Un monde à réparer (1/2) : les cultures de la réparation

L’un des grands thèmes du colloque Ecologies Mobiles tenait assurément du sujet de la réparation.

La France est un pays à la pointe des questions d’économie circulaire, estime Erwann Fangeat de la direction économie circulaire et déchets de l’Ademe, l’agende de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, lors du récent colloque Ecologies Mobiles. Qui en donne pour preuve la récente loi anti-gaspillage adoptée fin janvier, qui, parmi les nombreuses mesures qu’elle regroupe, prévoit notamment de développer un indice de réparabilité (dès 2021) et de durabilité (pour 2024) sur 5 familles de produits et de développer une filière pour les pièces détachées. « Notre économie linéaire a atteint ses limites. On extrait, on fabrique, on distribue, on consomme, et ce de plus en plus rapidement. Or, la question de la finitude des ressources nous interpelle sur les risques de pénurie, sauf que nous n’avons pas d’indicateurs marquant pour les économiser », à l’image de l’objectif des 2 degrés du réchauffement climatique. Certes, nous disposons du calcul de l’empreinte écologique (qui rappelle qu’il faudrait 2,9 planètes si l’humanité vivait comme les Français) et du jour du dépassement (début mai pour la France)… Mais ils n’ont pour l’instant pas le même impact.

Pour passer à un modèle économique circulaire, l’Ademe a défini plusieurs leviers à actionner : mutualiser les ressources, favoriser l’écoconception, développer l’économie de la fonctionnalité pour faire durer, ainsi que plusieurs leviers liés à de nouveaux comportements de consommation reposant sur la sobriété. Ces enjeux consistent à favoriser des produits plus durables et mieux réparables qu’ils ne sont pour allonger leur durée de vie. Et bien sûr, améliorer la question de la fin de vie des produits, notamment de leur recyclage.

La question des ressources montre qu’à terme nous devrons faire face à des pénuries, à des ruptures d’approvisionnement, voire à des conflits et ce d’autant plus que les stocks notamment de certains métaux et terres rares, dépendent souvent d’un petit nombre de producteurs, estime Fangeat. Cette pénurie pose d’autant plus question que la consommation comme le nombre de consommateurs s’accroissent. Tous nos équipements ont un impact environnemental, d’où l’importance de travailler à l’allongement de leur durée de vie. L’Ademe a mené des études pour évaluer l’impact environnemental de l’essentiel de nos équipements électroménagers (cf. la Face cachée des objets), comme de nos chers smartphones. Un smartphone de 200 gr nécessite d’extraire 200 kg de matières, dont quelque 50 métaux stratégiques (comme le néodyme, le tantale, le cobalt, le lithium… ainsi que des métaux précieux) : son impact environnemental est directement lié à la taille de l’écran et les ¾ de son impact est lié à sa fabrication. D’où l’importance d’être sobre, de limiter son renouvellement, d’entretenir ses appareils pour prolonger leur durée de vie : « un smartphone reconditionné a un impact environnemental 10 fois moindre qu’un neuf ! » L’enjeu de la loi anti-gaspillage est de venir aider le consommateur dans ses choix, notamment par l’indice de réparabilité. La loi prévoit également un début d’encadrement sur les questions publicitaire, quand 88 % des Français changent de smartphone alors que le leur ancien téléphone fonctionne encore. Elle pointe aussi les questions d’entretien quand 60 % du gros électroménager qui revient en usine dans les 2 ans pour une panne est lié à un mauvais entretien. Enfin, bien sûr, le recyclage, la réparation et le reconditionnement sont autant de comportements importants, d’autant que des millions de smartphones dorment encore dans nos maisons, comme l’a montré une étude (.pdf) de l’Ademe, soulignant la difficulté que bien souvent nous avons à nous en séparer, notamment du fait des données qu’ils contiennent, comme de vieilles photos ou de vieux SMS… L’enjeu d’allonger la durée de vie des produits reste essentielle : si la télévision, le lave-linge, l’ordinateur et le smartphone avaient une durée de vie supplémentaire d’un an, nous ferions une réelle économie sur notre empreinte environnementale, souligne le spécialiste de l’Ademe.


