire de “faire passer” des certificats d’identité d’un interlocuteur à un autre. Se pose alors la question, d’une part, des standards qui permettront à de nombreux individus et organisations d’échanger des certificats et d’autre part, de la transparence de ces pro­cessus pour les individus concernés.

Afin d’alléger la tâche de l’utilisateur dans la gestion de ses données, une délégation de droits peut être mise en place. Il s’agit de donner à un service le pouvoir d’oc­troyer des droits sur les données à d’autres services (dans les limites fixées par l’utili­sateur).

Dans le cas de France Connect – le système de fédération d’identité de l’Etat français – l’usager a la possibilité de se connecter à une administration qui ne le connaît pas sans créer de nouveau compte. A terme, le service des impôts pourra autoriser le service de la CAF à accéder à l’information “revenu fiscal”, afin que les échanges de données entre administrations facilitent le travail des agents et des usagers.

Propulsé par des acteurs publics et privés, Idenum a pour objectif de faciliter l’authen­tification de ses utilisateurs sur des sites partenaires via le bouton Idenum Connect. Seuls les émetteurs d’identité (La Poste, SFR et Les huissiers de Justice) peuvent délivrer une identité numérique, soit après une rencontre en face à face, avec présen­tation de pièce d’identité, soit à distance, dans le cas où l’utilisateur est déjà client d’un de ces trois émetteurs.

↪ Pré-remplissage de formulaires
Plusieurs navigateurs web et quelques services spécialisés aident les utilisa­teurs à remplir automatiquement des formulaires, sur la base de leurs données – stockées localement -, pour en finir avec le remplissage répétitif des mêmes infor­mations dans divers formulaires. Au-delà de leurs bénéfices en termes de commo­dité, ces services peuvent se marier avec d’autres fonctions destinées à contrôler les données transmises ou non…

↪ Identités spécialisées ou jetables
Il est souvent indispensable de pouvoir se créer des “identités” multiples, durables ou non, pour gérer de manière étanche ses relations avec différents interlocu­teurs, ou son existence publique dans ces cercles différents. Plusieurs services permettent ainsi de se créer des adresses e-mail dédiées aux relations avec un site particulier, ce qui permet à la fois de gérer ses messages, de vérifier si le site transmet l’adresse à d’autres ou encore, d’interrompre toute relation avec un site sans devoir changer d’adresse… Au-delà, la gestion par l’individu de ses différentes identités numériques publiques permet d’explorer des formes d’“hétéronymat”, c’est-à-dire de pseudonymes durables, disposant de leur vie propre sur un ou plusieurs sites, porteurs de confiance, et pourtant dissociés de l’identité civile de de celui ou celles qui les ont créés.

Privowny propose également aux utili­sateurs de substituer une adresse email par un email unique Privowny jetable, généré exclusivement pour le site visité. Les uti­lisateurs peuvent savoir avec certitude si leur adresse mail a été utilisée à des fins de prospection, et par qui.

Simplifier et contrôler les échanges d’informations personnelles
Certains concepts de services et outils visent à la fois à permettre aux individus de choisir quelles informations ils transmettront ou non à des tiers qui les leur demandent, et à leur faciliter la tâche lorsqu’ils font le choix de partager des informations :
↪ Négociation et contrôle des données transmises à des tiers
Plusieurs outils et standards – comme les infocards – ont été proposés dans le but de normaliser le dialogue entre un individu et un service qui souhaite obtenir des données de sa part – sans grand succès pour l’instant, faute d’adoption de la part des organisations.

Les promoteurs du concept de VRM (Vendor Relationship Management) vont plus loin, en imaginant que ce serait demain aux organisations qui réclament des données de signer (numériquement) la “charte d’utilisation” des données que l’individu leur propose, plutôt que l’inverse. Ces services n’existent pas encore, en revanche quelques-uns permettent de reprendre un certain contrôle sur les conditions générales d’utilisation (CGU) des sites et des “apps”.

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Image : Myterms de Mary Hodder est un exemple de travail proposé par le Respect Network autour des Conditions générales d’utilisation des données de l’individu permettant de spécifier le niveau de partage, la durée, le but et la possibilité de suivi ou non.

Des applications comme Paranoid Paul ou CitizenMe permettent de suivre les mentions légales des applications instal­lées sur nos téléphones, d’alerter l’utilisa­teur lorsqu’elles changent et de modifier facilement nos paramètres si ces mentions légales nous paraissent dommageables. D’autres services, comme Term Of Service, Didn’t Read (TOSDR), décryptent et font des résumés des CGU, pour faciliter l’impossible travail des internautes dans la lecture de celles-ci.

↪ Effacement, correction de ses données
Si le “droit d’accès et de rectification” existe, il reste souvent difficile à appli­quer. Quant au droit à l’oubli, établi par la Cour européenne en mai 2014, il permet aux citoyens européens de demander à Google la désindexation d’un contenu qui les concerne, mais il reste à la discrétion de l’entreprise américaine de déterminer si ces requêtes sont légitimes ou non.

