Gafams : et si la révolution venait de l’intérieur ?

Présenter de vraies excuses nécessite d’apporter une modification réelle à ce qui a provoqué le problème à l’origine de son remords. Mais pour les entreprises de technologie, présenter des excuses tient plutôt du stratagème pour ne rien faire. C’est ce que dit en substance Josh Constine (@joshconstine) sur TechCrunch, qui n’est pas vraiment la publication la plus critique de l’innovation.

Les modèles commerciaux des entreprises sont souvent en conflit avec la façon dont nous souhaitons qu’elles agissent, explique Constine. Nous voulons plus de confidentialité, mais elles tirent leurs revenus de la revente de nos données personnelles. Nous voulons contrôler notre attention, mais elles gagnent de l’argent en nous accaparant notre temps libre et en le monétisant par la publicité. Nous voulons des appareils plus sûrs, construits d’une manière responsable, mais elles font leurs marges d’une fabrication bon marché… « Même si leurs dirigeants souhaitaient sincèrement apporter des changements significatifs pour réparer leurs torts, leurs mains sont liées par des modèles d’affaires à court terme qui objectivent les résultats trimestriels ».

Voilà des années que Mark Zuckerberg n’a de cesse de s’excuser, comme le soulignait une infographie du Washington Post : ça n’empêche pas Facebook de continuer à enchaîner problème après problème.

Nous n’avons nulle part où aller

Bien sûr, nous pourrions abandonner leurs navires… Mais c’est oublier que la technologie s’est infiltrée partout, tant et si bien que nous avons du mal à imaginer devoir nous passer des grands services de l’internet… Nous vivons nos vies à travers la technologie, nous sommes accros à ce qu’elle permet – même si, faut-il le reconnaître, ce n’est pas toujours beaucoup.

En 2018, Uber est l’un des rares services qui ait perdu des clients, mais parce que beaucoup d’utilisateurs américains ont pu se rabattre sur son concurrent direct, Lyft. Dans nombre de secteurs de services, le problème c’est que l’utilisateur n’a pas d’alternative ! Malgré les scandales massifs, sa culture toxique et ses pratiques déloyales, Facebook a continué à gagner des millions d’utilisateurs par mois aux États-Unis et au Canada au dernier trimestre ! « Les utilisateurs de technologies ne votent pas avec leurs pieds ! », regrette Constine. « Nous avons montré que nous pouvions entretenir notre mauvaise volonté envers les géants tout en achetant et en utilisant à contrecoeur leurs produits. Notre capacité d’influence pour améliorer leur comportement est considérablement affaiblie par notre loyauté. »

La régulation politique patine

La régulation politique n’a pas non plus porté ses fruits. Les auditions au Congrès de Facebook et d’autres ont surtout montré le niveau d’incompréhension du personnel politique. Et lorsqu’ils interviennent, leurs tentatives peuvent se retourner contre eux. Le GDPR pouvait être vu comme un instrument pour réduire la domination de Google et Facebook en limitant la collecte de données… Mais la mise en conformité avec la loi, pour l’instant, a plus gêné les petits acteurs que les gros. Google a gagné des parts de marché dans le secteur de la technologie publicitaire et FB a enregistré la plus petite perte, quand les plus petites entreprises du secteur ont perdu bien plus de part de marché… Le projet de loi américain sur la publicité honnête censé apporter de la transparence sur les campagnes politiques en ligne n’a toujours pas été adopté malgré le soutien de FB et Twitter… Et malgré les discussions nourries, aucun projet sérieux n’a émergé pour empêcher les grands acteurs d’acquérir des concurrents à l’avenir ou pour mettre fin à leurs monopoles (cf. « De la souveraineté… fonctionnelle » et « Distorsion des marchés »). Pour Constine, « nous ne pouvons pas compter sur les régulateurs pour nous protéger suffisamment des géants de la technologie pour le moment ».

Peu de monde souhaite travailler pour des fabricants d’armes

Si nous sommes impuissants et si le régulateur l’est également, alors qui nous protégera ? Pour Constine, l’espoir viendra peut-être des employés de ces sociétés elles-mêmes. Alors que la guerre des talents fait rage, les géants des technologies sont vulnérables aux opinions de leurs propres employés, estime Constine. Peu de monde souhaite travailler pour des fabricants d’armes, et c’est bien ce que sont parfois en train de devenir les Gafam. Google a refusé de renouveler un contrat avec le gouvernement suite à une pétition de 4000 de ses employés et a connu des défections suite au projet d’intelligence artificielle Maven utilisé pour cibler des frappes de drones. Même chose sur le projet Dragonfly, le projet de moteur de Google pour la Chine respectant les règles de censure des autorités chinoises. 20 000 employés de Google ont manifesté quand l’entreprise a dissimulé des cas de harcèlement sexuel… et le règlement à l’amiable obligé pour les cas de harcèlement sexuel ont été abrogés chez Facebook, Airbnb et eBay. Les remous internes pourraient au final avoir plus d’impacts qu’on ne le pense, estime Constine. À voir !

MAJ : Alors que le New York Times révèle que FB propose des accès privilégiés aux données de ses utilisateurs à certaines entreprises (un scandale FB de plus), Buzzfeed décrit une entreprise où la paranoïa règne en maître ! Plus que d’une réforme provenant de l’intérieur, on peut plutôt se demander si FB n’est pas plutôt proche de l’implosion !

MAJ : Sur Slate, Siva Vaidhyanathan estime également que seuls les employés de Facebook peuvent remettre de l’ordre dans l’entreprise… Pour le California Sunday, ingénieurs, designers, chercheurs et employés mènent la révolte pour enjoindre les entreprises de la Silicon Valley à être plus éthiques !

MAJ : Sur Mais où va le web ?, Irénée Régnauld revient à son tour sur le techlash des salariés et des citoyens à l’encontre des Gafams et pointe le fait que les critiques ressemblent de plus en plus à un débat de société et à une demande de plus de démocratie dans la tech.

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