Sommes-nous proches d’une société à la Minority Report ?

Une équipe de neuroscientifiques a réussi à identifier les intentions d’êtres humains juste avant qu’ils ne passent à l’acte. Menée par John-Dylan Haynes au sein des équipes de « Sciences cognitives » de l’Institut Max Planck, l’expérimentation consistait a demander à huit volontaires de décider – sans le dire – s’ils voulaient additionner, ou soustraire, les numéros qui allaient leur être présentés. En utilisant un scanner IRM pour identifier les zones actives de leurs cerveaux, et un logiciel pour les analyser, les chercheurs ont réussi à identifier, dans 70 % des cas, ce que les cobayes avaient effectivement décidé de faire. Le résultat détaillé de leurs recherches, Reading Hidden Intentions in the Human Brain, vient d’être publié dans la revue Current Biology.

Brain ScanLeur communiqué de presse avance que « c’est la première fois que l’on parvient à lire dans l’activité du cerveau la manière dont une personne a décider de se comporter dans le futur« . Dans le NewScientist, Haynes estime que ces recherches pourraient, un jour, permettre à des handicapés d’effectuer des tâches complexes à partir de leurs seules impulsions cérébrales. Ainsi, s’il est possible, aujourd’hui, de les aider à sélectionner des lettres au moyen d’un curseur contrôlé par la pensée, il suffirait simplement, à terme, de penser à une lettre voire, pourquoi pas, à un mot entier ou encore à une action à effectuer, pour qu’ils soit identifiés et reconnus comme tels.

Sciences et avenir tempère toutefois l’enthousiasme de son confrère : le logiciel avait « à la base une chance sur deux d’avoir la bonne réponse » et par conséquent, passer de 50 % à 70 % de bonnes prédictions constitue une avancée significative, mais guère révolutionnaire ; et par ailleurs, « dans la majeure partie des cas, la personne ne choisit pas entre deux actions mais décide d’une action parmi une foule de possibilités. Reste à voir si la programmation du logiciel peut aller jusque là« .

Interrogé par le Guardian, Haynes n’a pas ces prudences. Imaginant que ces techniques pourraient être un jour utilisées dans le cadre d’interrogatoires de police, il en appelle d’emblée à un large débat public : « Nous avons besoin de débattre des implications éthiques de ces technologies, afin de ne pas être pris au dépourvus, dépassés ou orientés dans la mauvaise direction. Il ne nous reste plus que quelques années avant d’y parvenir, et nous avons vraiment besoin d’y être préparés« . Plusieurs scientifiques et commentateurs partagent ce point de vue, mais en partant de points de vue sensiblement différents les uns des autres.

Reading Hidden Intentions in the Human BrainDans sa chronique pour Wired, Jennifer Granick, directrice du Center for Internet and Society de la faculté de droit de Standford, rappelle que la presse grand public a tendance à sur-interpréter les avancées scientifiques en matière de neurosciences. « Ces chercheurs ont sans conteste mis à jour des phénomènes physiologiques qui ouvrent la voie à de futures expériences, mais on est toujours loin de lire dans les pensées. (…) Les neurosciences et les biosciences sont toujours incapables de prédire de manière exacte le comportement humain. Ceci constitue à mon sens une objection déterminante contre la tentation d’une justice préventive – si nous ne savons pas prédire des comportements à venir, nous risquons de criminaliser des innocents. » Autrement dit, c’est l’immaturité des bases scientifiques qui constituerait l’argument décisif.

D’autres pensent qu’il faut d’emblée réfléchir aux questions de principe qui sous-tendent ces recherches et leurs possibles applications, quel que soit leur état d’avancement actuel. Barbara J Sahakian, professeure de neuropsychologie à l’université de Cambridge, fait partie de ces scientifiques qui, l’an passé, ont décidé de créer leur propre comité d’éthique, la Neuroethics Society. Interrogée par le Guardian, elle s’interroge : « voulons-nous d’une société à la ‘Minority Report’ où nous pourrions prédire, à tort, des crimes avant qu’ils ne soient commis ? Pour certaines de ces technologies, ce n’est qu’une question de temps« .

Sans négliger l’importance de ces interrogations, on soulignera qu’entre une expérience qui améliore de 40 % la fiabilité d’une prévision dans une situation où seuls deux choix sont possibles, et la possibilité de prédire longtemps à l’avance un comportement criminel, il y a tout de même un monde…

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  1. Les travaux scientifiques (de Claire Sergent par exemple) sur la conscience nous rapprochent également de ce sujet;

    (voir Science&Vie,Mars 2006, et http://www.lexpress.fr/info/sciences/dossier/neurodon/dossier.asp?ida=438156)

    Ces travaux montrent que notre cerveau peut avoir décidé d’une action avant que nous n’en ayons conscience, ce qui est tout à fait le thème du film.

    Cela pose évidemment la question de l’existence du libre arbitre, comme débattu dans cet article :

    http://www.nytimes.com/2007/01/02/science/02free.html?_r=1&ref=science&pagewanted=all&oref=slogin

    ( ou plutôt ici : http://www.templeton.org/pdfs/articles/Free%20Will_%20Now_You_Have_It,Now_You_Don't-New_York_Times.pdf)

    « A human can very well do what he wants, but cannot will what he wants. »