Comment protéger nos cerveaux du piratage ?

Pour le New Scientist, le futurologue Jamais Cascio (@cascio) rappelle que la face noire des progrès des neurosciences fait planer de nouvelles menaces sur notre intégrité cognitive. Pour les bio-éthiciens Marcello Ienca (@marcelloienca) et Roberto Andorno (Wikipédia), les nouvelles techniques d’observation, de collecte voire d’altération cognitive posent la question de leur régulation et de l’affirmation de nouvelles protections juridiques (voir leur article). Pourtant, nous ne cessons de manipuler intentionnellement nos cerveaux : des drogues à la méditation en passant par toutes les formes de manipulation de nos comportements… le développement de ces techniques se pose avec plus d’acuité à mesure qu’elles deviennent plus scientifiques et plus technologiques – ainsi que plus massives. Ienca et Andorno proposent d’établir 4 droits fondamentaux :

  • la liberté cognitive (le droit de modifier ses propres états mentaux avec les neurotechnologies) ;
  • la vie privée mentale (le droit d’interdire la lecture involontaire de son état mental, sa structure et son contenu) ;
  • l’intégrité mentale (le droit d’interdire la modification involontaire de son état mental, sa structure et son contenu) ;
  • et la continuité psychologique (le droit d’interdire l’application d’objets qui altèrent votre personnalité).

Bref, après avoir établi le droit à disposer de ses propres choix cognitifs, ces propositions se résument à un droit de dire non au fait de se voir imposer des interventions cognitives, résume le futurologue. Mais à peine posés, ils posent déjà questions. Quand Facebook tente d’agir sur l’humeur de ses utilisateurs, comme l’avait reconnu le réseau social en 2014, avec force polémiques, ne franchit-il pas une de ces limites ? Comment qualifier et mesurer les altérations intentionnelles des motivations des gens pour atteindre des objectifs sociaux, politiques ou économiques, comme le propose l’économie comportementale ?

Pour Cascio, les droits proposés par les deux chercheurs soulèvent de nombreuses questions : les parents ont-ils le droit de modifier les états mentaux de leurs enfants avec des neurotechnologies ? Devrions-nous avoir le droit de savoir si quelqu’un dont nous dépendons utilise des augmentations cognitives ? La société peut-elle dicter l’utilisation d’interventions neurotechniques qui pourraient offrir des avantages sociaux significatifs, à l’image d’une vaccination neurotech contre la pédophilie ? Pour Cascio, il est temps de débattre de ces enjeux avant que ces technologies ne se répandent.

Le Guardian, qui évoque le sujet également, le prolonge d’un article qui revient sur l’annonce faite en avril par Facebook, lors de sa conférence F8, de son fort intérêt pour le sujet. Regina Dugan, responsable du laboratoire d’innovation de Facebook Building8, révélait qu’une équipe de 60 personnes travaille à développer une technologie de lecture des ondes cérébrales pour interagir avec FB sans avoir à utiliser un clavier ! Plus que de discuter avec son smartphone sans l’utiliser, l’enjeu semble surtout de trouver un moyen pour rendre plus fluides les échanges utilisant la réalité virtuelle sur laquelle FB travaille avec acharnement. L’enjeu est de permettre d’avoir une interface de dialogue accessible facilement pour ceux qui ont un casque de réalité virtuelle sur les yeux.

Reste que si nous sommes encore loin du piratage, comme le soulignait il y a peu Rémi Sussan ou plus encore des enjeux qu’esquisse Regina Dugan, la menace de la lecture de nos réactions émotionnelles pour en inférer des opinions ou des croyances semble, elle, effectivement se rapprocher, et ce, sans avoir besoin de capter les ondes cérébrales des utilisateurs…


Image : Regina Dugan, responsable de l’innovation matérielle de Facebook, sur la scène de la conférence F8, évoquant la possibilité des interfaces cognitives, via le Guardian.

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