Image : Les ressources mobilisés par la construction de nos smartphones, via l’infographie de l’Ademe.

L’Ademe a fourni également plusieurs études sur la réparation : sur l’autoréparation, sur les métiers de la réparation et en prépare une sur la perception de la réparation. Pour les réparateurs, ceux-ci alertent depuis longtemps que leurs métiers sont sur le déclin. Ils rencontrent des problèmes de formation, notamment des difficultés à attirer les plus jeunes vers ces métiers, alors que les réparateurs trouvent souvent très rapidement du travail. Le problème est que a réparation se révèle de plus en plus complexe, notamment du fait de l’intégration d’objets connectés et de logiciels, qui rend la réparation de plus en plus difficile. C’est un secteur où il est certainement nécessaire d’améliorer la formation continue, souligne Fangeat, qui conclut en regrettant que le numérique soit encore trop souvent une contrainte, un frein à la transition plus qu’une opportunité.

Derrière la réparation, la question de la propriété

Nadine Benichou est la cofondatrice du Mobile Camera Club, une galerie d’art et un lieu de rencontre consacré à la photographie mobile. Pour le colloque Ecologies Mobiles, elle s’est intéressée au droit à la réparation. « Il semble que nous soyons de moins en moins propriétaires des appareils qu’on achète. C’est un constat que l’on a pu faire dès le début du numérique et notamment dès les années 2000, avec le déploiement des technologies de gestion de droits numériques (DRM) qui ont colonisé les fichiers musicaux comme les puces de reconnaissance des cartouches d’encre de nos imprimantes. » Pour ces dernières, le déploiement des technologies était lié à un modèle économique, celui dit des lames de rasoir imaginé par Gilette (mais qui a en fait été inventé par des compétiteurs de Gilette), consistant à offrir un produit en faisant payer des éléments renouvelables pour le faire fonctionner. Aujourd’hui, nombre de nos appareils reposent ainsi du du matériel fermé ou connecté, où la marque s’arroge un monopole d’intervention et de réparation, à l’image des luttes de nombre de fermiers américains qui ont recours à des tracteurs et machines agricoles John Deere, qui a appliqué ce modèle économique à l’ensemble de son parc de machine (voir par exemple, cet article de Motherboard qui revient en détail sur les difficultés que rencontrent les fermiers avec ce matériel).

Pour Nadine Benichou, le problème s’est aggravé en 1998 avec le Digital Millennium Copyright Act (DMCA), une loi qui introduit des mesures de protection techniques interdisant le détournement, criminalisant la distribution et la fabrication d’outils ou de services pour contourner ces différentes formes de contrôle d’accès. Pour nombre d’outils et de services, ces principes ont changé la donne. Les constructeurs invoquent les risques et dangers à réparer des produits complexes et dénoncent l’obstacle à l’innovation que représente son manque de protection. Mais l’un des principaux enjeux de ces mesures est de permettre à des entreprises de conserver leurs monopoles sur les services après-vente, les fournitures comme sur la réparation. Pourtant, il y a eu des exemptions temporaires (accordées tous les 3 ans et pour lesquelles il faut demander des renouvellements) à ces directives protectionnistes, comme pour autoriser le désimlockage ou le jailbreaking… L’une des dernières exemptions temporaires américaine qui date d’octobre 2018, ouvre le droit au jailbreaking des assistants vocaux, des tablettes, des smartphones, mais pas celui de bricoler (tinkering) les consoles de jeux… Les associations de défense des consommateurs US doivent donc déposer des recours réguliers pour renouveler ces exemptions temporaires, ce qui n’est pas sans générer des coûts et de la fatigue. Ces exemptions peuvent également être prolongées de lois sur le droit à la réparation votées par chaque État américain. Plusieurs États travaillent à mettre en place des « Fair Repair Bills » pour ouvrir ces questions en obligeant les équipementiers à fournir de la documentation et à permettre de passer par des réparateurs tiers. Une vingtaine d’Etats travaillent à ces questions, certains depuis 2015 : mais pour l’instant, aucune disposition n’a été adoptée du fait des lobbyings d’entreprises et de leurs représentants. Aux États-Unis, comme en Europe, le travail des associations pour défendre les droits des consommateurs est considérable et donc essentiel, que ce soit iFixit, Repair.org, l’Electronic Frontier Foundation, US PIRG, Hop, Repair.eu, CoolProducts.eu

