Le livre du consultant en organisations Frédéric Laloux, Reinventing Organizations, vers des communautés de travail inspirées est devenu l’une des Bibles des livres de management sur les entreprises libérées. Et effectivement c’est un longseller très inspirant, riche en exemples et en détails qui rendent l’ensemble vivant. Pour autant, pas plus que le livre de Getz ou de Robertson, on n’y trouvera pas une méthode à appliquer pas à pas pour transformer son organisation, d’abord et avant tout parce que ces transformations sont expérientielles : leur réussite dépend de leur appropriation et de leur adaptation.
L’essentiel du livre est consacré à la description d’exemples d’entreprises auto-gouvernées rencontrées aux quatre coins du monde (par exemple, celle des infirmières néerlandaises de Buurtzorg qu’évoquait le Ouishare Mag), dont il souligne des principes d’organisation, des méthodes, des pratiques, des processus, des traits culturels communs qui les caractérisent. Le livre décrit comment s’organise concrètement de nouvelles formes d’organisation spontanée : allant des principes que ces entreprises mettent en place aux outils qu’elles utilisent (la définition des rôles, la sollicitation d’avis, méthodes de résolution de conflits, la transparence interne…). Des outils qui sont pour l’instant plus managériaux que techniques. Il y explique les principaux principes qui président à la mise en place d’entreprises « libérantes », à savoir, comme le souligne Etienne Appert qui vient de livrer du livre une version synthétique et illustrée : l’abandon de la pyramide hiérarchique, le pilotage par la raison d’être, et le développement de conditions de travail permettant aux salariés d’être eux-mêmes.
Vidéo : une des conférences de Frédéric Laloux que l’on trouve en ligne, où il revient, longuement, sur le nouveau paradigme des organisations qu’il expose dans son livre.
Autogouvernance n’est pas démocratie !
A plusieurs reprises, Frédéric Laloux revient sur le fait que ces formes d’organisation ne sont pas, comme on le croit trop souvent, démocratiques. Elles cherchent une voie moyenne entre le consensus de tous et l’action unilatérale d’un chef. Mais rejettent l’une comme l’autre.
L’autogouvernance, insiste-t-il, n’est surtout pas la paralysie de la participation de tous à tout. Il n’a pas d’ailleurs pas de mots assez durs contre le consensus, qui développe la paralysie des organisations et dilue la responsabilité. Pour lui, ces formes d’auto-organisations établissent des responsabilités claires via des process et des règles de fonctionnement souvent très détaillées et contraignantes pour clarifier les responsabilités, par exemple avec la sollicitation d’avis qui autorise toute personne à prendre une décision en sollicitant l’avis de ceux qui sont concernés ou spécialistes du sujet (« alors que le consensus épuise l’énergie des entreprises, la sollicitation d’avis la dope »). « La bonne question n’est pas : comment peut-on donner le même pouvoir à tout le monde ? C’est plutôt : comment faire en sorte que chacun ait du pouvoir ? »
L’enjeu ici n’est pas de résoudre le problème du pouvoir en entreprise, mais de le transcender, explique encore Laloux. Il ne s’agit pas de réduire les hiérarchies, de faire que chaque employé soit l’égal d’un autre, mais au contraire de s’appuyer sur les compétences pour rendre l’autorité dynamique, tout l’enjeu – comme souvent dans l’entreprise – consiste à favoriser les relations via notamment la compétence qu’on apporte aux autres plutôt que d’asseoir les positions. Pour Frédéric Laloux, l’enjeu des entreprises libérantes, autogouvernées, n’est pas de les rendre plates ou égalitaires, de faire disparaître les hiérarchies, mais au contraire de les rendre dynamiques, de confier l’autorité à celui qui a le plus de connaissance et d’expérience dans un contexte spécifique, comme l’observe Francesca Pick de Ouishare.
