Les calculs des prestations sociales tendent désormais partout à s’automatiser – et ce d’autant plus que leurs calculs sont souvent complexes, dépendant de multiples règles, lois, cas et spécificités. Au Royaume-Uni, l’ONG Human Rights Watch (@hrw) s’est penché sur les modalités de calcul des prestations sociales et les conclusions de son rapport, intitulé « L’automatisation de la précarité » sont accablantes.
Au Royaume-Uni, le calcul des prestations sociales s’effectue mensuellement, en fonction de l’évolution des revenus mensuels perçus. En ne s’intéressant qu’au salaire perçu dans le cours du mois, et pas à la fréquence à laquelle ils sont payés, les revenus sont souvent surestimés d’un mois sur l’autre et les prestations réduites d’autant. Pour HRW, le système gagnerait à utiliser des périodes d’évaluations des revenus plus courtes ou une prise en compte des gains moyens sur des périodes plus longues, afin de lisser les fluctuations de revenus. En juin, après une longue bataille juridique, une cour d’appel britannique a ordonné au gouvernement de corriger les effets de l’algorithme décrit comme « défectueux » mis en place depuis 2016. Depuis, le gouvernement travaille à une solution, mais pour l’instant, rien n’a été corrigé. En attendant que le gouvernement britannique statut, l’ONG réclame une refonte complète et que des mesures urgentes soient mises en place (par exemple, le déclenchement plus rapide des prestations, qui pour l’instant sont déclenchées 5 semaines après la demande, alors qu’avant la mise en place du système, les aides étaient versées dès 2 semaines). Pour le chercheur responsable de l’étude, Amos Toh (@amoshtoh), le système mis en place pousse les gens dans une plus grande pauvreté plus qu’il ne les aide à s’en sortir. L’algorithme déployé par le gouvernement britannique, baptisé « crédit universel », combine 6 prestations en une somme forfaitaire mensuelle pour rationaliser les paiements. Autre souci, récurant, avec les systèmes numériques : la demande de prestation se faisant en ligne, cela rend celle-ci difficile pour ceux qui ont un accès internet limité ou des difficultés avec les interfaces proposées et notamment avec les exigences lourdes de vérification d’identité ou de preuves de recherche d’emploi (et le fait de ne pas enregistrer suffisamment de preuves conduit à des sanctions punitives réduisant les paiements). Le système « entraîne des retards de paiement et des fluctuations irrationnelles des prestations pour de nombreuses personnes occupant des emplois peu rémunérés ou instables », qui entraînent à leur tour des difficultés financières et de l’insécurité alimentaire, tout en ayant des effets anxiogènes pour les personnes les plus démunies. Les bénéficiaires doivent gérer seuls les fluctuations de versement de prestations, ce qui a des conséquences directes sur leurs endettements. Le ministère en charge des prestations ne s’est d’ailleurs pas prononcé pour annoncer s’il indemnisera les personnes concernées par les pertes de prestation et les difficultés financières qu’ils ont subies suite à ces dysfonctionnements. Le rapport recommande une refonte du mode de calcul – à décider avec les partenaires sociaux -, et préconise également une demande d’accès au crédit universel qui ne soit pas uniquement sous forme numérique.
Avec la crise sanitaire, plus de 3,4 millions de Britanniques ont demandé un accès au crédit universel entre mars et juin 2020.
L’ONG dénonce enfin, plus globalement les risques inhérents à la tendance à l’automatisation des systèmes de sécurité sociale. Pour Philip Alston (@philipgalston) du Center for Human Rights and Global Justice, qui a longtemps été l’un des experts des Nations Unies sur la pauvreté et les droits de l’homme, ces programmes sont souvent conçus pour réduire les prestations sociales et intensifier la surveillance, rapporte The Next Web. Trop souvent, souligne-t-il encore, ces automatisations n’ont pas un niveau de transparence suffisant et manquent de procédures responsables, rapporte HRW, qui a déjà souligné les risques de programmes d’automatisation de l’aide sociale en Australie, en Inde, aux Pays-Bas, en Suède ou aux États-Unis. Pour l’ONG, les bénéficiaires devraient pouvoir comprendre les décisions prises à leur sujet, y contribuer voire les contester, mais ces garanties sont trop souvent perçues par les autorités comme lourdes et coûteuses à mettre en place, alors que l’automatisation vise avant tout à diminuer les coûts de gestion globaux. Dans son rapport, l’ONG est plus incisive encore. Elle souligne combien la volonté du gouvernement de promouvoir l’efficacité et la responsabilité personnelle par le biais du crédit universel a conduit à des choix de conception erronée qui privent les gens du soutien essentiel que constitue la sécurité sociale au Royaume-Uni.
En France nous ne bénéficions pas pour l’instant d’une analyse aussi précise des modalités d’attribution de l’aide sociale. Il y a peu pourtant, la journaliste Mathilde Goanec (@mathildegoanec) pour Mediapart (@mediapart), soulignait combien les imbroglios administratifs étaient nombreux pour les allocataires des minima sociaux. Comme le pointait déjà le rapport 2019 du défenseur des droits (@defenseurdroits), la protection sociale et les caisses d’allocations familiales sont parmi les principaux organismes où les réclamations sont nourries et où l’excès de zèle a tendance à fragiliser les plus démunies. Pire, souligne la journaliste, la complexité française crée des non-recours et le zèle des services génère des coûts administratifs de traitements souvent plus élevés que les sommes en cause. Pour Philippe Warin, cofondateur de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), le risque de ces dispositifs, expliquait-il dans un article de recherche est surtout de faire taire plus encore le non-recours… En décembre dernier, dans une tribune pour The Conversation (@fr_conversation), le chercheur s’inquiétait d’ailleurs des risques d’une dématérialisation totale de la relation entre les usagers et les administrations. Le risque, sous l’enjeu d’une meilleure orientation des moyens, c’est de mettre en place des systèmes de prédiction interconnectés défaillants, qui génèrent des erreurs, du surcontrôle, du non-recours…, comme on en trouve déjà au Royaume-Uni justement.
Hubert Guillaud