Bienvenue dans l’anthropocosme

Pour Joi Ito (@joi), le fameux pionnier du web devenu directeur du Media Lab du MIT, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, et ce n’est même plus l’anthropocène : il suggère le terme « anthropocosme » (anthropocosmos) pour décrire une « époque au cours de laquelle l’activité humaine est considérée comme ayant une influence importante sur l’équilibre, la beauté et l’écologie de l’univers entier. »

En effet, constate Ito, nous sommes rentrés ces dernières années dans une ère de colonisation de l’espace. Ce qui implique de nouvelles responsabilités vis-à-vis de l’univers, comme l’anthropocène implique de son côté des responsabilités concernant la Terre.

Mais pour Ito, notre nouvel environnement spatial risque de rencontrer des difficultés analogues à celles que rencontre l’univers virtuel que nous avons créé il y a trois décennies avec le web. Les intérêts particuliers de chacun risquent en effet de nuire au bien commun.

Mais quelles similarités peuvent-elles exister entre la conquête de l’espace et la création du web ? Il y en a beaucoup, insiste Ito. Elles partagent tout d’abord une histoire très similaire. Au début, l’exploration spatiale a été la chasse gardée des gouvernements et des complexes militaro-industriels. De même, avant l’internet, Arpanet était un projet de recherche lié à la guerre froide. Puis, après 1990, après moult délibérations, l’État américain accepta d’ouvrir sa propriété à de nouveaux acteurs issus de la sphère civile. De la même façon, la NASA a longtemps considéré l’espace comme sa prérogative avant d’accepter, en 2010, de s’ouvrir à de nouveaux partenariats.

Il y a un autre point commun entre l’espace et l’internet : la chute des coûts ! Tout comme l’informatique est devenue de moins en moins chère, lancer aujourd’hui un satellite ne coûte plus que quelques milliers de dollars. « À bien des égards, SpaceX, Blue Origin et Rocket Lab ressemblent à UUNET et PSINet – les premiers fournisseurs commerciaux de services internet -, ils réalisent plus efficacement ce que les réseaux de recherche financés par le gouvernement faisaient auparavant ».

Aux premiers temps de l’internet, rappelle Ito, différentes organisations, certaines privées, d’autres publiques, s’étaient réunies pour créer un espace commun auto-organisé. Les utilisateurs de l’époque avaient créé des organisations à but non lucratif comme l’ICANN pour gérer les conflits. C’était le temps heureux ou John Barlow écrivait sa « déclaration d’indépendance du cyberespace« …

Puis, petit à petit, de nouveaux entrants se sont installés sur la Toile, qui ne partageaient pas l’idéal utopique des fondateurs. Les « biens communs » ont été dévoyés par diverses compagnies plus intéressées par leur profit particulier que par la maintenance d’un espace commun : « Aujourd’hui, nous avons des quasi-monopoles, des services s’apparentant à des jardins fermés, entourés de murs ; l’internet mobile est payant et coûteux ; et le copyright est vigoureusement appliqué. Du point de vue du pionnier de l’internet, le cyberespace est devenu un lieu beaucoup moins hospitalier tant pour les utilisateurs que pour les développeurs, une tragédie des biens communs. »

Mais aujourd’hui, l’espace commence lui aussi à être pollué par les intérêts privés. Les débris spatiaux se multiplient. Ito imagine de futures publicités spatiales bloquant l’accès au ciel (à noter qu’il a écrit cet article avant la polémique créée par le récent lancer de satellites d’Elon Musk, accusé de nuire aux travaux des astronomes).

Il existe déjà aujourd’hui des tentatives de gouvernance internationale. La Station spatiale internationale en est un exemple, et l’ONU a également mis en place un traité de l’Espace. Mais, remarque Ito, le désir du vice-président Mike Pence de relancer la course à la Lune et à l’espace en accord avec le principe du « America first » cher à Donald Trump, risque bien de faire tomber à l’eau cet espoir de gestion des biens communs.

Il nous faut, dit Ito, créer des équivalents de l’ICANN pour l’espace, de préférence sous l’égide de l’ONU. Nous devons impérativement retenir la leçon de ce qui est arrivé au web, faute de quoi l’espace risque de nous réserver les mêmes déceptions que l’internet…

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