L’Europe, finalement, est plus avancée que ne le sont les États-Unis sur ces questions, explique Nadine Benichou. En Europe, on dispose de directives-cadres sur l’écoconception, de standards d’étiquetage, de normes… L’Europe a des plans de travail pluriannuels pour fixer des règles spécifiques sur des groupes de produits : le dernier, qui s’est conclu fin 2019, a redéfini les règles d’écoconception du gros électroménager, en intégrant des exigences en matière de réparabilité et recyclabilité, et de mise à disposition de pièces détachées pendant 10 ans. Le prochain Working Plan va s’intéresser aux ordinateurs et smartphones.

En France, la loi sur la transition énergétique de 2015 a définit l’obsolescence programmée comme un délit. L’association HOP a lancé des actions contre des producteurs d’imprimantes et contre les ralentissements logiciels sur les iPhone d’Apple… Mais toute la difficulté pour ces actions est de prouver le caractère délibéré de la réduction de durée de vie d’un produit. Récemment, Apple a accepté de payer une amende de 25 millions d’euros, la plus grosse amende infligée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, mais au prétexte de défaut d’information.

Comme le souligne Hop, la loi contre le gaspillage et pour l’économie circulaire a d’autres atouts, comme l’interdiction de rendre les produits irréparables (que ce soit en verrouillant le logiciel ou en collant les composants). Elle prévoit également un fonds réparation, une extension de la garantie légale… ainsi qu’une garantie logicielle de fonctionnement durant 10 ans et une meilleure information sur les mises à jour… Le point noir de ces dispositions, estime Nadine Benichou, c’est que les sanctions demeurent très faibles…

« En Europe, notre point fort, c’est de contraindre les constructeurs à concevoir des produits plus durables et réparables. De l’autre côté de l’Atlantique, les Américains, assurément, comptent sur nous pour contraindre également leurs constructeurs à s’aligner sur les normes que nous définirons pour proposer des produits plus durables ». Le développement de la réparabilité passe assurément par le droit.

Dans la réalité de la réparation

Couverture du livre Quoi de Neuf de David EdgertonNicolas Nova, cofondateur du Near Future Laboratory, professeur associé à la Head et Anaïs Bloch, designer et anthropologue, présentaient le résultat d’un travail de terrain de plusieurs mois sur les boutiques de réparateurs de smartphone. Pour beaucoup d’usagers confrontés aux difficultés qu’ils rencontrent avec leurs appareils, le magasin de réparation offre des formes d’assistances multiples quand ils sont eux-mêmes dépassés. « La réparation n’est pas seulement une préoccupation d’ingénieurs ou de chercheurs » – renouvelée par les études sur la maintenance ou la réparation, à l’image, notamment, des ouvrages et travaux de l’historien David Edgerton (Quoi de neuf ?, Seuil, 2013), du spécialiste des sciences de l’information Steve Jackson dans son article « Repenser la réparation » .pdf), tiré du livre collectif Media Technologies (MIP Press, 2013, non traduit) et bien sûr des travaux des deux spécialistes français de ces questions Jérôme Denis et David Pontille -, « elle s’ancre aussi dans une réalité de terrain qu’il faut explorer ».