Frédéric Laloux insiste également sur le fait que ces formes organisationnelles ne sont plus expérimentales. Elles concernent de très grandes entreprises et associations (comme Gore-Tex, Patagonia, Whole Foods ou par exemple l’association des Alcooliques anonymes, qui compte plus de 100 000 groupes dans le monde et 1,8 million de membres et dont chaque groupe fonctionne en autogouvernance). Pour Frédéric Laloux, « c’est d’avoir grandi dans un monde d’entreprises hiérarchisées conventionnelles qui rend l’autogouvernance si difficile à accepter ». Et si ceux qui ont grandi avec le web la comprennent mieux, c’est parce que la révolution internet a fait naître un monde où « l’influence est fonction de ce que l’on apporte » plus que de la position acquise. En définissant leur projet par des objectifs et des valeurs, les entreprises autogouvernées sont plus à l’écoute de leur « raison d’être évolutive », sont plus capables d’évoluer, d’être agiles, de s’adapter à la créativité qui en ressort. « Dans une entreprise autogouvernée, l’initiative du changement est du ressort de toute personne qui en ressent la nécessité. C’est ainsi que la nature fonctionne depuis des millions d’années. L’innovation ne se produit pas au centre, selon un plan, mais sur les marges, quand un organisme capte un changement dans l’environnement et prend des initiatives pour s’adapter de façon appropriée. »
Un nouveau modèle de société ?
Au-delà de la réussite économique assez insolente de la plupart des organisations organisées selon ces principes (cf. notre récent dossier), le message important qu’elles délivrent est cependant ailleurs.
Pour Frédéric Laloux, ces nouvelles formes d’organisation sont une promesse qui devrait permettre à l’humanité de faire un bond en avant en terme d’organisation de la société. Dans toute la première partie de son ouvrage, Frédéric Laloux dresse un très intéressant – et à la fois très naïf et simplificateur – parallèle entre formes de gouvernement et formes d’organisations. Ces nouvelles formes de gouvernances vont-elles avoir des répercussions au-delà des organisations elles-mêmes ? Peuvent-elles permettre d’imaginer des formes de « démocratie évolutive », plus agiles, mais également, peut-être, « moins démocratiques » ? Peuvent-elles permettre d’imaginer une société différente dont le fonctionnement même s’inspirerait de ces principes post-démocratiques ?
Dans la première partie de son ouvrage, Frédéric Laloux se livre à une tentative d’explication surplombante des modèles d’organisation. Aux formes d’organisation des groupes humains répondent des formes d’organisation sociaux-politiques qui correspondent aux stades de développement de nos sociétés, avance-t-il, d’une manière peut-être un peu maladroite, puisqu’il n’est ni anthropologue, ni historien, ni sociologue… Mais cette mise en perspective interroge. Il distingue ainsi plusieurs niveaux d’organisations :
- les organisations dominées par un chef, allant des Mafias aux gangs par exemple, dont le modèle est la métaphore de la meute de loups, au fonctionnement impulsif et dont le ciment est la peur, qui se révèlent être très adaptées aux environnements chaotiques, très réactives et court-termistes.
- les organisations pyramidales, sur le modèle de l’armée, de l’école ou de l’Eglise, structurées de manière très hiérarchiques, avec des formes d’autorité et de contrôle descendants, qui favorisent la conformité, qui garantissent une certaine stabilité, des processus rigoureux, capables de se projeter à long terme pour autant que leur environnement demeure stable.
- les organisations mécaniques et méritocratiques, à l’image des grandes entreprises et des multinationales, qui favorisent la compétition, très adaptées à des environnements systémiques, globaux, qui reposent sur des formes de management par objectifs, la concurrence, la compétition et l’innovation.
- les organisations démocratiques, sur le modèle de la famille, des associations ou des coopératives, qui sont adaptées à des environnements très stables, au temps long, du fait de processus de décision lents, et favorisent à la fois le consensus et le pluralisme.
- et puis bien sûr les entreprises sociocratiques, qui reposent sur des formes d’autogouvernance, qui prônent des formes d’autonomies et de leaderships, flexibles, agiles, lean, évolutives, adaptées aux environnements complexes et mouvants… antifragiles, qui favorisent l’affirmation de soi et dont le symbole est l’organisme vivant.