Des services et des intermédiaires se pro­posent d’aider les individus à mettre en oeuvre ces effacements, corrections, en agissant comme leurs représentants et en allant chercher le plus loin possible les données répliquées un peu partout sur internet. D’une certaine manière, certains services de gestion de l’“e-réputation” comme Naymz vont dans le même sens. Des services comme Garlik vont plus loin et proposent à la fois de scanner et rassem­bler ses données éparpillées en ligne (Data Patrol) et d’alerter en cas d’usage abusif de données ou d’usurpation (Garlik Angel).

↪ Prouver quelque chose sans avoir à dévoiler son identité : authentification sans identification
Dans de nombreux cas de la vie courante, l’affirmation d’un état ou d’un droit ne nécessite pas d’indiquer également son identité : “j’ai plus de 18 ans”, “j’ai le permis de conduire”, “je suis bien le déten­teur de tel moyen de paiement”. On peut ainsi avoir besoin de certifier la véracité ou l’authenticité d’une assertion, d’une contribution, d’une compétence…

C’est une forme de contrôle symétrique à la précédente : s’il est possible d’effacer ou de rectifier ses contributions, commen­taires, compétences sur internet, il pourrait également être possible de prouver que l’on en est bien l’auteur ou le détenteur.

Comment alors séparer l’authentification (valider l’authenticité d’une assertion) de l’identification (connaître l’identité d’une personne ou d’une entité) ? Le concept de service “l’Identité Augmentée” présenté ci-dessous offre une piste de réponse.

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  • Promesse : “Contrôlez votre vie privée”.
  • Porteur(s) : Privowny.
  • Données utilisées : Navigation.
  • Domaine d’usage : Contrôle.

Description : Privowny est un module d’ex­tension qui s’intègre au navigateur web pour collecter, sauvegarder et contrôler ses traces numériques dans une base de données personnelle.

Il devient facile et automatique de récupé­rer ses traces numériques et de les stocker, mais le service offre également la possibi­lité de bloquer les traqueurs, de surfer ano­nymement, d’éviter le spam, de remplir automatiquement des formulaires et d’uti­liser des adresses e-mails jetables avec le service PrivownyEmail.

Ces actions sont complétées par une vision panoramique des traqueurs. Y sont spéci­fiés : leur nombre, leurs noms, et les tiers avec lesquels ils échangent.

L’identité augmentée

  • Promesse : “L’identité augmentée, mon quart de confiance qui me certifie sans que je me justifie !”
  • Porteur(s) : Projet issu d’un atelier créatif MesInfos.
  • Données utilisées : Identité, Géolocalisation, Relevé Bancaire.
  • Domaine d’usage : Contrôle.

Description : “Les fournisseurs qui me proposent des services ont-ils réellement besoin de savoir qui je suis et où j’habite ? Non ! Il leur suffit juste de savoir si je suis solvable, si je suis habilité à conduire ou même, si j’ai bien fréquenté l’hôtel dont je viens de commenter la fiche dans TripAdvisor – et ainsi être crédible.”

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Scénario : Jeanne vient de passer un week-end désastreux dans un hôtel de Perpignan. Elle met un commentaire très négatif sur un site spécialisé. En le validant, elle clique sur “avis certifié”. Elle s’identifie auprès du quart de confiance, qui dispose à son tour du droit de “voir” certaines de ses données dans sa plate-forme MesInfos : Jeanne était bien à Perpignan ce w.e, elle a bien dormi dans cet hôtel (géolocalisation) et elle a bien payé la note (relevé bancaire) : le commentaire reçoit la note maximale sur le site.

3. Connaissance de soi : mieux se connaître pour agir

“Je visualise de manière intelligible (voire ludique) mes déplacements, mes consomma­tions, mes compétences, mes paramètres de santé… Je peux aussi mesurer mon sommeil, mon activité physique, mon attention. Ces informations produisent des tableaux de bord et toutes sortes de représentations pour m’aider à mieux me connaître, me situer, ou mesurer mes performances ou mes progrès vers un objectif.”

Les entreprises utilisent d’abord les données (personnelles ou non) pour com­prendre leur environnement, analyser leurs actions passées, mesurer ce qu’elles ont réussi ou non, se comparer à d’autres, évaluer leurs options. Pourquoi les indi­vidus n’en feraient-ils pas autant, à l’aide de leurs données ? Un grand nombre de services se proposent de les y aider, no­tamment dans les domaines de la forme, du bien-être et de la santé, de la mobilité, de la consommation…

Le marché du “Quantified Self”
De nombreux appareils et services issus du mouvement “Quantified self” permettent de mesurer toutes sortes de paramètres physiologiques, de surveiller son sommeil, le nombre de calories brûlées, sa fréquence cardiaque, le nombre de pas effectués dans la journée, etc.