Image d'un réparateur en pleine réparation extrait du site Mobile Repair CultureLa designer Anaïs Bloch présente le travail ethnographique réalisé à la Head sur les cultures de la réparation mobile qui a consisté à visiter des magasins de réparations, des fablabs, des hackers spaces, des repair cafés… à mener des entretiens et à documenter les pratiques, pour regarder les outils, les manuels, les formes de documentation utilisées… L’enjeu, continu Nicolas Nova était de saisir les pratiques : comment réparer des objets qu’on n’est pas toujours censé réparer ? Quelles compétences cela mobilise ? L’enquête a surtout souligné que les lieux dédiés à la réparation sont plus divers qu’on ne le pense : nombre d’entre eux se révèlent ainsi très spécialisés (certains dans la réparation d’écran, d’autres dans la réparation de boutons, d’autres encore dans la récupération des données…) avec des formes de collaboration et de recommandations entre eux selon leurs spécialités. Si la métaphore narrative de ces lieux tient plutôt du monde médical (le marketing souligne souvent qu’on y soigne les objets et les clients), il semble plutôt s’inspirer des rhabilleurs de l’industrie horlogère suisse, chargés de la seule réparation. Les techniques mobilisées sont également multiples : parfois cela consiste simplement à dépoussiérer un appareil, parfois à pratiquer des microsoudures… Une fois le diagnostic posé on y répare plus le hardware que le logiciel, les écrans et les batteries principalement, mais on y pratique aussi beaucoup de services de transferts de données… Si on y trouve une certaine conscience de ce qui est autorisé ou pas, celle-ci est parfois fluctuante, notamment par exemple quand des clients demandent à installer des systèmes de surveillance sur un téléphone. Les tarifs eux-mêmes fluctuent avec les niveaux d’expertise des réparateurs, allant de ceux qui ont des capacités en électronique à ceux qui apprennent sur le tas. Les réparateurs utilisent beaucoup d’instruments spécifiques, pour beaucoup bricolés… Ils fonctionnent sont souvent en réseaux, utilisent des groupes WhatsApp pour discuter. Mais les techniciens ont également beaucoup recours à des carnets de notes, à des photos et schémas pour documenter leurs propres manuels et leur expérience.

Un autre enjeu est d’obtenir des pièces détachées : là encore, certains réparateurs sont uniquement spécialisés dans cette fourniture, d’autant qu’il faut savoir couvrir une large gamme de demandes et de composants.

Enfin, ces boutiques ont également tout un pan d’activité de conseil sur l’utilisation des téléphones, comme pour prolonger la durée de vie des batteries. Mais pas seulement, l’une des surprises de l’enquête a été de montrer que leurs interventions débordent largement au-delà des problèmes techniques : des clients viennent pour prendre un rendez-vous ou faire des démarches administratives qu’ils n’arrivent pas à faire par exemple, un peu comme les anciens magasins de photocopieuse se retrouvaient parfois à devenir écrivains publics ou graphistes pour leurs clients.

Derrière les figures emblématiques des makers et des fablabs, perçus il y a 10 ans comme des lieux de capacitation, de domestication du numérique (souvenons-nous de l’ouvrage éponyme et emblématique de Chris Anderson), émergent dans ces boutiques une autre réalité, plus marginale, qui tient plus du « contre-faire » qu’évoque la chercheuse Laurence Allard, organisatrice de ce séminaire. Une forme d’artisanat numérique existe ici, dans ces « patchs », à la fois insérés dans le monde marchand et à la fois ouverts à des formes plus collaboratives.


Image : Comment la réalité de la réparation se confronte à ses imaginaires. Image extraite du premier numéro (.pdf) du webzine Mobile Repair Culture, produit par Nicolas Nova et Anaïs Bloch.

Pour Cyprien Gay, cofondateur du Repair Café du 5e arrondissement de Paris, venu témoigner d’une autre réalité de la culture de la réparation, le boom des Repair Cafés est un moyen pour les gens de retrouver de l’autonomie, de se réapproprier les objets et leurs fonctionnements. La culture des cafés repose sur la pédagogie et la participation : le tournevis pour réparer un grille-pain ou une bouilloire, les deux appareils que les gens amènent le plus, est toujours placé dans les mains du visiteur, rappelle-t-il. Bien souvent, les pannes sont très simples, tiennent plus du nécessaire apprentissage à prendre soin des objets qu’autre chose. « Réparer est un moyen pour se réapproprier les objets, se projeter dans l’action. Comme un premier pas pour commencer à prendre soin du monde ! » Là encore, comme dans les magasins de réparation, les Repair Cafés donnent à voir une autre réalité de la réparation, bien loin des figures héroïques…

Le dernier intervenant de cette table ronde, l’artiste Benjamin Gaulon (@recyclism), s’est longtemps intéressé à l’obsolescence plus qu’à la réparation. Fasciné par l’erreur dans les technos, Benjamin Gaulon travaille depuis longtemps sur les bugs, anomalies et autres glitchs. Dès 2001, il a créé un site où les internautes pouvaient partager les documents, notamment abimés, qui étaient dans les poubelles de leurs ordinateurs, afin de les remixer, les réutiliser, les transformer. Il a aussi créé des outils (comme Uglitch et Corrupt Video) permettant de reproduire ces erreurs, d’endommager des fichiers. Inspiré par les pratiques de Torrent poisoning (consistant, à la grande époque du P2P, pour les studios, à empoisonner des fichiers pour tromper et piéger les utilisateurs), il a également pratiqué le Retail Poisoning, consistant à corrompre et faire dysfonctionner les applications numériques des ordinateurs exposés dans des magasins d’électroniques.

