Neurosciences : oublie-t-on le comportement ?

Cinq neuroscientifiques ont récemment publié dans le journal Neuron un article provocateur destiné à remettre sur les rails une recherche qui selon eux s’égare sur une mauvaise voie, nous raconte The Atlantic. Pour ces chercheurs, en effet, leurs collègues ont tendance à oublier que le cerveau est avant tout une machine à fabriquer du comportement. Et c’est cela qu’il faut chercher à comprendre et à expliquer. Or, disent-ils, les travaux en neurosciences se concentrent essentiellement sur le fonctionnement des neurones ou des circuits de neurones.

Au contraire, ces cinq chercheurs tendent plutôt à considérer le comportement comme le produit d’une émergence, autrement dit, dans la lignée des sciences de la complexité et de la vie artificielle, comme le résultat d’une interaction entre ces milliards de neurones : la compréhension de l’ensemble ne saurait être déduite de la connaissance du fonctionnement de chacune des parties.

« L’hypothèse non formulée est que si nous rassemblons suffisamment de données sur les parties, le fonctionnement de l’ensemble deviendra clair. Si nous comprenons parfaitement les molécules qui se déplacent à travers une synapse, ou les impulsions électriques qui circulent le long d’un neurone, ou le réseau de connexions formé par de nombreux neurones, nous finirons par résoudre les mystères de l’apprentissage, de la mémoire, de l’émotion et plus encore. « L’erreur consiste à croire qu’un plus grand nombre de recherches de ce genre nous permettra, dans un futur toujours indéfiniment reporté, de comprendre ce que sont les pleurs d’une mère ou la manière dont je me sens actuellement », explique John Krakauer (l’un des cinq chercheurs en question, NDT).

Un point de vue condamné à l’échec selon lui et ses collègues.

« Les gens pensent que technologie + big data + machine learning = science », continue Krakauer. « Et ce n’est pas le cas. » Et The Atlantic de citer, fort à propos, la récente étude montrant l’impossibilité de déduire le comportement de l’antique processeur MOS 6502, coeur des bons vieux Atari, à partir d’une analyse du fonctionnement de ses constituants.

Cette ignorance du comportement global du cerveau peut nous amener à des conclusions trop simplificatrices ou même carrément fausses. L’article de The Atlantic en cite deux exemples.

Le premier est celui des très fameux neurones miroirs. Ceux-ci, rappelons-le, sont des neurones moteurs, c’est-à-dire qui en général s’activent pour faire un mouvement spécifique. Or, certains d’entre eux se mettent en route également quand le sujet (généralement un animal, le plus souvent un singe) observe quelqu’un effectuer ladite action : autrement dit, ces neurones « imitent » le comportement observé. Par exemple, si l’animal voit quelqu’un saisir une pomme, certains des neurones utilisés par son cerveau pour se saisir d’un objet s’activent à cette simple vision. Comme le souligne The Atlantic, lesdits neurones miroirs ont été considérés comme à l’origine de l’empathie, de nos comportements sociaux et même de la civilisation. Problème, soulignent Krakauer et ses collègues, les chercheurs travaillant dans ce domaine n’ont pas cherché à savoir si le comportement de l’animal trahissait une réelle compréhension de l’action qu’il avait observée. « On confond une interprétation avec le résultat : en l’occurrence, l’hypothèse que le neurone miroir comprend l’action d’autrui ».

Un autre exemple vient des recherches de Krakauer lui-même. Ce dernier travaille en effet sur la maladie de Parkinson. Les gens atteints de cette pathologie tendent à se déplacer lentement – ce phénomène est dû à la baisse de dopamine. Si on augmente les taux de ce neurotransmetteur, ils vont se mettre à bouger plus rapidement, ce qui, souligne The Atlantic, a donné naissance à de nouveaux médicaments, mais on n’a toujours pas pu expliquer la relation entre un tel comportement et la baisse des niveaux de dopamine. Lors d’une expérience effectuée en 2007, Krakauer a demandé à des malades d’effectuer un mouvement à des vitesses variées. Il s’avère qu’ils en étaient tout à fait capables. Mais ils évitaient inconsciemment de le faire. Cela semblait montrer que la dopamine ne contrôlait pas la fluidité des mouvements, mais plutôt la motivation à les exécuter rapidement…

Problème, aujourd’hui, il est difficile de publier dans un journal de neuroscience un article sur un aspect du comportement animal ou humain. Les articles sont rejetés s’ils ne contiennent pas assez d’observations physiologiques.

Marina Picciotto, la rédactrice en chef du Journal of Neuroscience, reconnaît en effet que si un article traite surtout du comportement, on considère souvent qu’il serait plus à sa place dans une autre revue, par exemple spécialisée dans la psychologie. Mais elle admet dans le même temps que la frontière entre l’étude du comportement et la neuroscience est assez fluide…

À lire aussi sur internetactu.net