Chaque utilisateur peut collecter ses données personnelles, mais aussi les visua­liser, les analyser, et les partager. FitBit propose de mesurer son activité physique, son alimentation et son sommeil, Withings vend dans le monde entier une balance et un tensiomètre connectés… Les objets connectés représentent un enjeu fort pour les Self Data, car ils sont une source de données facilement exploitables par les individus, au contraire des données détenues par les entreprises. Ce marché offre donc des perspectives intéressantes, particulièrement si les données “Quanti­fied Self” sont croisées avec d’autres.

Des services proposent ainsi de synchro­niser les données personnelles issues de différents objets connectés et parfois de les croiser avec d’autres données, pour les présenter à l’utilisateur sous forme visuelle (le plus souvent dans une sorte de “Dashboard” – ou tableau de bord). À ces représentations synthétiques peuvent s’associer des analyses, des conseils, des simulations ou des outils permettant de se comparer à d’autres ou de suivre la pro­gression vers des objectifs à atteindre.

C’est ce que fait Umanlife, en France, dans le domaine de la santé et du bien-être, à partir des données d’objets connectés et les données renseignées par les individus (date de vaccination, noms de médica­ments prescrits, …), Umanlife propose des conseils personnalisés, selon les situations de vie.

La start-up suisse Pryv croise les données d’objets connectés, de réseaux sociaux et les données ouvertes (météo, actualités…) pour en offrir une visualisation contextuali­sée, dans un calendrier.

Obtenir une vision “à 360°” de ses données
D’autres types de “dashboards” et plates-formes proposent d’obtenir une vision “à 360°” de ses données. L’objectif ici est de repérer des schémas (patterns), des ha­bitudes pour mieux s’organiser et se fixer des buts ; mais également, pourquoi pas, de déceler au contraire des surprises, des situations inédites, des comportements qui sortent de l’ordinaire…

Les consommations peuvent révéler beaucoup d’un individu – les entreprises le savent bien – et certains services per­mettent de mieux les appréhender.
Custle permet par exemple de visualiser l’ensemble de ses achats effectués en ligne, mais aussi de visualiser l’ensemble des commerçants avec lesquels un individu a une relation. Meeco permet de naviguer sur ses sites préférés incognito, d’y régler ses achats et d’avoir un storyboard de sa relation avec la marque. D’autres se concentrent sur un type de consomma­tion particulier, l’électricité ou le gaz par exemple.

Des services similaires peuvent aider à tirer de la valeur de ses déplacements, notamment à une époque où la mobilité quotidienne représente un coût croissant en temps comme en argent et où l’enjeu écologique prend une importance déter­minante. Mes Infos Géographiques – pro­totype créé pendant l’expérimentation MesInfos – permet de naviguer visuelle­ment dans l’historique des lieux que l’uti­lisateur a le plus fréquenté en moyenne, sur une période ou à un instant précis. On peut aussi imaginer se voir proposer des chemins, des balades en fonction de ses parcours.

Mais les consommations “courantes” et les déplacements ne sont pas les seules promesses de valeur : la visualisation et l’analyse de nos intérêts, nos passions, nos hobbies permettent de faire beaucoup dans une démarche de connaissance de soi. En utilisant les données de navigation, Interest Dashboard de Mozilla dresse la liste de nos inclinations, de nos goûts, de ce qui éveille notre curiosité, …

Il est également possible d’évaluer, com­menter et de partager des avis sur des films, livres, musiques, sorties, … et d’en garder une trace. Disqus permet de conser­ver la trace de ses commentaires sur plu­sieurs blogs et sites différents. Le service Inventaire, issu d’un prototype créé lors du concours MesInfos, permet de lister ses lectures et de les partager avec sa com­munauté, pour les offrir, les prêter ou les vendre.

Tenir le journal de sa vie
Reconstituer automatiquement un voyage, une journée, à partir de ses photos, sa loca­lisation, ses factures d’hôtel, son agenda, pouvoir repérer ses routines, visualiser la gestion de son temps…

Des services proposent d’enregistrer nos journées – en agrégeant différentes données – et de les présenter sous la forme d’un journal ou d’une histoire. On parle alors de Lifelog ou de passive jour­naling. Chronos permet par exemple de visualiser automatiquement la façon dont nous gérons notre temps en s’installant en toile de fond du téléphone pour capturer automatiquement tous les moments d’une journée et aider à atteindre nos buts.

Digi.me

  • Promesse : “Sauvegardez vos contenus de réseaux sociaux et appréciez-les sous forme d’histoire dans un lieu sécurisé”.
  • Porteur(s) : digi.me Limited, Royaume-Uni.
  • Données utilisées : Réseaux Sociaux.
  • Domaine d’usage : Connaissance de soi et Contrôle.

Description : Digi.me organise les multiples données de réseaux sociaux pour en faire un journal, une mémoire active, qui se met à jour automatique­ment. Retrouver un moment de sa vie devient plus facile grâce à un moteur de recherche et à un calen­drier intégré. Digi.me fait une copie de tout ce qu’un individu peut poster sur les réseaux sociaux (contri­butions, partages, photos) ainsi qu’une copie de la liste de ses relations. Cette copie est conservée dans une librairie personnalisée puis transformée en histoire, sur laquelle l’individu a le droit de propriété, de contrôle et de modification.