Ces travaux sur la corruption et les déchets de nos ordinateurs, l’ont amené à s’intéresser au recyclage, par exemple en utilisant de vieilles manettes de la console de jeu NES pour créer un outil pour jouer de la musique à plusieurs. Tout un pan de son travail explore ainsi ce qu’il appelle le « recyclage critique », à l’image de sa série ReFunct Media, des installations qui réutilisent des objets électroniques obsolètes sous forme de chaînes pour créer de nouvelles formes de relations entre eux, complexes et instables.

Benjamin Gaulon a continué à s’intéresser au recyclage en lançant l’Institut de l’internet des objets morts, en créant un système d’exploitation open source pour le Minitel, afin de permettre de remettre en marche les innombrables terminaux que beaucoup ont encore dans leurs débarras. L’artiste est également à l’initiative du festival ReFrag et de la No School – une communauté d’artistes critiques des technologies, qui tient à Nevers un événement entre festival et résidence qui s’intéresse au recyclage, à la réappropriation du numérique.


Image : Minitel SE par Benjamin Gaulon.

Dans la discussion qui suivit, une personne demandait ce qu’il en était du volume d’activité de la réparation. Pour Erwann Fangeat, le nombre d’artisans réparateurs, dédiés à l’électroménager ou à la télévision, est en chute libre, alors qu’effectivement les réparateurs de smartphone et d’ordinateurs, eux, ont explosé, tout comme les repair Cafés. Ce que confirme Nicolas Nova : si on constate sur le terrain une forte volatilité des magasins de réparation de smartphone, ceux-ci ne cessent de renaître, de se transformer, d’évoluer, de s’adapter, à mesure qu’ils ferment et rouvrent. Erwann Fangeat rappelle que seul ce qui n’est plus sous garantie est souvent rémunérateur pour les réparateurs : ce qui est encore sous garantie étant souvent géré par la grande distribution, ses salariés et ses sous-traitants. Pas étonnant donc que les artisans réparateurs soient souvent opposés à l’allongement de la garantie, mais ils n’ont pas de fédération professionnelle pour se défendre… même face aux chaînes pour lesquelles ils travaillent souvent au forfait. Nicolas Nova rappelle encore que les relations entre réparateurs et industriels sont anciennes et s’entrecroisent sans cesse : les marques observent de près ces pratiques de réparation, de contrefaçon, de production de tutoriels comme ceux qu’on trouve sur iFixit. Ces relations connaissent des hauts et des bas, et les ingénieurs et designers du monde industriel n’ont pas toujours non plus une grande maîtrise de toutes les évolutions et de toutes les complexités avec lesquels ils se débattent parfois eux-mêmes.

Reste à savoir si le bricolage est la seule façon d’échapper au monde capitaliste. Pas sûr, esquisse Nicolas Nova, en rappelant que dans les boutiques pour Hipster, on peut acheter des polaroïds remis à neufs… La revalorisation des objets est aussi récupérée… À l’image des kintsugi japonais, une technique utilisée depuis le XVe siècle qui consiste à réparer des pièces de porcelaine ou de céramique avec de l’or, leur donnant ainsi plus de valeur encore qu’elles n’en avaient. Des exemples qui renvoient à des formes de combinaison, de détournements, de « créolisation technique » qu’évoquent tant l’historien David Edgerton que Nicolas Nova lui-même, pour parler de ces formes hybrides techniques inédites qui préfigurent des formes d’innovation originales dans un contexte de crise écologique. Sous cet angle, la réparation n’a pas que la vertu d’un monde enfin ré-appropriable…

Hubert Guillaud

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