Dans un article de la Harvard Business Review, Michelle Weise, docteur en philosophie spécialiste de l’innovation dans l’éducation supérieure, explique qu’il est nécessaire de trouver une meilleure façon de visualiser les compétences des gens, dès lors que nous sommes dans une économie dont 48 % des nouveaux emplois vont demander à la fois des compétences techniques (hard skills), mais aussi des compétences plus sociales, communicationnelles, intellectuelles (soft skills).

Jusqu’à présent, les recruteurs se contentaient principalement des diplômes, parfois des notes. Avec l’évolution de l’économie de la connaissance sont apparus les badges, les certificats, pour justifier de nouveaux savoir-faire. Mais cela n’est plus suffisant pour montrer le potentiel d’une personne et surtout pour distinguer les candidats les uns des autres…

Github, réseau social et plateforme collaborative pour le développement de logiciels, est un modèle intéressant. En indiquant le nombre de révisions du code d’un projet sur un axe temporel, chacun peut voir l’implication d’un développeur dans un projet : plus le développeur contribue, plus la case est verte. Github permet même de transformer son profil en CV, à l’image de ce que propose depuis quelques années Gild, qui analyse les contributions des codeurs à Github pour mesurer leurs talents (voir « l’emploi à l’épreuve des algorithmes »). Le modèle de Github pourrait donc être étendu à tout projet collaboratif et à tout type de compétences (pas seulement informatiques). Ainsi, grâce à une grille de compétences, un employeur pourrait voir immédiatement la profondeur du profil du candidat et ses compétences, qui pourraient par ailleurs être illustrées par des expériences passées ou des projets en cours, en cliquant dessus. Pour le candidat, cela lui permettrait d’identifier les compétences à améliorer ou à acquérir.

L’année dernière, Burning Glass Technologies, une structure qui collecte des données sur le marché de l’emploi et aide les entreprises à faire le lien entre candidat et emploi, a créé une grille de compétences assez semblable à un profil GitHub pour montrer les compétences de base par domaine d’activité. Pour cela ils ont analysé des millions d’annonces…

Skill Dashboard propose également une grille de compétence individuelle ou pour des groupes. Les compétences sont classées selon 5 niveaux : Learn (Apprendre) / Practice (Pratiquer) / Act (Utiliser) / Teach (Enseigner) / Certify (Certifier).

En faisant une recherche rapide de visualisation des compétences, on trouve d’autres travaux, à l’image du CV interactif du designer Jan Günther…

On ne peut être que d’accord sur le fait de trouver un moyen de mieux visualiser les compétences des personnes, à la fois pour aider les employeurs à trouver le bon candidat, mais aussi pour aider les personnes à valoriser leur parcours professionnel (grâce à leurs activités extraprofessionnelles, leurs temps de formation…). Mais il n’est pas sûr que ces deux prétextes soient fusionnables parce qu’ils n’ont pas les mêmes objectifs.

Avant d’arriver à la visualisation des compétences, il faut penser à au moins 4 choses. Il faut réussir à faire émerger les compétences de gens à partir de leurs expériences professionnelles et extraprofessionnelles. Or, il n’est pas toujours évident d’arriver à décrire des savoir-faire, des compétences, surtout quand la personne manque d’expérience, de diplôme, et/ou de confiance en soi. Ensuite, une fois que l’on a la matière, il faut trouver un moyen facile de produire ce type de cartographie (or, ça demande déjà quelques connaissances). Il faut penser également à entretenir ce type de cartographie. Les compétences évoluent en fonction des différentes activités et ce n’est pas forcément quelque chose que l’on met régulièrement à jour, sauf si l’on est un indépendant en recherche constante de nouvelles missions. Enfin et surtout, il faut parvenir à évaluer les compétences elles-mêmes : qui dira votre niveau de maîtrise d’un logiciel ? Comment évaluer les compétences en management d’une personne ? Sur quels critères les comparer ? Quelle valeur donner à un niveau d’anglais par exemple, s’il est le fait d’un candidat ? Comment le comparer à un niveau donné, par un diplôme par exemple ?

Image : les compétences les plus demandées dans une quinzaine de fonction clefs selon une étude de Burning Glass Technologies…

La visualisation de compétences porte un ensemble de promesses, bien identifié dans le projet de Musette numérique de l’actif que nous menons avec la Fing, mais qui soulève des questions à mesure qu’on tente de lui apporter des réponses.

Pour finir, signalons encore le projet Cairn de Pauline Gourlet, chercheuse en design à l’université Paris VIII, présenté lors de la 1re Data Literacy Conference, organisé les 23 et 24 septembre à Aix-en-Provence, qui permet d’aborder la question de la visualisation de ses compétences en vrai, par la rematérialisation des données.

Cairn a pour objectif de rendre visible l’activité d’un fablab : après avoir choisi une cheville (selon la raison de sa venue) et l’avoir placé sur le plateau (selon le temps passé), il faut la compléter avec des pétales (selon les activités faites sur place : imaginer une forme, concevoir un objet sur un ordinateur, apprendre à utiliser une imprimante 3D, enseigner…). Le tout rend la compréhension de l’ensemble plus complexe (car tout le monde conçoit son cairn selon son cheminement personnel et sa perception), mais aussi plus profond, dans le sens où l’investissement dans la construction de son cairn est plus grand. Pour Pauline Gourlet, « grâce à cette méthode on est moins dans un processus automatique de questionnaire qui reste enfermé dans un écran. On entre dans une manipulation, le geste demande une réflexivité, on s’arrête en choisissant les pétales de bois et on se repose une deuxième fois la question. Les couleurs et les forment combinées au geste propose de relire l’expérience avec une certaine émotion. En plus les participants construisent leur parcours et le rendent visible à tous, donnant à voir ainsi une image collective du lieu. »

MAJ : Rue89 revient sur Clustree, une startup qui propose un algorithme capable d’analyser le parcours professionnel d’un individu pour transformer les compétences en données.