Coachmoifort

  • Promesse : “Mon smart au service de mon body”.
  • Porteur(s) : Gabrielle Pinto.
  • Données utilisées : Ecriture bancaire, Géolocalisation, Ligne de ticket de caisse, Personne, Alarme, Historique Web, Notification.
  • Domaine d’usage : Connaissance de soi et Conscience

Description : CoachMoiFort est une application qui encourage les utilisateurs à se fixer des objectifs pour bouger plus et courir dans Paris en musique. L’applica­tion utilise les données personnelles de l’utilisateur de manière ludique, afin de transformer Paris en terrain de jeu : elle propose aux utilisateurs des missions sportives qui exploitent les ressources historiques, architecturales de la ville, en mettant en avant des lieux à découvrir, seul ou en équipe. Le service permet donc de découvrir des lieux et parcours hors du quotidien, ainsi que des play­lists adaptées. CoachMoiFort propose également aux individus, sur un mode push, de profiter de chaque événement ou temps libre, pour bouger sans jamais s’ennuyer, en fonction de leur agenda.

4. Conscience : vivre avec ses valeurs

“Je mesure mon empreinte carbone et bénéficie d’outils et de conseils pour la réduire. J’analyse ma liste de courses pour acheter plus bio ou plus équitable. Je peux rapprocher mes pratiques et ma consommation de mes valeurs sans avoir à y passer trop de temps.”

Si ce domaine reste encore peu développé, son potentiel paraît également significa­tif : selon “l’Observatoire des consomma­tions émergentes” de l’ObSoCo, plus d’un Français sur deux déclare vouloir “consom­mer mieux” : donner du sens à sa consom­mation (environnement, emploi, lien social, éthique…), consommer utile sous contrainte budgétaire, maximiser la pro­ductivité de chaque euro dépensé (qualité pour la durabilité, achat malin…). En 2012, 53 % des Français étaient déjà engagés de manière significative dans ces formes de consommation émergente. Mais il n’est aujourd’hui pas facile d’accorder ses valeurs à son budget, ses goûts, ses contraintes et ses habitudes de consom­mation, sauf à consacrer de nombreuses heures à lire les emballages, fouiller des sites web, répondre à de longs question­naires sur son “empreinte écologique”…

↪ Consommer plus vert, plus “éthique”, plus solidaire…
Si les individus disposaient de leurs données de consommation, il deviendrait plus facile pour eux de faire des choix sur la base de leurs valeurs (bio, équitable, etc.) : l’analyse des lignes du ticket de caisse, comparée à des bases de données publiques sur la com­position et l’origine des produits, pourrait par exemple permettre de proposer des listes de courses “alternatives” : des produits équivalents et plus écologiques, des propositions alternatives pour consom­mer éthique sans payer plus, etc.

Concept imaginé pendant l’expérimen­tation MesInfos, l’application BigHab, en association avec une poubelle connectée, montre jour après jour la quantité alimen­taire achetée et la quantité alimentaire jetée. La différence ainsi obtenue indique le gâchis alimentaire d’un ménage. L’ap­plication utilise la liste de courses pour en déduire la quantité de produits jetés et ainsi optimiser sa future liste de courses pour ne plus gâcher.

↪ Mesurer et réduire son empreinte carbone
En disposant de ses données de consom­mations courantes, de mobilité, d’énergie, etc., il deviendrait également plus aisé de mesurer son empreinte carbone, d’explo­rer des moyens de la réduire, de suivre ses progrès, de les comparer à ceux d’autres personnes…

Aux Etats-Unis, des services s’appuient sur les données que les consommateurs obtiennent grâce au Green Button pour les aider à maîtriser leur consommation, mesurer l’impact écono­mique et écologique de leurs pratiques, simuler et appliquer des choix alternatifs.

Leafully

  • Promesse : “Il devient facile de comprendre votre empreinte carbone”.
  • Porteur(s) : Trick Shot Studios LLC, Etats-Unis.
  • Données utilisées : Consommation énergétique.
  • Domaine d’usage : Conscience et Connaissance de soi.

Description : Grâce au Green Button, Leafully, en se connectant automati­quement aux données personnelles de consom­mation d’énergie de ses uti­lisateurs, fournit un rapport hebdomadaire pour visua­liser sa consommation et envoie des alertes lorsque celle-ci est anormalement haute. Leafully simplifie la lecture de sa consomma­tion énergétique en la représentant par le nombre d’arbres nécessaires à la planète pour la contrebalancer. Pour réduire ce nombre, et donc son empreinte carbone, Leafully offre un système d’achat de certificat d’énergie renouvelable.

