Les origines multi-modales du langage

D’où vient le langage ? Vaste question qui a longtemps été considérée comme impossible à répondre, au point qu’en 1866, rappelle le New Scientist, la société linguistique de Paris alla jusqu’à interdire toute discussion sur le sujet.

Mais heureusement, depuis, le débat a repris. Le New Scientist nous explique ainsi qu’il existe trois hypothèses sur la naissance de cette faculté. Le langage peut trouver son origine dans la musique et le chant (c’était la théorie de Darwin lui-même. Il pensait que la parole était issue des chants utilisés pour attirer des partenaires sexuels, comme le font les oiseaux, mais également nos cousins lointains, les gibbons).

Une autre hypothèse voit dans la gestuelle la source de nos facultés linguistiques. Mais, nous explique le New Scientist, cela n’explique pas pourquoi nous serions passés ensuite à la parole.

Une troisième hypothèse suggère que le langage dérive des onomatopées et notre capacité à imiter le cri des animaux ou les bruits qu’ils génèrent. Mais là encore, une question se pose : comment assigner un son à un objet immobile, à un animal silencieux, ou même à un concept abstrait ?

Peut-être plus facilement qu’on ne le pense. En effet, deux scientifiques britanniques Gary Lupyan (@glupyan) et Marcus Perlman (@MarcusPerlman) ont lancé une compétition dans laquelle les participants devaient imiter par onomatopées des termes, comme « cuisiner », « se rassembler », « couteau » ou « fruit ». Il s’est avéré que non seulement ils y arrivaient assez bien, mais que lorsque les enregistrements furent écoutés par d’autres sujets, ceux-ci purent souvent deviner leur signification.

Quelle théorie choisir ? Peut-être toutes, nous explique l’article. Il se pourrait en effet que le langage ait, dès le départ, été multimodal, employant à la fois chant, gestes et onomatopées. C’est la théorie de l’anthropologue Jerome Lewis. Pour lui, le langage aurait d’abord commencé sous la forme de chant, non pas pour attirer des partenaires, mais pour alerter de la présence de prédateurs ; c’est une pratique qui existe encore chez les Bayakas en Afrique Centrale, que Lewis a étudiés. Ensuite, les humains auraient complété ce premier vocabulaire avec l’imitation des sons. Enfin, dans un troisième temps, les gestes se seraient greffés sur les sons, probablement lors de performances mimées, par exemple pour enseigner la chasse aux plus jeunes.

Le New Scientist mentionne diverses recherches (.pdf) tendant à montrer que lorsque des participants s’échangeaient des informations à l’aide de signes et d’onomatopées, ces gestes et ces sons tendaient à se standardiser et se simplifier au cours des échanges, comme si peu à peu un langage partagé apparaissait. Et c’est quelque chose qui a également été constaté dans les communautés sourdes qui n’avaient pas acquis la connaissance d’une langue des signes préalablement élaborée. Leur langage improvisé tendait même à faire naître des structures grammaticales en une ou deux générations (il serait intéressant de comparer ces études avec les travaux de Luc Steeles au Computer Science Laboratory de Sony sur la naissance du langage chez les robots).

L’aspect le plus intéressant de cet article du New Scientist, c’est qu’il montre comment des expériences cognitives peuvent venir au secours d’une réflexion historique pour laquelle, par définition, on ne possède aucune trace écrite ou archéologique. Certes l’expérimentation psychologique est souvent difficile et hasardeuse. Quant aux théories sur l’origine du langage, elles sont spéculatives par essence. Mais mises ensemble, peut-être pourra-t-on élaborer des théories un peu plus solides ?

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