Des robots et de l’emploi… au paradoxe de la productivité

L’industrie la plus touchée par l’automatisation est la fabrication. Pour chaque robot déployé dans la fabrication, c’est 6 travailleurs qui perdent leurs emplois, estime une récente étude du Bureau de recherches économiques américain. L’étude des chercheurs, Daron Acemoglu (@DrDaronAcemoglu) du MIT et Pascual Restrepo (@pascualrpo) de l’université de Boston, est d’autant plus intéressante que jusqu’à présent, les deux chercheurs étaient plutôt optimistes sur les effets de la technologie et de l’emploi rapporte Clair Cain Miller pour le New York Times. Dans un article publié en 2016, ils estimaient en effet que l’automatisation créait des emplois et de meilleurs emplois à terme : quand les grues remplacent les dockers, cela créé des emplois connexes d’ingénieurs pour construire des grues. Mais il semble que ce déversement ne soit pas si évident.

En fait, les pertes d’emplois dans le secteur manufacturier ne semblent pas être compensées par des augmentations d’emplois dans d’autres professions, et laissent sur le carreau les cols bleus sans diplômes. A terme, même si l’emploi global et les salaires se redressent, il y aura des perdants dans ce processus, souligne Daron Acemoglu. C’est quelques 670 000 emplois de fabrication qui auraient été perdus aux Eats-Unis entre 1990 et 2007 du fait des robots, et ce nombre devrait d’autant plus augmenter que les robots industriels devraient quadrupler… Selon les estimations de la Fédération internationale de la robotique, il y a actuellement entre 1,5 et 1,75 million de robots industriels en exploitation. Un chiffre qui pourrait monter à 4 ou 6 millions en 2025, notamment dans l’industrie automobile et électronique.

L’étude souligne d’ailleurs que l’automatisation est bien plus responsable de la chute de l’emploi que la délocalisation. Localement, chaque nouveau robot ajouté à une usine américaine dans les dernières décennies a réduit l’emploi dans la région environnante de 6,2 travailleurs et les salaires de 0,7 %. « Nous voyons des effets négatifs des robots sur toutes les professions, à l’exception des managers », expliquent les chercheurs. Même si les principales catégories de travailleurs impactés sont ceux qui exercent des professions manuelle de routine, les ouvriers, les opérateurs, les assembleurs, les machinistes et les travailleurs des transports. Ils ont également trouvé des effets négatifs induits, moins nets, sur l’emploi et les salaires dans les secteurs de la construction, des services aux entreprises et le commerce de détail. L’étude souligne également que dans le secteur manufacturier la productivité a augmenté plus que partout ailleurs. Reste à savoir si la nouvelle vague technologique – celle de l’IA, des logiciels, des voitures sans conducteurs… – aura des effets similaires, mais sur beaucoup plus de gens… Ce sera certainement le sujet d’une de leur prochaine étude.

Sur Medium, l’économiste Ryan Avent (@ryanavent), éditorialiste à The Economist revient sur le paradoxe de la productivité. A l’heure où les gens craignent que les robots prennent leurs emplois, force est pourtant de constater que la technologie n’a pas produit de boom de la productivité. Cela conduit à penser que la menace que fait porter l’automatisation sur l’emploi est exagérée. Le problème serait plutôt que nous n’ayons pas suffisamment de développement technologique que le contraire. L’économiste Paul Krugman lui-même, exprimait récemment le même doute. Or, dans son récent livre, La richesse des humains, Ryan Avent explique pourquoi les progrès technologiques rapides peuvent coïncider avec une mauvaise croissance de la rémunération et de la productivité. Pour lui, les faibles coûts de la main-d’œuvre découragent les investissements dans des technologies économes en main-d’œuvre, réduisant potentiellement la croissance de la productivité. Sans compter que le coût de la technologie a chuté encore plus vite que les coûts du travail, qui sont relativement faibles. Or, « ce qui coûte cher, c’est le capital immatériel nécessaire pour réviser la production de manière à utiliser un pouvoir informatique peu coûteux pour éliminer beaucoup d’emplois. Il est compliqué de comprendre comment faire fonctionner ces systèmes de manière à générer des profits. Alors que la main-d’œuvre est bon marché, les entreprises n’ont guère de pression pour investir massivement dans le capital immatériel afin d’automatiser les processus clés. »

Si la main-d’œuvre peu coûteuse réduit l’incitation à pousser les nouvelles technologies, la révolution numérique est en partie responsable des faibles coûts de main-d’oeuvre, estime l’économiste, car elle a créé une abondance de main d’oeuvre, notamment en rendant plus facile la mondialisation des chaînes de production. Pour lui, l’automatisation tend à augmenter la pauvreté et les inégalités plutôt que le chômage, car même déqualifiés par les robots, il devient très économique d’embaucher des gens pour faire un travail peu payé et même très peu productif. En fait, les emplois à très faible productivité se développent et affectent les chiffres de productivité globale.

Pour l’économiste, le niveau élevé de l’emploi mondial, la faible croissance des salaires et de la productivité, ne témoigne pas de progrès technologiques décevants, mais d’un monde où les inégalités s’accroissent.

MAJ : Pour répondre à la perspective d’un monde où les robots prendraient de plus en plus de nos emplois, un rapport de l’association internationale du barreau, qui s’intéresse aux impacts juridique des évolutions technologiques, propose de légiférer pour imposer des quotas d’employés humains dans certains secteurs, rapporte le Guardian.

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