Begreen

  • Promesse : “Vivez Mieux, Vivez Sain !”
  • Porteur(s) : P. Burgy, P. Guilhou, T. Haenlin, H. Mingoïa, S. Renault, L. Fayolle.
  • Données utilisées : Ticket de Caisse.
  • Domaine d’usage : Conscience et Connaissance de soi.

Description : BeGreen propose de mesurer, analyser, et surtout améliorer ses émissions de CO2. Grâce à ses données personnelles de consommation, croisées avec la base Carbone de l’Ademe, l’utilisateur peut accéder précisé­ment, en temps réel et de manière détaillée aux sources de son empreinte écologique liées à ses achats de consommation courante, et les visualiser (par catégories, périodes…). BeGreen lui permet également de se fixer des objectifs sur une période donnée, afin d’agir de manière plus responsable.

5. Contribution : alimenter la production de connaissances collectives

“Je partage certaines de mes données, anonymisées, pour contribuer à une étude sur la santé, les déplacements urbains, les habitudes de consommation…”

Aujourd’hui, les données que les individus peuvent partager automatiquement avec la recherche scientifique regroupent principalement celles qui ne nécessitent pas de resti­tution directe de la part des détenteurs (réseaux sociaux, objets connectés, géolocalisa­tion…). Dans le cas d’autres types de données, ce sont les détenteurs qui font le choix de les anonymiser et de les partager avec la communauté scientifique.
Mettre des données personnelles anonymisées au service de la production de connais­sances collectives est donc déjà possible, mais ce potentiel sera décuplé dès lors que les individus auront toutes leurs données personnelles entre les mains. Cet usage met cependant en lumière un risque de “réidentification” qu’il faudra traiter dans les années à venir. Concrètement, le croisement de données “anonymes” d’un certain degré de précision (une pathologie, une zone d’habitation, une catégorie de revenus ou d’âge…) peut permettre de retrouver l’identité d’un individu donné et, de fait, dévoiler à son propos des données très intimes.

Partager ses données de manière anonyme pour contribuer à des études
↪ Etudes cliniques ou de santé publique
La multiplication d’appareils connectés, de forums spécialisés, de réseaux sociaux dédiés à la santé, crée un vivier de données que des équipes de recherche commencent à exploiter.

Dédié aux personnes souffrant de maladies chroniques, le réseau social PatientsLikeMe permet à ses membres de partager leurs expériences, leurs souf­frances, leurs trucs quotidiens… En partena­riat avec des universités et des organismes de recherche, PatientsLikeMe s’appuie éga­lement sur ses communautés pour mener avec des laboratoires (qui le rémunèrent) des études cliniques “géantes”, dont les résultats sont parfois publiés dans les plus grandes revues scientifiques.

↪ Etudes urbaines et de mobilité
Les études urbaines sont friandes de données. De plus en plus d’acteurs urbains, outillés numériquement, s’appuient sur des données (publiques ou privées) pour gérer, optimiser les flux, les services, mais aussi pour connaître les usages des citadins. Les données personnelles, ano­nymisées, peuvent être une source de connaissance importante.

Orange, avec son programme “Data For Development”, fournit des laboratoires de recherche internationaux en données anonymes extraites de son réseau mobile, d’abord en Côte d’Ivoire en 2013 puis au Sénégal en 2014 – dans une logique de contribution au développement.

Contribuer à des bases de données collaboratives
Un nombre croissant de services se fonde entièrement ou partiellement sur la capture et le partage de données par leurs propres utilisateurs pour optimiser un trajet, un flux, une activité…

Dans le domaine de la mobilité, Waze pour les automobilistes, Roadify sur un plus large éventail de modes de transport, fondent toute ou une partie de leur offre sur les contributions des utilisateurs pour en tirer une cartographie et leur proposer des trajets optimisés. Open Street Map, est, quant à lui, un service qui a pour but de créer une cartographie libre du monde. Il se base sur les contributions des internautes, qui rentrent eux-mêmes les données ou les collectent grâce à leur smartphone (GPS, photos).

Dans le domaine de l’énergie, certaines expérimentations sont lancées afin que les données personnelles soient anonymisées puis “libérées”. C’est le cas de CitizenWatt, qui vise à mettre en commun les données de consommation d’énergie anonymi­sées des ménages volontaires pour que des acteurs variés (collectivités, associa­tions, entreprises) puissent s’en emparer et proposer des services qui optimiseront cette consommation. Enfin, d’autres bases de données collaboratives ne référencent pas de données personnelles, mais d’autres types de données. Open Food Facts réfé­rence par exemple les informations nutri­tionnelles des produits alimentaires, dans lesquelles des services Self Data peuvent venir puiser et effectuer des croisements.

CDS
Image : Combien de sucres, application réalisée à partir des données d’Open Food Facts.

Mappiness

  • Promesse : “Mappiness cartographie le bonheur au Royaume-Uni”.
  • Porteur(s) : Dr George MacKerron et Dr Susana Mourato, chercheurs à la London School Of Economics (LSE), Royaume-Uni.