Image : les différents stades d’évolution des organisations, du rouge des gangs à l’opale des organisations autogouvernées, via Enliveningedge.
Ce qu’esquisse Frédéric Laloux dans son livre, et qui, me semble-t-il, devrait poser question, c’est de savoir si ces formes de réinvention des modalités d’organisation humaine peuvent donner naissance à de nouvelles formes d’organisation politique… Est-ce que le bouillonnement post-démocratique que l’on constate actuellement, allant de la promotion du tirage au sort aux formes de démocratie délégative que l’on trouve dans plusieurs initiatives des Civic Tech projettent de telles formes de réorganisation de la société ? Est-ce que le modèle de réorganisation par fonctions, compétences, rôles, capacités… est à même de nous permettre de dépasser ou de renouveler la question de l’égalité au fondement même de nos démocraties ? Est-ce que cette perspective post-démocratique est « désirable » ? Peut-on l’appliquer à la société tout entière ? Est-ce que ces initiatives vont revivifier la démocratie ou l’enterrer ? Visent-elles à la rénover ou à prendre ses distances avec elle ? A long terme, quelle organisation de la société projettent-elles ? Dessinent-elles des formes « d’autocraties collaboratives », de « collectocraties »… selon le nom qu’on voudrait pouvoir leur donner ? Nourrissent-elles un renouveau démocratique ou son déni ?
Vidéo : Dans l’un de ses derniers live hebdomadaire, Mediapart posait la question de savoir si la « démocratie internet » – pour faire référence à l’un des livres du sociologue Dominique Cardon – était entrée en crise ? Un débat qui posait la question de la régulation de la « démocratie » des commentaires.
La démocratie est-elle toujours intermittente ?
Il est bien sûr assez difficile de répondre à ces questions. Ce que l’on constate, c’est que ni dans les organisations, ni dans la politique, nous ne sommes dans des formes démocratiques continues, « liquides ». Dans les entreprises libérées, selon les temporalités, des formes très démocratiques alternent avec des formes qui le sont beaucoup moins… Comme c’est d’ailleurs le cas dans nos démocraties représentatives.
Pour le politologue Loïc Blondiaux (@LoicBlondiaux), les formes d’autogouvernance sont dans l’ère du temps. Elles ne sont pourtant pas nouvelles… Les cercles de qualité des années 80, portaient déjà cette idée d’autonomisation des salariés. Aujourd’hui, les formes de gouvernement par cercle intéressent beaucoup ceux qui récusent les formes de représentation traditionnelle. Comme dans le monde politique, le discrédit gagne les formes d’encadrement traditionnel des entreprises.
La tendance est de remplacer les autorités par des process permanents d’auto-évaluation assez contraignants, nous explique-t-il. Le pouvoir s’invibilise. Il s’inscrit plus dans les méthodes et les instruments que dans les humains. Reste que les méthodes de gouvernement par cercles, les méthodes d’autogouvernance, conviennent bien aux secteurs d’activité allergiques à l’autorité, comme c’est le cas dans le numérique. Ils conviennent aussi aux secteurs qui exigent des formes d’agilité, d’adaptation et d’investissement très fort dans le travail, car la contrepartie de cette autonomie consiste en une responsabilisation très forte des salariés. Or, rappelle le chercheur, toutes les activités et tous les emplois ne se prêtent peut-être pas à cette transformation. « Ceux qui sont à l’aise dans ces dispositifs sont aussi ceux qui ont le plus de ressources pour s’y épanouir ». Dans les Scops notamment, on constate bien souvent que seule une minorité exerce son pouvoir et son contrôle. Cela montre que même dans les processus démocratiques, tous les salariés n’ont pas envie de s’investir, d’être responsabilisés…
La participation n’est pas inégalement répartie. Même dans le monde politique, on trouve un socle incompressible de gens qui ne veulent rien avoir à faire avec la politique, rappelle Loïc Blondiaux. « La majorité des citoyens souhaitent être mobilisés dans des contextes précis, de manière intermittente ». Nous ne devons pas en faire une fatalité pour autant, dit-il, rassurant. Ce que montrent les travaux sur la démocratie participative, c’est qu’on peut – « via des procédures adéquates, en montrant aux gens que leur investissement peut compter » – améliorer sensiblement la mobilisation. Or, la plupart du temps, on ne souhaite pas vraiment mobiliser les gens et c’est pour cela qu’ils ne se mobilisent pas ! « Les citoyens ne sont pas structurellement apathiques ! On peut les solliciter dans des cadres spécifiques en leur montrant aussi que leur participation peut produire des effets qui leur sont bénéfiques. »
Qui a vraiment envie de l’autogouvernance ?
