De la réalité virtuelle et de l’empathie

La réalité virtuelle (RV) va rendre les gens meilleurs, parce qu’elle est « la machine ultime de l’empathie », estimait le spécialiste de l’immersion interactive Chris Milk (@milk) du studio Within, à TED, l’année dernière.


Image : des visiteurs à l’exposition Forced From Home de Médecins sans frontière, une exposition virtuelle interactive pour comprendre ce que vivent les réfugiés.

Les expériences immersives ne sont pourtant pas encore des éléments qui changent la donnent, des game-changer, explique le psychologue Paul Bloom pour The Atlantic. Alors qu’elles sont de plus en plus utilisées pour créer des moments d’immersion, prendre conscience du monde, faire l’expérience d’autrui en transformant leurs utilisateurs en SDF, en réfugiés ou en paralytiques… force est de constater que ces projections peinent à délivrer réellement leur message. Si elles engagent leurs publics, si elles ont une valeur éducative, ces dispositifs immersifs ne changent pas les gens pour autant, souligne Paul Bloom (@paulbloomtyale) qui a fait paraître un livre sur le sujet : Contre l’empathie : le cas de la compassion rationnelle. En fait, la réalité virtuelle se révèle même plutôt trompeuse pour comprendre ce qu’est un réfugié, un sans-abri ou une personne handicapée. L’horreur de l’expérience de réfugié a peu à voir avec les sons et les images d’un camp, mais bien plus avec la peur et l’anxiété de fuir son pays et de se retrouver dans un pays étranger. Mettre un casque sur sa tête ne suffit pas à éprouver ces types d’angoisse, pas plus que de se rendre en ville sans portefeuille permet de comprendre la réalité de la pauvreté.

Les expériences immersives permettent à ceux qui les expérimentent de garder le contrôle. Ils peuvent arrêter quand ils le souhaitent, comme c’est le cas quand on fait une partie de paintball ou qu’on se rend dans la maison hantée d’un parc d’attractions. Ces expériences demeurent toujours très courtes et éphémères, alors que dans la réalité c’est la durée, leur répétition et le fait que vous n’ayez aucun contrôle sur ce qui vous arrive qui rendent ces expériences réelles dramatiques. Enfin, ceux qui vivent des expériences invalidantes s’habituent et s’adaptent. Comme le souligne la spécialiste en médecine de réadaptation Arielle Michal Silverman dans une étude sur la simulation de la cécité, ces simulations donnent l’impression erronée que l’intégralité de l’incapacité est marquée par la perte, la frustration et l’incompétence. Des étudiants invités à porter des bandeaux sur leurs yeux pour se rendre aveugles estimaient que les aveugles devaient surtout éprouver quotidiennement de la peur, de la colère, de la confusion et de la détresse. Ce qui n’est pas réellement le cas parce qu’ils s’adaptent à leur handicap. Au mieux, estime la psychologue, ces simulations d’invalidités offrent l’expérience de devenir aveugle, plus que de l’être…

Si l’empathie ne se suffit pas à elle-même, reste, estime Paul Bloom, qu’on peut imaginer des dispositifs de réalité augmentée qui simulent non pas l’environnement des individus, mais leurs expériences psychologiques. Ces vraies machines d’empathies existent depuis longtemps, on les appelle des livres ! Car pour comprendre la vie des autres, finalement, on n’a pas encore inventé mieux.

C’est oublier néanmoins qu’il n’y a pas que les mots qui y parviennent. Les images, les films ou les séries notamment, y arrivent très bien. A croire que le défaut d’empathie de la réalité virtuelle est encore de trouver la bonne modalité expérientielle.


Image : le salon de beauté futuriste et virtuel de NeuroSpeculative AfroFeminims.

Tim Wu pour le New Yorker, ne dit pas autre chose, en pointant les limites des productions de réalité virtuelle croisées au festival Sundance. Les nouveaux médiums réussissent en offrant non pas une version améliorée de ce qui était fait avant, mais en offrant quelque chose de profondément différent présenté d’une manière inattendue. Les projets de RV qui tentent d’améliorer ou de traduire ce qui existe déjà ont peu d’espoir de remporter la donne, à l’image des jeux vidéos en RV, qui n’ont pas été jusqu’à présent les succès espérés. L’essentiel est d’apporter aux gens une expérience différente, en nature ou en intensité, qui justifie le besoin de chausser des lunettes. Tout l’enjeu de ces systèmes est de parvenir à proposer des émotions que les gens ne peuvent pas trouver par d’autres moyens. Reste que le projet qui a le plus impressionné Tim Wu à Sundance s’intitule NeuroSpeculative AfroFeminims, produit par Hyphen Labs, qui plonge les protagonistes dans un salon de beauté futuriste où la culture black est la culture par défaut, invitant les femmes de couleur à s’approprier leur futur. Une forme d’expérience empathique semble-t-il… mais qui semble avoir trouvé une meilleure modalité d’expérience.

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