  • Données utilisées : Humeur, Géolocalisation, Niveau sonore ambiant.
  • Domaine d’usage : Contribution et Connaissance de soi.

Description : Mappiness permet de suivre son humeur au quotidien et de contribuer à des études académiques sur les effets de l’environnement sur l’humeur. Mappiness in­terroge ses utilisateurs pour connaitre leur humeur : les individus sont “bipés” entre une et cinq fois par jour et à différents moments de la journée. Quatre questions leur sont posées : “Comment vous sentez-vous ? ; Avec qui vous trouvez-vous ? ; Que faites-vous ? ; Où êtes-vous ? “ et une photo peut être prise pour illustrer la dernière question. En plus de ces données renseignées, l’application enregistre via le smartphone (GPS et micro) la position géographique et le niveau sonore environnant.

MesInfos nutritionnelles

  • Promesse : “Un coach nutritionnel dans votre ticket de caisse”.
  • Porteur(s) du service : Patrice Delorme et Flavie Ferrari.
  • Données utilisées : Ticket de Caisse.
  • Domaine d’usage : Contribution et Connaissance de soi.

Description : MesInfos Nutritionnelles permet de suivre sa consommation nutrition­nelle (calories, protéines, lipides, glucides) sous la forme de diagramme à partir de ses achats alimentaires. L’usage des données issues de ses courses, croisées avec la base de données collaborative Open Food Facts, permet de fournir des informations sur ses propres habitudes de consommation en termes nutritionnels. L’application offre égale­ment la possibilité d’entrer de nouveaux produits, et ainsi d’enrichir automatiquement Open Food Facts.

6. Décision et Action : faire les bons choix et les appliquer

“Je compare les offres, je décode des tarifs incompréhensibles, j’exprime mes intentions d’achat et invite les vendeurs à y répondre, je lance mes propres appels d’offre… je suis aux commandes de la relation !”

La comparaison
↪ Des marchés plus transparents
Alors que les “comparateurs de prix” se voient souvent accusés de manquer de transparence, les consommateurs eux-mêmes pourraient comparer entre eux les propositions qui leur sont faites, ou les conditions qu’ils ont obtenues auprès de chaque fournisseur. Cela rendrait plus difficile l’application de systèmes tarifaires “personnalisés” et bien souvent opaques. Selon le rapport fondateur du projet Midata, il n’y aurait pas moins de… 12 millions de tarifs téléphoniques sur le marché britannique. Résultat : 76 % des consommateurs paieraient trop au regard de leur consommation effective, de l’ordre de 200 livres (234 euros) par an !

La même analyse pourrait probablement s’appliquer aux voyages, aux tarifs ban­caires ou des assurances, et à bien d’autres marchés. Le Wall Street Journal signalait par ailleurs le cas de plusieurs distributeurs qui affichent en ligne des tarifs différents selon la distance qu’ils évaluent entre le visiteur et ses points de vente.
Des plates-formes qui faciliteraient la com­paraison des tarifs effectivement proposés aux individus pourraient de fait “décoder” ces dispositifs opaques et concurrencer efficacement les comparateurs de prix… A moins que ces derniers ne choisissent eux-mêmes d’évoluer dans ce sens, comme c’est le cas avec Ctrlio, présenté ci-des­sous.

Cheap Energy Club et Uswitch, en Angleterre, permettent déjà aux consom­mateurs de vérifier qu’ils disposent du meilleur contrat de fourniture d’énergie et d’en changer facilement, en se basant sur leurs données de consommations et les prix courants.

↪ Enchères inversées et achats groupés :
La détention de données réutilisables peut aider les consommateurs à exprimer des demandes de manière claire et non ambiguë, intelligible par les systèmes d’in­formation de leurs fournisseurs en ligne. Ces demandes pourraient notamment s’exprimer au travers de nouveaux services d’enchères inversées ou d’achat groupé, mais aussi de services plus complexes au travers desquels des individus pourraient formuler de véritables “appels d’offres”.

Thumbtack, aux Etats-Unis, met des consommateurs directement en lien avec des professionnels à partir de critères établis mutuellement. L’utilisateur formule des “appels d’offres” (Requests for Propo­sals) pour accomplir des projets (peindre sa maison, apprendre une langue…) – en précisant le budget, le lieu, la date de début et de fin etc… – auxquels les professionnels répondent via la plate-forme.

L’IntentCasting ou “l’Economie de l’intention”
“Dans une Economie de l’Intention, l’ache­teur informe le marché de son intention d’acheter, et les vendeurs entrent en concurrence pour emporter sa décision” : Doc Searls, l’inventeur du concept de VRM, rassemble les exemples qui pré­cèdent sous une bannière plus large, celle de l’Intentcasting (ou “projection d’inten­tions”). L’idée économique est simple : sur les marchés numériques d’aujourd’hui, il n’existe tout simplement pas de moyen pour la demande, celle des consomma­teurs, d’exprimer ce qu’elle désire. Il en résulte des marchés profondément désé­quilibrés et inefficients, où les offreurs sont condamnés à inventer des moyens toujours plus complexes, coûteux, intrusifs – et jamais très efficaces – de deviner ce que les consommateurs peuvent bien vouloir !