Reste à savoir si nous sommes là face à un renouveau politique. « Le débat est ouvert ! » Dans la sociologie des mobilisations et des mouvements sociaux, Francesca Polletta qui a travaillé sur les mouvements en faveur des droits civiques aux Etats-Unis a montré que le succès de ces mouvements était relié à la vigueur des pratiques démocratiques internes, nous explique Loïc Blondiaux. Elle signale notamment que les formes de solidarité ou les pratiques d’intelligence collective leur ont permis de mieux répondre à leurs objectifs. Les pratiques démocratiques peuvent produire des effets d’efficacité. A l’inverse, les travaux de Robert Michels par exemple, montrent que dans les partis sociaux-démocrates Allemands, la prise de pouvoir d’un groupe d’acteur se fait plutôt avec l’assentiment des militants. Il en fait une sorte de fatalité. C’est ce qu’il appelle la loi d’airain de l’oligarchie, c’est-à-dire la tendance de toute organisation à sécréter une élite oligarchique. Deux visions s’opposent donc. « Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas évident de maintenir à la fois la verticalité du pouvoir et l’horizontalité des discussions ». Podemos, qui au début avait opté pour une organisation par cercle, a fini par opter pour un autre choix d’organisation : les militants avaient eux-mêmes opté pour une forme plus traditionnelle, notamment pour personnaliser le projet et désigner des responsables pour mieux discuter avec le monde extérieur (voir également les explications d’El Madrileno sur cette transformation de Podemos). Un constat qui interroge la possibilité même de voir se généraliser ce type d’organisation, estime le politologue. « Bien sûr, on pourrait avancer une hypothèse d’ordre anthropologique, un amour, un besoin de chef, une personnalisation des fonctions de pouvoir permettant seule de produire de la motivation, de la projection, de la confiance… Mais cette hypothèse est battue en brèche par le rejet fort d’une fraction de la population des figures d’autorités. Malgré ses échecs, Nuit Debout par exemple a suscité de l’enthousiasme, des engagements… ce que ne permettent plus les formes politiques traditionnelles. »
De là à projeter un transfert de ces modèles d’autogouvernance dans le monde politique… il y a un pas que le politologue hésite à franchir. « Certaines fictions politiques qui nous ont gouvernés – comme celle de la représentation – ne fonctionnent plus. On a besoin d’inventer de nouveaux dispositifs, de repenser la représentation qui ne soit pas uniquement de l’ordre d’une délégation, mais qui propose une interaction plus régulière entre représentants et représentés. Mais force est de constater que les expérimentations de démocratie directe, participatives, même à l’échelle locale se heurtent à des obstacles. A Saillans par exemple, ils ont réussi impliquer un quart de la population dans des groupes de travail, mais ils se heurtent à des réticences fortes à l’idée de se passer de la figure traditionnelle du maire. »
L’autogouvernance : une bien timide ouverture démocratique !
Si dans le monde politique il sera difficile de se passer de processus de représentation, dans le monde de l’entreprise, l’enjeu est peut-être différent, explique Loïc Blondiaux. En fait, les entreprises libérées font penser au fonctionnement des entreprises de la Silicon Valley. Si des marges d’initiatives sont laissées aux salariés en terme de prise de décision opérationnelle, les choix stratégiques ou la personnalisation du pouvoir y est beaucoup moins remise en cause. « Si dans l’univers politique on voit monter le thème de la participation, de l’association des citoyens aux décisions, j’ai l’impression que dans le monde de l’entreprise le salarié n’est pas invité à débattre des choix stratégiques ».
