La personnalisation n’a pas que des vertus, rappelle Nathan Ferguson (blog, @natetehgreat) sur Cyborgology (@cybergology). « Si vous donnez aux gens accès à des paramètres, ils vont les utiliser », lançait récemment un développeur sur un podcast techno. « Et puis, ils vont oublier qu’ils les ont utilisés. Et puis l’application qu’ils utilisent se comporte différemment de la valeur par défaut parce qu’ils ont changé les réglages et ont oublié qu’ils les ont changés. Et puis, ils vont se plaindre sur Twitter ou en public que leur application ne fonctionne pas correctement en raison d’un paramètre qu’ils ont changé. » Pragmatique, le concepteur d’application défendait ainsi à l’antenne une personnalisation minimale par l’utilisateur, compromis efficace entre personnalisation et simplicité. Une règle de l’emmerdement à minimum consistant à réduire les options plutôt qu’à devoir les gérer. Qu’importe si cela laisse les utilisateurs sur la touche, si cette conception ne se révèle finalement pas très inclusive, pas très adaptative.
Quelle personnalisation pour quel utilisateur ?
Cette question est à double tranchant, souligne Ferguson. Nombre de logiciels sont hautement personnalisables, mais d’une manière finalement très/trop complexe. Les navigateurs web, même les plus simples, permettent par exemple d’installer nombre d’extensions qui augmentent leurs fonctionnalités par défaut. Mais cette façon de concevoir la personnalisation suppose que l’utilisateur sache comment personnaliser son environnement pour répondre à ses besoins – ce qui n’est pas si simple tant le déluge de plug-in est volumineux – et donc connaissent également ses besoins – ce qui est également difficile. Ce qui pose la question de savoir à qui se destine effectivement cette incroyable capacité de personnalisation qui nous est offerte… Aux utilisateurs les plus expérimentés assurément.
Les logiciels de messagerie, les applications sociales sont tout autant personnalisables, rappelle Ferguson. Facebook par exemple propose plus de 61 fonctions de notification. L’utilisateur qui n’a pas le savoir-faire technique, le temps ou la patience pour désactiver ces notifications sera ainsi rapidement inondé de sollicitations… Et la seule solution proposée par les développeurs est de laisser les gens faire leur chemin dans la complexité des paramètres ou s’en tenir aux fonctionnalités par défaut.
Image : Joe et Josephine, deux modèles anthropométriques d’utilisateurs imaginés par le designer Henry Dreyfuss dans son livre de 1955, Design for People, via The New Inquiry.
Comme le répète le pape de l’économie comportementale, Cass Sustein (@casssunstein), auteur de Choisir de ne pas choisir, les options sans fin sont épuisantes et les paramètres par défaut souvent inadaptés, expliquait-il en synthèse dans une récente tribune pour le Guardian. La plupart du temps, nous préférons ne pas choisir, ne pas nous plonger dans les paramètres et opter pour le mode par défaut. Mais comment aller au-delà de l’utilisation des valeurs par défaut à grande échelle, de manière à ce que ces paramètres s’adaptent mieux aux circonstances individuelles des gens ? Les choix d’un régime de retraite par défaut doivent-ils être les mêmes pour des gens nés dans les années 40 que pour ceux nés dans les années 60 ou 80 ? Sustein parle certes de politiques publiques, mais il nous dit la même chose que Ferguson. Comment mieux s’adapter aux utilisateurs ? Comment mieux circonscrire différents types de profils plutôt qu’un utilisateur moyen unique qui ne représente personne ? D’ailleurs Sustein s’inspire des modèles de recommandation personnalisée imaginés par les acteurs du numérique pour imaginer des politiques publiques plus inclusives.
Mais qui est donc cet utilisateur par défaut ?
Mais cela suppose de connaître les fonctionnalités par défaut (elles-mêmes rarement explicites) et aussi de savoir quel utilisateur type ces paramétrages par défaut imaginent. Beaucoup de gens sont par exemple confrontés à des vidéos qui les choquent parce que les paramètres du site social qu’ils utilisent, par défaut, activent leur lecture d’une manière automatique. Ces vidéos en auto-play reflètent ce que le design attend et à qui il s’adresse : favoriser de la vitalité banale, s’adresser à des utilisateurs qui ne savent pas déclencher un contenu ou ceux qui ne savent pas ajuster les paramètres. L’utilisateur par défaut relève d’une conception qui à la fois déforme les demandes des utilisateurs en matière d’alerte et de contrôle et qui leur enlève leur capacité à prendre des décisions par eux-mêmes.
Pour mieux illustrer ce que la conception logicielle oublie, Ferguson donne un autre exemple. Il compare son usage de Netflix et de PopCorn Time. Alors que le service de streaming centralisé de Netflix se révèle souvent sursaturé aux Etats-Unis, privilégiant seulement les utilisateurs qui ont les meilleures connexions, le logiciel de partage de films en streaming en P2P, permet lui de découpler la transmission du lancement de la vidéo. En ce sens, il s’accommode d’une bien plus grande variété de contextes d’usages. En ouvrant les usages, PopCorn Time permet que son fonctionnement s’adapte à l’utilisateur plutôt que de demander à l’utilisateur de s’adapter à son standard.
Plutôt que d’essayer de réparer la conception logicielle pour qu’elle réponde aux exigences des utilisateurs, ne serait-il pas plus profitable de changer la façon dont on conçoit l’utilisateur par défaut, interroge Ferguson, faisant écho aux archétypes d’usagers que dénonçait le designer Nicolas Nova dans une conférence dont nous avions rendu compte. Les concepteurs de services devraient-ils documenter l’utilisateur par défaut type à qui ils s’adressent ? Pourrait-on les inviter à concevoir un utilisateur par défaut qui ne soit pas un composite d’utilisateurs imaginaires, de testeurs provenant de focus groupes, de synthèses de données d’utilisation moyenne provenant de l’ensemble des utilisateurs… mais de schémas et modèles qui soient plus proche de lui ?
Le plus surprenant, presque, est de constater que les logiciels ont encore bien du mal à s’adapter à celui qui les utilise, à se modifier automatiquement d’une manière personnalisée (ou au moins en le proposant clairement comme un choix de paramètre), et non selon un profil abscons d’utilisateur moyen. Cela explique certainement pourquoi notre expérience logicielle est bien souvent encore caractérisée par la banalité, l’ennui, la frustration et l’anxiété, à l’image des logiciels de courrier électronique. L’e-mail incarne très bien l’insuffisance de personnalisation comme substitut à une conception capable de s’adapter à chacun. Chacun de nous peut configurer son logiciel de messagerie de multiple façon sans vraiment pouvoir le personnaliser à son usage. Le logiciel devrait ainsi apprendre à comprendre que ces e-mails que nous n’ouvrons pas nécessitent peut-être de nous demander si nous devons mettre l’expéditeur ou le sujet en indésirable, le faire pour nous ou nous le proposer.
L’enjeu n’est pas de restreindre les choix et options qui nous sont proposés, mais faire de manière à ce qu’ils s’adaptent mieux à chacun de nous. L’enjeu n’est pas de réduire le pouvoir de l’utilisateur, mais bien de l’étendre et de savoir toujours mieux y répondre.
Hubert Guillaud