Imaginons maintenant qu’un consom­mateur qui sait ce qu’il veut dispose des moyens de l’exprimer d’une manière non équivoque et de publier son “inten­tion” en direction des offreurs (“je vais bientôt changer de voiture”) et la qualifie à partir de données riches (“voici ma voiture actuelle, qui la conduit, quand et comment, où stationne-t-elle ; voici mes déplacements sur un an et ceux de ma famille…”). Ces informations, anonymi­sées, pourraient être présentées à une multitude de fournisseurs pour comparer ensuite leurs propositions. Les bénéfices, selon Doc Searls, seraient multiples : des coûts marketing réduits ; une connais­sance de première main des demandes du marché, sans perdre les bénéfices de la nu­mérisation des échanges ; une plus grande satisfaction des clients, dont les demandes seraient mieux satisfaites.

La gestion de processus complexes
Lorsque les consommateurs disposeront de leurs données, des services pourront les aider à gérer des processus complexes, qui sont aujourd’hui de véritables parcours du combattant : prenons l’exemple d’un couple décidé à acquérir un logement.

↪ D’une gestion des processus complexes longue et délicate…
Durant ce parcours, le couple doit entrer en relation avec de nombreux acteurs : des banques qui vont passer ses revenus au crible de leurs systèmes de notation pour lui proposer (ou non) un financement, des courtiers censés faciliter cette phase de dé­marchage, des agents immobiliers ou des particuliers qui proposent un logement, un tiers de confiance (le notaire), mais aussi, une multitude de micro-dispositifs infor­mels de type “bouche à oreille”. Tout cela, en tenant compte de paramètres extrê­mement nombreux : besoin d’une voiture ou non, distance entre le lieu d’habitation et l’école des enfants, proximité des com­merces… Aujourd’hui, le couple se trouve seul face à cette complexité.

↪ …à une gestion facilitée
Imaginons maintenant un service – ou plus probablement un ensemble coordonné de services – qui permettrait aux usagers d’ex­primer leurs besoins, leurs incertitudes, ce qu’ils seraient prêts à sacrifier en terme de temps de déplacement, d’énergie, de proximité des commerces, etc. L’“entrepôt de données” du couple facilite à la fois l’expression de ses besoins, et la mise à disposition (éventuellement anonyme, du moins jusqu’à un certain stade) des infor­mations financières nécessaires à l’obten­tion d’un prêt. Il pourra aussi, le moment venu, transmettre de manière sécurisée les pièces administratives aux différents interlocuteurs (le vendeur et son notaire, la banque).

Des services complémentaires propose­ront à notre couple de lancer un appel d’offres personnel à des organismes de financement ; de présélectionner les maisons qui lui conviennent vraiment en fonction de ses goûts, des recomman­dations de ses amis, de ses habitudes de consommation énergétique ; ou encore d’être “coaché” quand il s’agira de jongler avec ses annuités de remboursement.

D’autres processus complexes pourraient se voir considérablement simplifiés grâce à de tels services : la préparation d’un voyage, l’achat d’une automobile ou d’un autre produit cher et complexe, un choix d’orientation scolaire ou professionnelle, une étape de vie telle qu’un mariage, une naissance ou le départ à la retraite…

CtrlIo

  • Promesse : “Rendez les services en ligne plus précis”.
  • Porteur(s) : Ctrlio, Royaume-Uni.
  • Données utilisées : Factures téléphoniques.
  • Domaine d’usage : Décision et Action.

Description : Ctrlio aide ses utilisateurs à obtenir les meilleures offres sur leurs achats de mobiles grâce à leurs données personnelles. Les futurs acheteurs se rendent sur le site du comparateur de prix, choisissent un modèle de téléphone puis cliquent sur le bouton “find my deal” de Ctrlio, pour améliorer le système de comparaison. Celui-ci se fait alors plus personnel :

  • Après avoir déclaré le nom de son opérateur télépho­nique, Ctrlio aide l’individu à se connecter à son espace client pour y récupérer ses trois dernières factures.
  • Ctrlio calcule une moyenne d’utilisation et de dépenses mensuelle.
  • Il est ensuite possible de partager cette information avec le comparateur, qui propose alors des offres person­nalisées en fonction de cette moyenne.

Un exemple d’intentcasting
“En voyage, vous venez juste d’arriver à San Diego pour un mariage et quelques jours de congés. Vous avez oublié la poussette de vos jumeaux, dont vous avez besoin tout de suite. Plutôt que de parcourir les très nom­breuses offres commerciales disponibles sur le web – comme c’était le cas aupara­vant – vous utilisez votre smartphone pour lancer un “appel d’offres” qui mentionne votre intention d’acheter une poussette pour jumeaux dans les 2h qui suivent.