Pour le sociologue Dominique Cardon (@karmacoma), la question de la démocratie en entreprise demeure une question mystérieuse. Alors qu’on parle de la démocratie partout, de l’espace public jusque dans la famille, le couple, la relation… « On ne parle jamais de démocratiser l’entreprise ! » Même les revendications syndicales sur la question de la gouvernance sont inexistantes. Elles sont très fortes en ce qui concerne les droits des salariés, mais l’idée d’intervenir dans la décision industrielle et stratégique de l’entreprise ne donne lieu à quasiment aucune revendication, s’étonne-t-il. Il n’y a pas de délibérations démocratiques sur les choix stratégiques, comme d’investir un nouveau marché ou de déployer une nouvelle technologie ou un nouveau produit. Pas plus que sur les autres choix importants de l’entreprise d’ailleurs, pourrait-on compléter : ceux qui concernent l’investissement ou les recrutements notamment. C’est un peu comme si on ne se sentait pas le droit de participer à une décision, parce qu’on se range à l’idée qu’elle appartient aux propriétaires de l’entreprise. « On a pourtant tous un avis sur le déploiement de l’arme atomique en Corée ! Mais dans l’entreprise, c’est un peu comme si on faisait abstraction de nos avis politiques ! »
Loic Blondiaux pointe un autre critère de rapprochement. Les entreprises libérées reposent sur un leader charismatique qui soutient et encourage le processus. On trouve un peu la même chose dans l’expérience des municipalités espagnoles qui cherchent à changer le rapport à l’action publique : leur dynamisme vient des personnes qui les portent, comme les maires de Madrid ou de Barcelone. Il n’y a pas de raison qu’il y ait une disparition totale des facteurs personnels, du charisme, en politique. Bien souvent, les dispositifs participatifs qui fonctionnent, qui parviennent à faire de l’inclusion, reposent sur des figures de transfert qui favorisent la motivation et l’implication. Pour Loïc Blondiaux, nous sommes là face à un choc culturel… Et il est difficile de faire bouger les représentations du pouvoir. Si les outils, les procédures et les technologies peuvent redistribuer du pouvoir, cela fonctionne surtout avec des acteurs qui sont prêts à et capables de les utiliser. Les plateformes peuvent produire des effets de transformation. Mais le gouvernement n’est par nature pas horizontal, n’est pas plateforme. Trouver comment concilier ces principes différents ne se fera pas facilement.
Spécialiste des questions participatives et des solutions délibératives, notamment dans le domaine environnemental, Stephen Boucher (@StephenBoucher), directeur général de ConsoGlobe, vient de publier un Petit manuel de créativité politique. « Je suis partisan du mieux en démocratie… On a donc encore des marges de progression ».. Pour lui, ces dispositifs, comme ceux qu’on trouve aujourd’hui dans les Civic Tech, apportent des outils complémentaires aux dispositifs actuels. Pour autant qu’ils respectent un principe essentiel : donner plus de possibilités à différentes couches de la population pour participer. Dans ce domaine, pour autant qu’on reste vigilant sur l’égalité de la participation, tous les moyens sont bons à prendre ! « Les citoyens ne se soucient pas tant de la démocratie que de l’efficacité des politiques publiques. Ils veulent qu’elles répondent à leurs difficultés. » La créativité de ces méthodes et de ces dispositifs sont un moyen pour répondre à ces attentes. Les solutions de tirage au sort, de Sénat citoyen par exemple, permettent d’aborder les questions politiques autrement. Il en est de même pour les questions d’autogouvernance.
