L’avènement de la génomique personnelle

ADNVoilà ça y est, c’est arrivé. Lorsqu’au début de cette année, nous nous faisions l’écho des propos de Georges Church, parus dans The Edge, qui affirmait que cette année serait celle où chacun pourrait avoir connaissance du contenu de son génome, sa prédiction pouvait paraitre quelque peu exagérée. Et pourtant, pas moins de trois sociétés offrent ces jours-ci la possibilité pour tout un chacun de connaitre le contenu de son code génétique, pour la somme de 1000 $ environ (700 euros), soit le prix d’un PC d’entrée de gamme avec son écran plat.

Les compagnies 23andme, DeCode Genetics et Navigenics se lancent en effet simultanément sur le même marché. En échange d’un échantillon de votre salive, ou d’un frottis de l’intérieur de la joue, il deviendra possible non seulement de traquer votre généalogie dans ses moindres détails, mais également de connaitre vos points faibles et les maladies qui vous guettent – et peut être un jour (on n’en est pas là) certains de vos traits de caractères.

Comment ces sociétés arrivent-elles à proposer un tel service à un coût aussi bas ? En fait, ce n’est pas l’ensemble des gènes qui sont présentés au client, mais un échantillon représentatif. En effet il existe 3 milliards de paires de base dans l’ADN humain. 23andme, par exemple, en repère environ 600 000 … Les séquencer toutes couterait environ 1 million de dollars. C’est le prix qu’a demandé, par exemple, l’analyse du génome de James Watson (oui, le même qui s’est ridiculisé il y a quelques semaines en tenant des propos racistes).

Mon génome pour quoi faire ?
Des trois sociétés, 23andme (pour « 23 pairs de chromosomes et moi »), lancé par Linda Avey et Anne Wojcicki, l’épouse du fondateur de Google (qui a investi dans cette start-up) propose le plus de services. Leur site web présente aux abonnés trois types de fonctionnalités :

  • Genome labs sert à cartographier le génome. Elle permet, comme le dit Amy Harmon dans le New York Times de « googler son propre ADN » en dressant la liste des paires de base susceptibles d’affecter le plus de variations (on parle de SNP, « Single nucleotide polymorphism« , pour désigner ces paires de base polymorphes) et les référençant dans de longues listes techniques, totalement kabbalistiques pour le profane. Un « Genome Explorer » permet de vérifier le contenu des SNP référencés en tapant son nom, ou de naviguer à l’intérieur d’un chromosome et surtout de chercher de l’information sur chacun dans des bases de données spécialisées ou dans Google Scholar.
  • Genome journal est une espèce d’encyclopédie interactive permettant de tirer parti de son information génétique en la comparant aux dernières recherches médicales. Il permet de mesurer, graphiquement et simplement, votre potentiel à développer telle ou telle maladie.
  • Et Ancestry, enfin, trace les origines de la famille de l’abonné. En analysant certaines configurations génétiques particulièrement signifiantes, il est en effet possible de déterminer cartographiquement l’origine de sa lignée. On peut également via ce service remonter assez loin dans ses origines via le côté maternel, grâce à une base de données de génomes de personnes célèbres et de types humains. Pourquoi maternel ? Parce que ce système repose sur l’ADN mitochondrial, qui se transmet essentiellement par la mère et peut donc traverser des générations sans altération majeure.

La fonction Journal de 23anMe La fonction Ancestry de 23andMe La fonction Labs, la base de génomes

Une révolution génomique est elle en train de s’installer ? Peut être, mais cela ne va pas aller sans de graves soubresauts. Il y a déjà le problème de la lecture et de l’interprétation, comme nous le disions la semaine dernière. Lorsqu’on effectue des tests sur des maladies génétiques rares, c’est relativement facile : la mutation concernée se trouve sur un point précis d’un gène, on l’a ou on ne l’a pas. Mais pour des problèmes plus fréquents, le risque est réparti sur des dizaines de gènes. Calculer ses chances de développer un infarctus ou un cancer, s’effectue en fonction de nombreux paramètres dont on connait encore très mal la combinaison. Sur ce point, chaque utilisateur est seul face à lui même, 23andme donnant simplement à chacun les moyens de tirer ses propres conclusions (Navigenics, au contraire, propose des entretiens téléphoniques personnalisés avec des conseillers en génétique).

Quels enjeux pour la génomique personnelle ?
Reste à connaitre l’impact qu’une telle connaissance aura sur notre quotidien. La réaction de la journaliste du New York Times, qui a effectué ses tests via 23andme, est significative. « Par exemple, l’autre jour, j’ai eu mal au mains. Alors évidemment, j’ai été voir mon ADN. » Son but ? vérifier si elle avait hérité de l’arthrite de sa grand mère…

Autre passage intéressant : « Je manque apparemment de prédispositions pour la mémoire verbale… Devrais-je enregistrer plus souvent mes interviews ? Non ai-je décidé. L’ADN n’est pas définitif. » Soit, mais il faut une sacrée force de caractère, et une bonne connaissance de soi, pour décider de « ce qui n’est pas définitif » .