Tous les vendeurs dans la région peuvent être notifiés des intentions d’acheter de potentiels clients, via le service qui gère ces appels d’offres. En quelques minutes, vous pouvez avoir des réponses sérieuses de plu­sieurs vendeurs : le modèle, le prix, où et comment vous trouverez l’objet.
Vous faites votre choix et en avertissez le vendeur retenu. Cette décision s’affiche également sur l’agenda de votre smart­phone, qui vous indique le trajet pour y aller. Les autres commerçants apprennent qu’ils n’ont pas été retenus mais ils ne dis­posent pas de votre identité et ne peuvent pas vous relancer – s’il s’était agi d’un achat plus important et moins urgent, vous auriez pu faire jouer la concurrence plus longtemps…”

Exemple tiré de Doc Searls, The Intention Economy, Harvard Business Press, 2012.

7. Vivre une expérience : découvrir, ressentir, faire partager…

“Etonnez-moi, faites-moi vivre de nouvelles expériences grâce à mes données ! Je veux être surpris, découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles personnes, m’amuser, m’émouvoir, apprendre sans le savoir…”

Le Self Data décollera dès lors que les ap­plications qu’il propose n’auront pas seule­ment une dimension utilitaire. En étant en position de jouer avec leurs données, d’y trouver une dimension ludique ou sensible, les individus développeront une relation plus forte à leurs données et à leurs usages possibles.

Certains concepts de services issus de l’expérimentation MesInfos imaginent ainsi que l’on pourrait visualiser ses dépenses, sa consommation, ses dépla­cements d’une manière sensible, ludique, “humaine” ; cartographier ses traces pour leur donner un sens nouveau ; ou encore se voir proposer des parcours culinaires, ciné­matographiques, géographiques… grâce à l’historique de ses propres déplacements physiques ou virtuels.

Dès aujourd’hui, un petit nombre de services proposent de gérer de manière “gamifiée” certains aspects du quotidien.

HabitRPG permet de gérer sa vie comme un jeu de rôle de fantasy. Le joueur renseigne ses mauvaises habitudes à gommer, ses tâches et objectifs à accomplir. Il est ensuite immergé dans un jeu récompensant ses succès par des pièces d’or et des points d’expériences qui permettent à son avatar d’évoluer.

ZombiesRun ! est un jeu dans lequel le joueur doit échapper à des zombies virtuels qui le poursuivent dans sa ville réelle. Il utilise la géolocalisation de l’individu en temps réel et des données cartographiques pour fournir un cadre de jeu.

Save Up !

  • Promesse : “Economisez de l’argent et gagnez des récompenses !”
  • Porteur(s) du service : SaveUp, Inc. Etats-Unis.
  • Données utilisées : Données Bancaires.
  • Domaine d’usage : Vivre une expérience, Gestion.

Description : Save Up offre des récompenses à ses utilisateurs lorsqu’ils économisent ou lorsqu’ils remboursent leurs dettes. Save Up récupère, centralise et offre une visualisa­tion automatique des relevés financiers de ses utilisateurs dans différentes banques, qu’il s’agisse de compte courant, de compte épargne, d’un prêt étudiant, d’un emprunt immo­bilier, d’un compte retraite… A chaque dollar économisé ou remboursé, le joueur gagne des points Save Up qui peuvent ensuite s’échanger contre des produits sponsorisés, allant de la simple carte cadeau à des vacances, ou même à un jackpot de 2 millions de $.

Tali

  • Promesse : “Si les données sont notre reflet alors Tali est leur miroir.”
  • Porteur(s) du service : Nathalie Signoret et Ryslaine Moulay.
  • Données utilisées : Contact, Géolocalisation, Album, Journal d’appel, Photo.
  • Domaine d’usage : Vivre une expérience, Connaissance de soi.

Description : TALI est une application sensible couplée à un objet intelligent, qui utilise les données personnelles “vivantes” pour proposer des cartographies de ses interactions, permettre d’y naviguer et d’en partager des aperçus avec ses proches. L’objet TALI est un miroir connecté de poche, permettant de visualiser ses interactions et ainsi de les re-tangibiliser en temps réel. Le service crée aussi un effet de surprise en proposant des cartographies conjoncturelles de ses relations, par exemple lorsque l’on retourne dans sa ville d’enfance. L’application TALI permet également de partager une cartographie avec ses proches, voire d’en tirer une carte postale pour immortaliser un moment.

Il ne faut ainsi pas beau­coup de temps pour repérer le vaste potentiel de la valeur d’usage qui pourrait émerger de la mise à dis­position, au bénéfice des individus, des données personnelles qui les concernent. Reste à réaliser ce po­tentiel. La clé pour y parvenir réside dans l’émergence de modèles écono­miques durables et équilibrés autour du Self Data.

Marine Albarede, Renaud Francou, Daniel Kaplan, Sarah Medjek, Manon Molins.


Téléchargez Self Data – Cahier d'exploration MesInfos 2e édition, mai 2015.

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