Brian Solis (@briansolis) est l’un des grands gourous du marketing et de la transformation numérique. En tournée promotionnelle pour son nouveau livre Expérience, il est venu faire le show sur la scène de Lift pour nous expliquer combien les marques vont être impactées par ceux qui en font l’expérience.
Image : Brian Solis sur la scène de Lift, photographié par Ivo Naepflin.
Brian Solis rappelle que l’expérience que l’on conçoit n’est pas toujours celle que les gens veulent, à l’image du fameux chemin pensé par les urbanistes et celui tracé réellement par les utilisateurs. Mais il est difficile d’expliquer ce qu’est une expérience, parce que chacun en aura une définition différente… sauf à regarder son résultat. L’expérience est une réaction émotionnelle, qui, si elle est réussie, nous transforme et change ce qu’on fait après l’avoir ressentie. Dans l’expérience, les gens n’oublient pas le sentiment que vous leur avez communiqué, même s’ils peuvent oublier le message ou ce qu’ils ont fait. Comme le disait John Keats, rien ne devient réel tant qu’il n’est pas expérimenté. Et le bonimenteur, qui n’est pas sans références, rappelle l’histoire racontée par l’écrivain David Foster Wallace, dans C’est de l’eau, celle des 2 poissons dans leur bocal… Où le premier dit au second : l’eau est bonne. Et l’autre lui répond : de quoi tu parles ?… « Si l’expérience ne génère pas de ressenti, alors elle est un échec ».
Les expériences auront donc lieu qu’on les conçoive ou pas. Tout l’enjeu est cependant d’en concevoir des mémorables. Et en guise d’exemple, Solis évoque celles que fabrique Disney pour ses parcs et hôtels – pas sûr que cela fasse beaucoup rêver… Et Solis d’évoquer la conception de chambres d’hôtel comme des bateaux où le moindre détail de carton-pâte serait la clef d’une expérience réussie. L’usage de la perspective forcée dans la conception des décors des parcs Disney qui vous font croire que les bâtiments sont plus grands qu’ils ne sont, comme si vous étiez de nouveau un enfant… Les designers de Disney parlent de « imagineering » pour désigner « l’ingénierie de l’imagination » (du nom de la société qui conçoit les parcs et organise un concours annuel pour trouver de nouvelles idées). Et Solis de s’enthousiasmer pour le bandeau magique de Disney Echo, la télécommande d’Amazon, « cette formidable entreprise de logistique » qui nous relie à l’entreprise pour nous envoyer toujours d’avantage de produits, même si pour cela l’appareil met sous surveillance tous les propos que nous échangeons dans nos foyers.
Pour Solis, les meilleures innovations sont celles qui nous permettent de voir le monde autrement que la façon dont on les voyait jusqu’à présent. La technologie n’est pas toujours la réponse, mais l’important est que les marques s’intéressent à leurs clients. « Ce qui est important, c’est ce qui est important aux gens, pas la technologie en tant que telle », explique-t-il en montrant cette image très partagée sur les réseaux sociaux de gens qui regardent tous un événement dans la rue depuis leur mobile et où la seule personne qui l’apprécie avec ses yeux est une vieille femme. Pour Brian Solis, ce que montre cette image, ce n’est pas que les gens ne sont pas présents ou disponibles à l’instant présent, ce n’est pas qu’ils ne vivent pas le moment, mais que le partager, faire lien avec les siens est pour beaucoup un moteur d’expérience très puissant. « Le partage fait changer son expérience d’échelle ». L’expérience est personnelle, elle montre ce qui est important aux gens. Le comprendre nécessite de dépasser nos stéréotypes. Si on enlève les téléphones des photographies, comme l’a fait le photographe de la vidéo très célèbre de cet enfant qui tente d’utiliser un magazine papier comme un iPad, parce qu’il connaît l’un et pas l’autre. Pourquoi le « swipe » de Tinder est-il vu comme « l’interaction parfaite » ? Pourquoi l’icône pour sauvegarder quelque chose est-elle encore une image de disquette quand plus personne ne sait ce que c’est ? Les télévisions dites « intelligentes » sont encore livrées avec des télécommandes dotées de dizaines de boutons, des télécommandes qui refusent d’innover ! Le design doit se fixer des objectifs… Et Brian Solis de se pâmer devant la transformation de la bouteille de ketchup de Heinz, qui a changé l’expérience de tous ses utilisateurs en la mettant dans l’autre sens, la tête en bas !
« L’expérience n’est pas un emballage, ni un très bon produit ou un excellent service après-vente. C’est toutes ces choses-là ». Et tout ce que l’on conçoit doit être à ce niveau d’innovation. Pour Solis, il faut repartir d’une page blanche. Elle seule représente vos opportunités. Pour innover, pour fonder un nouveau service, il faut faire table rase du passé, de l’existant et revenir à l’expérience du client. Il faut savoir remettre tout à zéro. L’innovation commence quand vous vous souciez des autres, quand vous cherchez à concevoir des expériences qui ont du sens pour les gens.
« Nul n’arrive à une télécommande s’il commence à partir de rien ».
Certes. Mais n’est-ce pas tout de même bien facile de faire table rase ? Dans la conception marketing dans laquelle nous promène Solis, cela peut certainement s’envisager, effectivement. Mais l’innovation sans contrainte aucune n’est-elle pas une manière hyper-simplifiée de voir l’innovation ?
Nadina Frehner, de ShoeSize.Me n’avait elle que quelques minutes pour évoquer le service qu’elle a lancé et qui a remporté beaucoup de prix et distinctions. Et sa vision semble plus inspirante que la page blanche.
Elle s’est servie des contraintes pour imaginer son service. Quand on cherche à acheter une paire de chaussures en ligne, c’est compliqué : les tailles notamment sont multiples. Elles dépendent de l’origine du site où l’on souhaite acheter sa paire de chaussures, des lots d’où proviennent les chaussures… Un 40 chez Timberland n’est pas le même 40 que chez Nike ou Adidas. Pour le consommateur, c’est si compliqué que seulement 8 % achètent des chaussures en ligne et que 50 % des commandes passées sont retournées.
D’où l’idée qu’elle a eu de développer un service pour comparer les chaussures que l’on veut acheter à celles que l’on a déjà et dans lesquelles on se sent bien, permettant à son système de conseiller la taille adaptée aux spécificités de chaque marque. Sa solution, qui peut s’implémenter dans magasins en ligne de tous les détaillants pour autant qu’ils l’autorisent, permet d’accéder ainsi seulement aux chaussures qui vous iront.
Image extraite de la présentation de Nadina Frehner qui montre l’interfaçage du bouton ShoeSize.Me dans un magasin de chaussure tiers.
ShoeSizeMe permet de personnaliser partout son expérience client, de faire de la personnalisation un service. Un concept très intéressant pour redonner du poids à l’intérêt que peuvent avoir les utilisateurs à conserver leurs données pour créer des services capables de s’interfacer avec d’autres. Une idée à décliner qui pourrait permettre par exemple d’imaginer un service pour ceux qui souffrent d’allergie alimentaire qui leur permette par exemple de trier les produits qu’ils souhaitent acheter dans n’importe quelle épicerie en ligne. C’est-à-dire de regarder le web depuis ses préférences personnelles… Qui disait qu’on n’innovait pas avec des contraintes ?
Hubert Guillaud