L’une des craintes que ce genre de service suscite chez les experts serait de voir se multiplier des patients inquiets des révélations de leur génome se ruer dans les cabinets médicaux à la recherches de maladies imaginaires ou réelles. Dans certains cas, cela pourrait avoir des conséquences dramatiques. Comme le raconte le généticien Jonathan Rothberg (qui travailla pour 454 Life Sciences, la société qui séquença l’ADN de Watson), « on ne devrait pas surfer sur une information médicale sérieuse. Une partie est amusante – la généalogie est amusante. Mais j’ai une cousine qui s’est suicidée lorsqu’elle a appris qu’elle avait la maladie de Huntington. »

La médecine n’est peut être pas l’unique cause du succès possible de ces sociétés. Elles constituent une nouvelle forme de loisir. Les sites web sont attractifs. Les informations sur la santé ne sont pas les seules disponibles. Les fanas de généalogie, un hobby très apprécié, y trouvent leur compte. Et le potentiel éducatif, l’attrait de la nouveauté joue beaucoup. « Surfer sur le génome » est un nouveau défi pour la génération internet.

« Je sais bien que toute cette information génétique est inutilisable pour un non spécialiste comme moi », explique l’éditorialiste et spécialiste des nouvelles technologies Kevin Kelly, « mais je suis impatient de voir séquencés mes gènes, c’est pour moi comme une école, cela accroit mon alphabétisme génétique. C’est un nouveau langage, avec sa syntaxe, sa vision du monde, et je veux me familiariser avec lui. Votre propre génome est le meilleur professeur. Quelque soit la connaissance médicale que vous en tiriez, ce n’est qu’un bonus. Mais même sans information susceptible de changer votre vie, c’est une étape importante dans la connaissance de soi. »

Autrement dit, ceux qui souscriront à ces services ne sont pas forcément les plus angoissés par leur santé. Ils seraient plutôt de la même trempe que les acheteurs des premiers micro-ordinateurs, voire des premiers robots programmables : avant tout des gens désireux « d’ouvrir le capot », de voir ce qui se passe dans les coulisses de notre corps, afin de se préparer, qui sait, à le « hacker » un jour ?

Vers une nouvelle identité !
Mais les conséquences sociales ne seront pas moindres que les effets sur l’individu. Les dangers sur la vie privée, sur l’emploi, sur la société sont largement connus et explorés : depuis Le meilleur des mondes d’Huxley jusqu’à Bienvenue à Gattacca, nous avons été avertis des dangers liés à l’exploitation du génome. Mais ces menaces pourraient bien être des épouvantails sans effets.

Tim Caulfield, professeur de droit appliqué à la santé à l’université de l’Alberta, mentionne dans un récent article (.pdf) pour la revue Science la possibilité de voir apparaître demain sites web analogues à Facebook permettant de faire du « social networking » autour des gènes : les gens partageant des caractéristiques communes se retrouvant pour discuter.

Dans le blog The Personal Genome, Jason Bobe, qui travaille avec Georges Church, mentionne le site PatientsLikeMe.com comme un exemple « d’ouverture » qui pourrait changer complètement le rapport à la santé.

« Aujourd’hui, la plupart des données sur la santé restent inaccessibles à cause des régulations dues à la vie privée ou aux tactiques propriétaires », explique la déclaration d’intention de ce site. « Cela a pour résultat de ralentir la recherche, et le développement de traitements révolutionnaires peut prendre des décennies. De plus les patients ne peuvent obtenir les informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions importantes quant à leur traitement. (…) Nous croyons que les données vous appartiennent à vous patients, avec la liberté de les partager avec d’autres patients, des travailleurs sociaux, des médecins, des chercheurs, des compagnies pharmaceutiques ou médicales, et quiconque est susceptible d’aider les patients à mieux vivre. »

Les adeptes du génome personnel enlèvent la propriété de l’ADN à l’institution médicale, pour la rendre aux patients, qui peuvent en faire ce qu’ils veulent. Ce qui ne va pas sans entrainer un nouveau rapport à la médecine, le « docteur » cessant d’être une figure de l’autorité pour devenir un prestataire de services comme les autres devant faire face à des demandes de plus en plus informées, mais aussi de plus en plus exigeantes et inquiètes. On peut aussi imaginer la constitution de nouvelles identités, avec l’apparition de revendications inédites, demandant l’adaptation de l’école, de l’entreprise, de l’administration aux caractéristiques des porteurs de tel ou tel gène. Il est probable que la génomique personnelle va apporter avec elle une bonne dose de chaos, d’angoisses et de remises en question. Mais il n’est pas certain qu’elle entraine l’avènement d’un ordre rigide de type « Meilleur des mondes » comme nous le promet une certaine science fiction…

Rémi Sussan

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0 commentaires

  1. Bonjour,
    Je trouve l’analogie avec « Bienvenue à Gattaca » tout à fait valable.
    On commence par regarder pour rire, puis vous le mettez en avant par rapport à votre assureur ou l’employeur (« regardez, avec moi pas de risque de Huntington »), puis les même vous demande quelques infos de leur propre initiative (« évidement vous pouvez refuser mais vous le voulez vraiment ce job ? »), puis ils prennent directement la source d’info par une prise de sang quand c’est devenu socialement accepté.
    Sans parler des dérives policieres / judicieres possible.

