Après des décennies d’indifférence, le rêve lucide, ce moment dans le rêve où l’on a conscience de rêver, est en train de devenir un sujet d’intérêt pour les neuroscientifiques, et les progrès dans ce domaine sont rapides et nombreux, ainsi qu’en témoigne ce récent article du New Scientist.
Tout d’abord, on commence à trouver une utilité à cette pratique, dans le domaine la psychothérapie notamment. Ainsi, l’équipe de Brigitte Holzinger à l’Institut pour la conscience et la recherche sur le rêve à Vienne, a-t-elle découvert que le rêve lucide était une excellente thérapie pour les patients souffrant de cauchemars à répétition. Les patients, explique-t-elle, ont pu développer une certaine impression de contrôle qui contrebalançait la sensation d’impuissance propre au cauchemar. Un rêveur, affirme-t-elle, a même pu se montrer en mesure de revenir au moment de son rêve situé juste avant l’arrivée de la menace, puis de faire repartir le songe dans une autre direction.
Mais pour utiliser le rêve lucide de manière thérapeutique, il faut pouvoir être en mesure de le provoquer plus aisément chez les patients. Sur le ce point l’article du New Scientist ne va guère plus loin que mentionner l’expérience d’Ursula Voss sur l’usage de la stimulation magnétique transcranienne, qu’on évoquait dans notre récent papier, « Machines à rêver ». En revanche l’article nous renseigne sur un domaine encore peu exploré, celui de la communication entre le rêveur lucide et le monde extérieur. Si l’on veut utiliser le rêve lucide comme thérapie, ce serait une avancée importante, puisque la personne endormie pourrait être en mesure de communiquer avec son thérapeute depuis l’intérieur même du rêve.
Ainsi, Kristoffer Appel, chercheur à l’université Osnabrück en Allemagne , a-t-il essayé d’établir une communication (.pdf) avec des rêveurs lucides expérimentés en utilisant un code basé sur les mouvements des yeux (rappelons en effet que les yeux sont les seuls organes capables de mouvement lors de l’état de rêve, c’est pour quoi on nomme la phase onirique du sommeil le REM – Rapid Eyes Movements). Il s’est d’abord assuré que les rêveurs étaient lucides en leur demandant d’envoyer un signal convenu avec leurs yeux. Cette partie de l’expérience n’est pas nouvelle puisque c’est ainsi que Stephen LaBerge a pu établir la réalité du rêve lucide il y a déjà de cela quelques décennies. Ensuite, une fois que la lucidité de ses interlocuteurs était établie, il a essayé de leur envoyer des stimuli audio et lumineux. Sur 10 sujets, sept ont affirmé avoir intégré les flashs lumineux et les sons dans leur rêve. Par exemple certains ont vu leur rêve s’assombrir et s’illuminer. D’autres ont perçu un orage avec des éclairs, et d’autres encore ont rêvé d’une lampe s’allumant et s’éteignant. Mais surtout, nous précise le magazine, ceux qui ont perçu ces sons et lumières se sont rendu compte qu’il s’agissait de « signaux » envoyés depuis le monde extérieur !
Appel a été encore plus loin dans la communication : il a appris à certains des dormeurs le code Morse pour les nombres. Puis, pendant leur sommeil, à l’aide d’impulsions sonores, il leur a envoyé certaines opérations mathématiques très simples, comme une addition. A charge pour le rêveur d’envoyer la réponse via ses mouvements oculaires. Le New Scientist raconte ainsi l’expérience d’un des participants :
Il se trouvait dans une gare routière et a repéré une machine à billets. Très vite, celle-ci a commencé à émettre des bips. « J’étais emballé … J’ai décodé le premier message, confirmé les chiffres, résolu le problème mathématique, et envoyé ma réponse au monde de l’éveil : 4 + 4 = 8. J’ai ensuite marché dans la rue, en clamant aux autres piétons que je pouvais résoudre des tâches dans un rêve lucide ».
D’autres expériences sont en route. Remington Mallett, alors chercheur à l’université du Missouri, a quant à lui réussi a faire utiliser un casque EEG de type Emotiv Epoc à deux sujets en phase onirique, leur permettant ainsi de contrôler un curseur sur écran alors qu’ils étaient endormis. Et de son côté, Appel cherche à développer un masque susceptible d’enregistrer le code morse envoyé par les yeux des dormeurs. Et il espère établir bientôt un mode de communication encore plus sophistiqué : le texto ! « Nous allons essayer de demander aux rêveurs de suivre des yeux les touches d’un clavier et capter les mouvements. »