Reste que si ces pistes sont méritantes, sont-elles pour autant suffisantes ? L’enjeu n’est pas de préconiser une méthode parmi toutes. Ce sont les expérimentations qui vont nous permettre de faire mieux, explique Stephen Boucher. Reste que pour l’instant, effectivement, ces expérimentations ne font pas système ni ne transforment le système. Même dans la politique, l’enjeu n’est pas d’avoir des méthodes et outils qui rendent les citoyens égaux partout et tout le temps… Mais d’améliorer leur implication.
Effectivement. On voit bien que tout ce qui pourra faire bouger les lignes dans l’entreprise comme dans la politique est bon à prendre, tant les questions démocratiques semblent parfois encore bien loin. Vue sous cet angle, l’autogouvernance, malgré son caractère parfois peu démocratique, apparaît comme un grand progrès !
La démocratie en contexte
En fait, les entreprises autogouvernées, si elles ne sont pas pleinement démocratiques, organisent de nombreux moments démocratiques. Tout l’enjeu est d’équilibrer selon les phases, les contextes, l’environnement, les sujets, ce qui nécessite des décisions démocratiques de ce qui ne le mérite pas. En cela finalement, elles sont proches de nos régimes politiques, qui disposent également de moments démocratiques et d’autres moments régaliens.
Ce qu’elles nous montrent, c’est que cette tension démocratique est toujours en discussion, en négociation. Plus qu’une succession historique de régimes plus ou moins démocratiques, comme l’esquisse trop rapidement Frédéric Laloux, on voit bien que l’enjeu est celui d’une composition entre pratiques démocratiques et pratiques d’auto-gouvernance. Et que la réorganisation, la recherche d’un équilibre nécessite d’être sans cesse réinterrogé, recomposé.
De l’entreprise à la politique, on voit bien en tout cas que les interrogations sur les formes démocratiques se développent. Que les questions démocratiques réinterrogent les pratiques. L’enjeu n’est pas tant de passer d’un côté à une démocratie liquide que de l’autre de passer à des organisations autogouvernées, que de remettre en cause et de faire évoluer, toujours, nos modèles pour les améliorer. Et de ce côté-là, en politique comme dans l’entreprise, on ne peut que progresser.
Hubert Guillaud
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Merci pour cette excellente analyse. Je vous signale l’association http://www.soignonshumain.com, qui est la version française de Buurtzorg.
Je suis d’accord avec l’analyse et le parallèle proposé entre l’entreprise et la démocratie. On peut même étendre le parallèle à l’éducation (lire le dernier livre de Céline Alvarez) et peut-être plus surprenant encore aux organisations militaires (lire « Turn the ship around » de David Marquet ou « Team of teams » de Mc Chrystal). Il y a dans toutes ces organisation à la fois un problème de gouvernance et d’autonomie laissée à leurs acteurs. Pourquoi est-ce plus prégnant maintenant qu’il y a 20 ans? Probablement parce que le monde évolue plus rapidement, que la société est plus informée et qu’un certain nombre d’outils de communication numériques ont rendu la participation et la contribution de tous beaucoup plus simple (réseaux sociaux, blogs, crowdfunding). Je pense que nous sommes à un tournant et que toutes les organisations ont le devoir de se ré-inventer. Forcément, plus l’organisation est grande plus il est compliqué de trouver un nouveau modèle, les pratiques démocratiques à l’échelle d’un pays (voire d’un continent pour l’Europe) constituant sans doute l’enjeu le plus fort. La situation politique actuelle est pour moi le symptôme de l’obsolescence de nos institutions, il est temps de proposer des moyens d’impliquer les citoyens plus régulièrement que tous les 5 ans, de les associer à la gouvernance du pays et de faire en sorte que « chacun ait du pouvoir » comme le dit Laloux.
Le collectif citoyen #MAVOIX présentera des candidats aux législatives de juin 2017 dans une cinquantaine de circonscriptions.
Ces candidats, appuyés par des groupes locaux, ne porteront pas un programme, mais une méthode : la traduction systématique du vote des citoyens sur une plateforme en ligne dans l’hémicycle. Une vraie démocratie directe.
Je vous ai fait la version courte, vous trouverez plus d’informations sur le site Web https://www.mavoix.info.