    Mais comme vous, je crains qu’on ait « des épouvantails sans effets. »

  2. En généalogie, nous sommes très enthousiastes envers ces nouveaux services mais nous restons néanmoins très attentifs aux dérives possibles…

  3. Nous possédons accès de plus en plus facilement à des informations de plus en plus personnelles. En parallèle nous nous intéressons de moins en moins à la sécurité de ses informations voir nous diffusons librement toutes celles-ci à des entreprises privées sans lire les conditions d’utilisations (honnêtement, quel est le pourcentage d’utilisateurs de Facebook qui ont lu les termes du contrat et qui connaissent la loi en vigueur ? 1% ?). Je pense que beaucoup ne sont pas près à de tels progrès si rapides. La connaissance des bonnes pratiques devrait aller de pair avec la popularisation de tels outils mais je doute que ce soit le cas.

  4. C’est à mon sens l’intérêt de la partie de la science-fiction que Gérard Klein a largement promue, en particulier dans la collection «Ailleurs et demain» d’offrir un champ d’expériences de pensée, qui permet de préparer les débats et de devancer un certain nombre de problèmes.

    Dommage qu’une bonne partie de l’establishment culturel persiste à n’y voir qu’une sous-littérature populaire ou au mieux des délires apocalyptiques.

  5. effectivement, bienvenue à gattaca me paraît quand même très crédible.
    vous vous souvenez de cette scène : dans un bar, une jeune femme drague un homme. Elle lui demande un cheveu. curieux non ? et bien non, car dnas le bar, il ya un guichet d’analyse génique-minute. La jeune femme, avant de s’accoupler veut vérifier que son mâle est bien l’étalon qu’il lui promet.
    Glaçant comme scène non ?

    Et pourtant socialement, ça peut très bien arriver.
    En effet, des tests rapides de VIH (5-10min) sont désormais disponibles. Au nom de la santé et de la prévention des risques, qui nous dit qu’on ne sera pas habitué à faire des tests rapides VIH dans les boites, et autres clubs, avant de rentrer faire des calins à notre conquête d’un soir ?

    souhaitons nous vraiment que notre génome/biologie affecte et détermine notre vie sociale ? Evidemment, on répond tous en coeur : NON. Alors méfions nous des usages ludiques de la chose, qu’ils ne banalisent pas ce que nous refuserions présentés sans fard amusant.

  6. Bonjour,
    blaz >> Personnellement je suis plus concerné/consterné par la scène où l’obstétricien-généticien explique aux parents :
    1 – on supprime les risque avérés (trisomie, maladie génétique graves) : qui peut-être contre ?
    2 – on supprime les risque probables (sur poids, prédisposition au cancer, …) : en effet autant être prudent
    3- on supprime/ajoute les élément qui socialement facilitent la vie : un peu plus grand, un peu plus intelligent, un peu plus beau, … : la dérive commence mais ne voulez vous pas le meilleur pour votre enfant ?
    4 – cadeau bonus sur le mode « faites nous confiance ».

    Je pense sincèrement que cela va se passer comme cela : on veut le meilleur, et moins on a d’enfant, plus on veut le meilleur pour eux. Il va devenir acceptable d’aller de plus en plus loin. Vraiment un film d’anticipation, devrait être diffusé en boucle.
    Mais ce n’est que mon avis.

  7. Ps : au fait, vous en connaissez d’autres des films de ce genre : beau esthétiquement, bien fait, bon acteur et vraiment interpelant sur un sujet précis ?

  8. Lorsque j’ai vu le film « Bienvenue à Gattaca » lors de sa sortie, j’avais été très troublé et c’est véritablement l’un des films qui m’a le plus marqué (et pourtant j’en ai vu des films !)

    Ce qui se passe actuellement est très excitant mais terriblement dangereux car l’humain n’est pas devenu plus sage pour autant.

    Nous serions dans une civilisation, où la règle est coopération et non compétition, où comprendre l’autre passe avant faire passer sont point de vue, je serai plus rassuré.

    Là, ce n’est pas le cas, et cela me fait peur.
    Je suis étonné de ne pas entendre plus de philosophes s’emparer de la question.

  9. bien vu tout cela, mais c est deja trop tard, ily aura toujours un endroit ou un génial cerveau qui exploitera – qui exploite deja – le systeme.
    ce qui me tracasse davantage est d’une part le remodelage des races en fonctions de criteres ideaux adn, generant ainsi des groupes humains hierarchiquement puissants , donc l’autre = race d esclaves définitifs, conduisant à l’etablissement de gouvernements barrant l acces aux individus et d autre part l appauvrissement de l humain par le filtre de la selection.
    tant que l anarchie règne, on en souffre pas trop mais Dieu fasse que la systematisation totale ne se fasse jamais.